Abonnement à Agridape

Accueil / Publications / AGRIDAPE / Changement climatique et résilience des systèmes agroalimentaires / Lu pour vous : Burkina Faso : des pratiques agricoles endogènes pour (...)

Lu pour vous : Burkina Faso : des pratiques agricoles endogènes pour atténuer l’impact du changement climatique

La présente étude a permis d’identifier et d’analyser les stratégies de résilience développées par des paysans burkinabé face aux effets adverses du changement climatique et basées sur la valorisation des savoirs locaux, afin de promouvoir une agriculture durable. Elle a été menée dans deux sites : Arbollé, dans la province du Passoré ( région du Centre) et Bounou, dans la province du Kompienga située au Sud du pays. AGRIDAPE vous en propose une synthèse.

Au Burkina Faso, des stratégies ont été successivement mises en œuvre pour faire face aux contraintes climatiques : Stratégie de Développement Rural à l’horizon 2015 (2003), Programme d’Investissement du Secteur de l’Agriculture, de l’Hydraulique et des Ressources Halieutiques (2005). Cependant, les résultats ne sont pas toujours la hauteur des attentes.
La caractéristique majeure du secteur agricole au Burkina Faso est son faible niveau de mécanisation à laquelle s’ajoutent les fluctuations pluviométriques et thermiques, ce qui concède au climat un rôle déterminant dans la production.
Jusque-là, les politiques de développement du secteur agricole (PNDSA , PPIV , PICOFA ) mises en œuvre sont davantage orientées vers l’équipement et la vulgarisation des paquets technologiques.

En revanche, elles ne prennent pas suffisamment en compte les connaissances séculaires des populations qui ont toujours adapté leurs pratiques agricoles aux vicissitudes de la nature. Elles ont su perpétuer des savoirs locaux intergénérationnels en matière de sélection des semences, de pratiques agricoles et de calendrier agricole. Cela fait que les savoirs locaux sont incontournables pour le développement du secteur, à travers la participation effective des populations.

A Arbollé (province du Passoré, Centre du pays) et à Bounou (province du Kompienga, au Sud du pays) où cette étude a été menée, les populations s’ adonnent majoritairement à l’agriculture. Il en ressort que les populations ont une perception des péjorations climatiques à travers la dynamique des paramètres météorologiques courants que sont la pluie, la température et, dans une moindre mesure, le vent. C’est surtout la pluviométrie qui suscite le plus d’intérêt et son appréciation se fait en fonction des écoulements, le niveau des cours d’eau et le remplissage des bas-fonds.

Pratiques agricoles

Les risques climatiques se déduisent de l’état des formations végétales, de la disponibilité des ressources en eau et de la fertilité des sols. Pour y faire face, les populations adaptent le calendrier agricole en fonction des contraintes agro-climatiques de leurs localités, notamment l’installation tardive ou précoce des pluies. Par ailleurs, des actions et des mesures de restauration des sols ainsi que l’amélioration de la fertilité sont entreprises. Ce sont les cordons pierreux, la régénération naturelle assistée, la jachère, l’agroforesterie, le zaï, l’association de culture, la rotation, la sélection des semences, l’entraide culturale et l’utilisation de la fumure organique.
• Les cordons de pierres
Il s’agit d’une technique apparue au début des années 80 chez les paysans du Burkina Faso. Les cordons pierreux sont des dispositifs anti-érosifs composés de blocs de pierres disposés en une ou plusieurs rangées. La réalisation des diguettes en cordons pierreux commence par la détermination d’une courbe de niveau à l’aide du niveau à eau, du triangle à sol ou par un levé topographique. Ils permettent de récupérer les terres dégradées, de lutter contre l’érosion hydrique et d’améliorer l’infiltration des eaux de pluies. Cette technique permet d’augmenter les rendements agricoles si elle est associée à l’usage de matière organique, à l’utilisation du zaï ou des demi-lunes.
• Le zaï
Le zaï est une pratique traditionnelle de réhabilitation de la productivité des terres pauvres de certains espaces. Il consiste à creuser manuellement des trous pour y concentrer les eaux de ruissellement et les matières organiques. Le paysan prépare ainsi la terre pendant la saison sèche de novembre à juin, en creusant manuellement à l’aide de la houe tous les 70-100 cm, des cuvettes de 20 à 40 cm de diamètre, en vue de capter les eaux de ruissellement et les matières organiques emportés par les vents. L’ensemble du champ est entouré d’un cordon de pierres ou à défaut de diguettes anti-érosives pour maitriser le ruissellement très violent sur ces terres encroûtées.
• Les demi-lunes
La technique des demi-lunes a été nouvellement introduite dans la zone Nord du Burkina Faso pour la récréer les conditions d’humidité et de fertilité des sols initialement dégradés. Elle consiste à déblayer la terre de bassins de quelques mètres pour former des cuvettes ou des monticules d’un demi-cercle à l’aide de pic, pioche et pelle. Elle est surtout employée dans les terrains ayant une inclination et ayant un climat aride ou semi-aride pour concentrer les eaux de pluie, réduire le ruissellement et cultiver sur des terres encroûtées. La demi-lune facilite donc la réhabilitation des sols dégradés, la récupération des terres pauvres et l’augmentation des superficies cultivables etc.

Impacts sur la production

Les stratégies développées par les populations dans le contexte du changement climatique ont pour finalité l’amélioration des conditions de vie en milieu rural.
A titre d’exemple, l’effet de la technique de demi-lune sur l’atténuation de l’érosion, l’amélioration des conditions hydriques et de la fertilité des sols contribue énormément à l’accroissement de la production agricole. Les rendements peuvent atteindre 1, 2 à 1, 6 tonne l’hectare dans la province de Arbollé où la technique est très utilisée (CILSS).
Lorsque la technique de demi-lune est assortie de l’utilisation compost, les rendements peuvent être multipliés par 15 comparée à une demi-lune sans fertilisant.
Cependant, l’une des contraintes liée à cette pratique est le besoin d’investissement assez élevé. En effet, en plus du travail mécanique proprement dit, un apport en matière organique est nécessaire pour assurer une meilleure productivité des cultures.

Grâce aussi à la technique du zaï, les rendements sont multipliés par 8. Cela constitue un apport supplémentaire dans le revenu des ménages qui la pratiquent.
Même si la réalisation zaï est moins contraignante que les demi-lunes, certaines producteurs éprouvent des difficultés d’ordre matériel à en assurer.

Enseignements

L’ensemble de ces pratiques qui ont fait la preuve de leur efficacité sont issues des savoirs endogènes quand bien même elles n’ont pas été codifiées. Bien entendu, elles ont beaucoup évolué dans le temps en fonction des mutations endogènes et exogènes. Aussi la prise en compte de ces pratiques dans l’élaboration des paquets technologiques pourrait-elle contribuer efficacement à la résilience des économies rurales aux risques climatiques.

La promotion des savoirs locaux passe par l’implication de plusieurs acteurs notamment les chercheurs, les utilisateurs des savoirs locaux, les politiques et les organisations qui œuvrent dans le cadre du développement. Cette synergie, si elle s’appuie sur les expériences des populations, pourrait contribuer fortement à l’amélioration de leur capacité d’adaptation et de résilience. Cependant, il est impératif de renforcer les capacités des services techniques en ressources humaines et en compétences pour accompagner davantage les producteurs en matière de résilience.

Les savoirs locaux découlent de la culture et des valeurs intrinsèques d’un groupe social qui s’identifient à son milieu. Ils sont élaborés, pratiqués et transmis de génération en génération et ont fait la preuve de leur efficacité. Sur cette base, les populations s’organisent, s’adaptent et survivent dans des situations de plus en plus adverses. Toutefois, les savoirs locaux dans les pratiques agricoles ne sont pas toujours en contradiction avec les paquets technologiques de l’agriculture moderne en cours de vulgarisation.

Pr Jean Marie Dipama
Professeur à l’Université de Ouagadougou
Auteur du rapport "Changement climatique et agriculture durable au Burkina Faso : Stratégies de résilience basées sur les savoirs locaux" réalisé dans le cadre des activités de recherche du PRESA (Promouvoir la Résilience des Economies en Zones Semi-Arides)
Contact : jmdipama@yahoo.fr