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Sénégal : transferts des migrants, dynamique entrepreneuriale et résilience au changement climatique dans les Niayes
Inséparables de l’histoire de l’humanité, les migrations revêtent des dimensions multiples et importantes qui ont évolué tout au long de l’histoire. Elles sont un effet direct des inégalités socio-économiques et de la croissance démographique qui perdurent dans les espaces/territoires, entre autres. Même si elles sont intimement liées à l’histoire de l’humanité, les migrations concernent aujourd’hui plus massivement les pays en développement. Beaucoup de populations des régions et de zones agricoles dévitalisées comme les Niayes dépendent des transferts monétaires des migrants pour leur survie et surtout pour atténuer les contrecoups du changement climatique.
Dans certains pays en développement, l’argent des migrants est devenu supérieur à l’aide publique au développement. Les transferts de fonds en direction du continent africain sont estimés à plus de 67 milliards de dollars en 2014 . Au Sénégal, rien que les transferts effectués dans les circuits formels sont chiffrés à plus de 699.4 milliards de francs CFA en 2011, soit 10.3% du PIB . Le Sénégal est dans la catégorie des pays où la rente de la migration a supplanté l’aide publique au développement et les investissements directs étrangers. Beaucoup de localités du pays, surtout celles les plus exposées aux vulnérabilités environnementales, dépendent des transferts des migrants pour financer les besoins de base des ménages et certaines initiatives socio-économiques.
La zone des Niayes qui correspond à une zone éco-géographique caractérisée par un écosystème riche et fragile est « irriguée » par l’argent des transferts qui participe à sa revitalisation économique. Les transferts contribuent à la mise en place d’activités entrepreneuriales dans les domaines de l’agriculture, du transport, de l’aviculture, du commerce, de la transformation des produits agricoles. Cette étude tente de montrer la contribution des migrants dans les dynamiques entrepreneuriales dans les Niayes.
Déterminants et impacts de la dynamique migratoire
Les situations économiques dramatiques qui prévalent dans certains milieux peuvent amener une frange importante des populations vulnérables et touchées par les crises à rechercher de meilleures conditions de vie, mais aussi des ressources indispensables à leur bien-être (emplois, services de santé, habitat décent, terres arables etc.). Dans un contexte d’épuisement des ressources, les déterminants économiques apparaissent comme les moteurs de la mobilité humaine à travers la recherche perpétuelle d’emplois salariés, d’argents et de revenus supplémentaires.
Le Sénégal est depuis fort longtemps touché par les migrations. Le principal déterminant des flux migratoires (à majorité rurale) est d’ordre économique et est plus précisément lié à la recherche du travail avec un taux de déplacement de : « 92% pour les hommes contre 8% pour les femmes dans la zone des Niayes » . La migration est en majeure partie l’affaire des jeunes qui sont confrontés à l’angoissante question du chômage et du sous-emploi.
A côté de la migration du rural vers l’urbain estimée à plus de « 833 685 immigrants sur un total de 1 122 740, soit 74.3% de l’ensemble des personnes qui se sont déplacées d’un milieu à l’autre » , la migration internationale se pose, de nos jours, par son potentiel et sa capacité à créer des revenus grâce aux transferts (de fonds et de biens) qui se chiffrent à 436 milliards de dollars en 2013 et 583 milliards de dollars en 2014 .
Ces transferts sont importants du point de vue macro car elles représentent une part importante du PIB, au point qu’on parle d’alternative à l’aide publique au développement . Du point de vue macro, ils contribuent à contrecarrer la pauvreté dans les ménages car « près de 50 % des envois finiraient dans la consommation courante, contre 25 % pour l’épargne de précaution, 20 % pour l’investissement immobilier et seulement moins de 5 % pour l’investissement productif ».
Les retombées de la migration devraient se poser comme alternatives à la crise du monde rural, à la dégradation des ressources, à la rareté des pluviométries. Ainsi, les retombées des migrations rentrent directement dans les efforts de résilience des zones comme les Niayes, mais aussi des milieux arides et semi arides. Elles devraient aussi aider les populations et les activités de ce milieu (reposant sur l’agriculture, le maraichage, la pêche, secteur informel etc.) car « c’est une zone d’émigrants venus des autres villes pour travailler la terre. »
La part contributive des transferts dans le potentiel économique
Les Niayes sont des zones humides et côtières faisant partie des zones agro-écologiques du Sénégal dont le potentiel majeur est à chercher dans les activités liées au sol . Surnommée le grenier horticole du Sénégal, les Niayes assurent la majorité de la production des produits maraichers consommés au niveau national. La zone est un carrefour très attractif (car positionnée entre les régions de : Thiès, Dakar, Saint-Louis et Louga) et est devenue depuis quelques années un important foyer de départ pour la migration du fait de la forte vulnérabilité de certaines activités socio-économiques, de la pauvreté des populations par rapport au changement climatique et de facteurs anthropiques.
Aujourd’hui, les Niayes bénéficient d’une plus grande considération avec, d’une part, les investissements des migrants dans les activités agricoles (maraîchage, arboriculture) et dans des secteurs comme le commerce, le transport, l’immobilier. D’ autre part, dans les Niayes, on note la présence d’exploitations de taille moyenne organisées selon la logique économique du marché et les grandes exploitations agricoles couvrant plusieurs dizaines d’hectares . Ces dernières sont le résultat d’implantation des sociétés privées, étatiques ou maraboutiques qui mobilisent les populations locales comme main-d’œuvre salariée.
Les exemples du maraîchage et de l’arboriculture
La part contributive des investissements des migrants dans l’agriculture a contribué à renouveler le matériel agricole par l’achat de nouvelles technologies plus adaptées aux sols et au milieu. En effet, la majeure partie des migrants sont issus de familles qui disposent de terres du fait de leur acquisition par héritage (même si l’achat de terres commence à y être présent). Ce qui fait que les migrants de retour ou à la recherche de meilleures perspectives économiques finissent en grande partie par réinvestir leurs fonds dans les champs, en vue de cultiver d’autres spéculations, d’étendre leur terres et de mobiliser de nombreux jeunes dans l’agriculture.
Grâce à ces investissements, l’exportation des produits horticoles est passée de « 9300 tonnes en 2007 à 67000 tonnes en 2013 soit une augmentation de 700% » . En plus de cette progression rapide, le secteur réalise un chiffre d’affaire de 100 millions €, en pourvoyant plus de 15000 emplois dans la zone et positionne finalement le Sénégal comme un pôle très compétitif dans l’exportation des produits horticoles . La disponibilité de l’offre des produits horticoles conjuguée à la facilité des circuits de commercialisation (disponibilité des infrastructures portuaires et aéroportuaires à proximité des zones de culture) extérieurs ont facilité l’offre au marché extérieur. Par exemple, grâce à la contribution de cette zone des Niayes, le Sénégal est dans une dynamique qui, à terme, devrait parvenu à atteindre l’autosuffisance en oignon. Entre 2015-2016, le Sénégal a produit 367 000 tonnes.
Enfin, le potentiel de l’horticulture dans le financement de la migration des jeunes n’est plus à démontrer car beaucoup de migrants ont financé leur voyage à partir du maraîchage, d’où leur intérêt particulier d’y investir dans le cadre de développer des activités ou trouver des emplois rémunérateurs, en cas de retour temporaire ou définitif.
Un migrant de retour définitif dans les Niayes :
« J’ai fait 23 ans en Italie. L’argent que j’ai épargné dans l’agriculture m’a permis de financer mon voyage. Cependant, durant mes quatre dernières années en Italie, j’avais des problèmes de trouver un travail du fait de l’exacerbation de la crise économique. J’ai fini par rentrer et réinvestir dans mon village d’origine avec mes économies.
J’ai reconstruit ma maison, acheté de nouvelles terres, en vue de compléter celles que mon père m’avait laissé en héritage. J’ai aussi acheté de nouvelles technologies (tracteurs et autre machines en vue de couvrir toutes mes superficies). Je cultive plusieurs spéculations
des marchés du pays. Je m’active aussi dans l’élevage intensif car dans les Niayes ces activités y sont très lucratives. »
L’arboriculture
Dans les Niayes, l’arboriculture contribue aux revenus des populations avec l’exploitation et la commercialisation de la mangue. L’horticulture est mélangée avec la culture des mangues dans des champs couvrant des hectares. La production de mangues est vendue aux usines entre 200 et 300 F CFA le kilogramme, conformément aux normes des prix fixés après les campagnes de commercialisation. De même, chaque producteur peut faire deux récoltes. Ce qui leur assure des sommes importantes pour développer des stratégies de résilience grâce à la préparation des récoltes à venir, au financement de l’émigration et à la meilleure promotion des activités socio-économiques des femmes
La dimension genre dans les Niayes
La dimension genre est bien présente dans les Niayes, car on note la présence des femmes dans de nombreuses activités. En effet, si les hommes ont longtemps cultivé les terres, les femmes restent en majeur partie représentée dans le secteur de la commercialisation des produits horticoles, du commerce d’articles divers. De plus, les petites activités qu’elles développent n’arrivent pas à leur assurer des débouchés du fait de plusieurs facteurs. Nos enquêtes de terrain nous ont par exemple permis de déceler que les nombreuses femmes banas-banas achètent les produits horticoles dans les champs pour aller les écouler dans les marchés les plus proches. Cependant, elles n’arrivent pas à trouver des sources de financements fiables afin de pérenniser ces activités qui contribuent à l’amélioration des conditions d’existence des ménages .
De leur côté, les femmes qui s’activent dans l’horticulture sont confrontées à la problématique d’écoulement de leurs produits du fait de la saturation du marché, des contraintes d’approvisionnement et de l’inexistence de magasins de stockage pour la conservation de leurs produits. En cas de mévente, ils pourrissent rapidement, privant ainsi ces femmes de revenus importants pour rembourser les dettes contractées pour financer leurs activités commerciales.
Cependant, même si des femmes s’activent de plus en plus dans le secteur informel à travers la vente des produits horticoles, le manque de financement freine leur dynamisme. Par exemple, depuis la fermeture du magasin de l’Institut de technologie alimentaire (ITA) destiné à la transformation des produits arboricoles dans la localité de Ndame Lo, près de 100 femmes ayant bénéficié d’un savoir-faire important se sont retrouvées brutalement sans alternative. Certaines ont pu se déployer par la suite dans les activités commerciales (vente de mangues et de produits maraichers dans les marchés de Thiaroye, Castors, Notto, Pout, Sangalkam, Bayakh, Thiès) et les cultures d’hivernage.
Les migrants occupent une place très importante dans le développement économique et social du Sénégal car ils possèdent une force capacité entrepreneuriale grâce aux transferts de biens et services. La migration dans les Niayes aide directement les populations et leurs activités à devenir moins vulnérables et plus résilientes au changement climatique. Cependant, du côté des migrants, un manque de perspectives d’investissements se pose. Il est accentué par le manque de confiance envers leurs proches qui les considèrent comme des « mannes financières intarissables ». Lors de nos enquêtes, beaucoup de migrants de retour définitif ont affirmé avoir gardé des fonds mais attendent le bon moment et les opportunités pour investir. Des programmes adaptés d’accompagnement de ces migrants devraient être mis sur pied pour encourager ces migrants à investir et à fructifier leur épargne et leur savoir-faire.
Cheikhna Sadibou Ouldna Diallo
Etudiant en Master en sociologie
Université Gaston Berger de Saint-Louis
Boursier du Programme Promouvoir la Résilience des Economies en Zones Semi-Arides (PRESA)
Contact : ouldna092@gmail.com
Dr Mamadou Dimé
Chef du Département de sociologie, Université Gaston Berger de Saint-Louis (Sénégal)
Dr CheikhTidiane Wade
Coordonnateur du Programme "Promouvoir la Résilience des Economies en Zones Semi-Arides" (PRESA) à IED Afrique
Contact : cheikhwad@gmail.com
Références bibliographiques :
ANSD, situation économique et sociale du Sénégal, Ed 2012, p12-17)
BAD, la BAD et les transferts d’argent des migrants africains, http://www.afdb.org/fr/topics-and-sectors/initiatives-partnerships/migration-and-development-initiative/afdb-migration-activities/, consulté le 01 Aout 2016 à 19
Banque mondiale, Migrations et envois de fonds (En ligne), 2016, p6 disponible sur http://www.banquemondiale.org/fr/topic/migrationremittancesdiasporaissues/overview consulté le 02 Aout 2016 20h35mn
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Ndao Mariètou, Dynamique et gestion environnementale de 1970 à 2010 des zones humides au Sénégal : Etude de l’occupation du sol par télédétection des Niayes avec Djiddah Thiaroye Kao (Dakar Mboro, Thiès et Saint-Louis), Université de Toulouse le Mirail, 2012, p157
Wade C.T., Ecosystème et environnement : Problématique de la gestion durable des usages littoraux au niveau de la grande côte Sénégalaise, Université de Paris1, 2008, 302p)