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Opinion : L’expérience rurale de la mémoire au service des effets irréguliers du climat : quand les grêlons surviennent

Ce qu’il convient de nommer « enneigement de Bafou », localité située dans la région des hautes terres de l’Ouest Cameroun, est un phénomène rarissime, mais pas impossible. Quand on évoque les perturbations d’ordre climatique, on fait moins référence aux événements rares, dont les conséquences, même ponctuelles, ne sont pas sans rappeler que le climat peut être imprévisible et demander une meilleure attention, surtout quand la possibilité est offerte de faire appel aux éléments de la mémoire collective pour y faire face.

Dans les zones de hautes altitudes qui connaissent parfois des températures relativement basses, il peut arriver que les précipitations « normales » qui sont liquides, c’est-à-dire sous forme de pluies, deviennent solides. Des morceaux de glace de la taille des graines de cacahuètes s’abattent alors momentanément dans des régions entières.

En général, la chute des grêlons est très brève, plus brève que celle des pluies. Seulement, cette fois-ci, dans la zone de Bafou-Nord, autour de 1700 mètres d’altitude, la situation inattendue a été très importante. Rien ne laissait présager une chute aussi dense de grêlons.

En effet, la dernière chute de grêlons dans la région est à peine notée dans la mémoire collective. On s’en souvient de manière anecdotique, sans prêter attention de manière profonde. Du fait notamment de cette irrégularité, les systèmes de contrôle et de suivi météorologiques officiels y prêtent peu attention. Cependant, les populations rurales, petits exploitants agricoles sont les premiers et parfois les seuls à payer les prix forts de ces inattendus climatiques.

Les effets pervers

Pour cette année, c’est au milieu du mois de juin 2017 qu’une chute exceptionnelle des grêlons a été enregistrée dans la zone de Bafou. Derrière l’hilarité populaire de voir Bafou sous la « neige », information vite répandue via les médias sociaux, il y a eu une analyse un peu moins sensible sur les exploitations agricoles. En effet, la chute, qui a eu lieu pendant une seule journée a sévèrement abîmé le matériel végétal dans les parcelles agricoles. Ce sont essentiellement les cultures vivrières, bases de l’alimentation familiale qui ont été les plus touchées.

Les grêlons ont en effet détruit pour environ 100 % l’appareil foliaire des plantes en pleine croissance : pomme de terre, maïs, arachides, macabo, haricot et autres légumes feuilles. Les bananiers ne sont pas épargnés . La fonte intervenue moins de 24 heures après la chute, n’a pas été sans conséquence perceptible sur les cultures et les sols.
Cependant, même si l’analyse quantitative est restée très sommaire, il est apparu, au regard des stades végétatifs des plantes et de l’ampleur des dégâts, que les récoltes escomptées dans les exploitations touchées ne seront plus les mêmes, voire compromises.

Et si les récoltes sont compromises pour les ménages ruraux dans la zone concernée, il va de soi que la facture se paiera plus tard, dans les moments de soudure, c’est à dire des mois après la récolte. De même, l’ampleur du phénomène ne sera pas forcement perçue comme dramatique dans l’immédiat en raison des modes d’approvisionnement des ménages en aliments de base et de la tendance assez répandue dans la zone à exploiter la terre sur des parcelles territorialement distantes. Devant les risques potentiellement importants de tels phénomènes, il existe plus d’une démarche de solution.

Les réactions typiques de gestion

La mémoire joue un rôle fondamental dans la prévision et la construction des systèmes y afférents dans toutes les communautés humaines. Les événements les plus dévastateurs au plan agricole dans cette région des hautes terres semblent avoir été essentiellement l’invasion des chenilles défoliatrices qui a été épisodique et singulièrement répandue, et plus récemment, une maladie fongique des taros. Si les deux soucis ont été maîtrisés avec des arguments techniques, les aléas du climat, notamment les imprévisions de la chute de grêlons, ne sont pas encore convenablement contrôlées.

Dans les communautés de Bafou comme celles de l’Ouest Cameroun, la chute des grêlons fait partie des artefacts climatiques, surtout pendant les périodes les plus froides de l’année. Très souvent, la chute de grêlons n’est pas très importante, ce qui a amené à une faible considération de ce phénomène dans les itinéraires agricoles.

L’ampleur de l’épisode récent fait penser au besoin de mener des actions conjointes, en utilisant les richesses de la mémoire collective et les développements scientifiques pour préparer des réponses adéquates. Aucune impréparation ne sera sans conséquence, car les plus grands changements dans l’humanité ont été de nature climatique !

Félix Meutchièye
Dr-Ing, Faculté d’Agronomie et des Sciences Agricoles, Université de Dschang – Cameroun (Spécialité : Amélioration Génétique Animale et Systèmes de Production)
Contact : fmeutchieye@gmail.com
Pour plus de détails :
http://menouactu.com/article/Affaire-de-la-neige-%C3%A0-Bafou-R%C3%A9action-d-%80%99un-expert+131?id=131