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Paradoxes d’un système de production agricole : la riziculture camerounaise en quelques questions !
Le Cameroun dépend encore largement des importations pour satisfaire sa demande nationale en riz. Les tentatives de développement de la production rizicole, amorcées depuis longtemps, ont rarement donné des résultats probants. Mais, depuis quelques années l’espoir renait grâce à l’introduction du SRI. Radioscopie du secteur rizicole camerounais en quelques questions !
Sécurité alimentaire : Une histoire de dupes ?
Selon une évaluation globale, le Cameroun jouit de l’autosuffisance alimentaire. Toutefois cette autosuffisance demeure très précaire. Les évènements de Février 2008 [1] sont encore de fraîche mémoire pour témoigner de cette précarité. Ces « émeutes de la faim », même si elles ont parfois des relents politiques, ne sont jamais très loin et risquent de continuer à embraser nos villes tant que des solutions concertées et efficaces, ne sont pas trouvées pour assurer une sécurité alimentaire durable aux populations. Mais l’horizon d’une abondance alimentaire pour tous semble encore lointain puisque des données récentes de la Banque Mondiale et de l’Institut National de la Statistique révèlent qu’environ 28% des Camerounais vivent en situation d’insécurité alimentaire et que trois des dix régions que compte le pays, à savoir l’Extrême Nord (25% de taux d’autosuffisance alimentaire), le Littoral (56%), et le Nord (83%), sont déficitaires sur le plan alimentaire. Les difficultés de transfert des productions entre les zones productives et les zones déficitaires et la pauvreté sont les principaux facteurs à l’origine de cette insécurité. Avec une population urbaine de 51% et 4 ménages urbains sur 5 vivant essentiellement du riz, on peut se demander si les manifestations de 2008 n’étaient pas « rizogènes ». Le Cameroun est actuellement le plus grand fournisseur de produits vivriers et maraîchers d’Afrique Centrale, mais paradoxalement, il doit encore importer annuellement d’énormes quantités de riz pour satisfaire la demande nationale. Le pays a importé 545 000 tonnes de riz en 2011, pour 145 milliards de FCFA. En 2010, les importations de riz étaient de 350 000 tonnes. Soit une augmentation de 35% (ACDIC, 2012).
La mort prématurée des sociétés d’encadrement a-t-il sonné le glas de la riziculture camerounaise ?
Le projet d’intensification rizicole au Cameroun date de la période coloniale. En 1950, les colons français entreprennent d’intensifier la culture du riz et celle du coton pour approvisionner les centres urbains en produits vivriers et les industries textiles en matières premières. L’entreprise est cependant peu fructueuse dans l’ensemble. Dans les années 60, les autorités du Cameroun indépendant, avec l’aide de bailleurs de fonds internationaux décident de prendre les choses en main. Un projet rizicole de plusieurs milliers d’hectares est mis en œuvre en pays Massa.
La SEMRY (Société pour l’expansion et la modernisation de la riziculture à Yagoua) voit le jour à la fin des années 60. C’est une structure gouvernementale dont les stratégies ne sont pas très claires. Les interventions de toute nature (jumelage, péréquation) qui ont caractérisé les actions successives de l’État pour tenter de protéger la filière riz n’ont pas davantage été couronnées de succès et c’est surtout par des subventions périodiques importantes que la SEMRY a pu survivre. Toutefois, les transformations socio-économiques, qui ont eu pour théâtre les aménagements hydro-agricoles de SEMRY sont, sans aucun doute, les plus importantes qu’aient connu les Massa de la région de Yagoua. L’activité rizicole s’est peu à peu intégrée au système de production des Massa (agriculture, élevage, et pêche). Les techniques intensives (principalement le repiquage) ont été assimilées rapidement et ont permis d’obtenir des rendements moyens élevés estimés à 5 t/ha et des revenus monétaires importants.
Le potentiel de production rizicole du Cameroun se situait alors principalement dans les régions de l’Extrême-Nord, du Nord, de l’Ouest et du Nord-Ouest qui représentent 94% de la production et 95% des superficies. La production nationale est estimée à près de 84 000 tonnes /an répartie sur environ 40 000 ha, dont une bonne partie estimée à 15 000 tonnes est assurée en dehors des grands périmètres rizicoles par des petits producteurs villageois dans les bas-fonds, le long des berges de rivières et en culture pluviale.
A la suite de la SEMRY, d’autres structures d’encadrement virent le jour (SODERIM, UNDVA, LAGDO). Elles encadraient les riziculteurs privés, produisaient et commercialisaient le riz. Mais l’irrigation est frappée par la crise, à la fin des années 70, ce qui a notamment affecté les grandes sociétés d’État de ce secteur. Les réformes engagées par l’État après son retrait du secteur productif ont abouti à la dissolution de certaines sociétés et à la restructuration de certaines d’entre elles (SEMRY, UNVDA). Une évaluation de la situation du désengagement de l’État montre que sur les 17 000 ha aménagés dans les années 70, une superficie importante de ces périmètres n’est plus en production par manque d’entretien et d’équipement lié à la privatisation des entreprises publiques qui gèrent ces périmètres.
La SODERIM s’est éteinte après le désengagement de l’Etat. Avec l’avènement de l’ajustement structurel, le projet piloté conjointement par le Cameroun et la Chine se meurt dans une sorte d’indifférence. Les Chinois sont partis. Les populations rurales qui y voyaient une opportunité ont résisté quelques années, mais ont fini par se lasser et abandonner le rêve. La paupérisation monte alors en flèche. En imposant leurs politiques d’ajustement structurel et de libéralisation du commerce, les institutions financières internationales ont contribué à la mort programmée de la production locale de riz et à la privatisation des sociétés de développement du secteur agricole. En l’acceptant benoîtement sans solution de rechange, l’État a frotté les allumettes d’une sourde colère, non seulement dans les campagnes, mais plus loin dans les villes du fait de l’exode massif.
Un vent de Renouveau souffle avec le SRI ?
Le Projet d’appui au développement des filières agricoles (PADFA) initié en 2010 pour réduire l’impact de la pauvreté des populations rurales a misé sur deux filières jugées à fort potentiel économique pour la majorité des exploitations rurales : le riz et l’oignon. L’intensification a semblé de ce fait la seule option possible. Les objectifs de production de riz visent le passage de 50 000 t de riz décortiqué à près de 200 000 t afin de satisfaire une bonne partie de la consommation nationale. Le SRI offre à l’état actuel les meilleures opportunités : économies à divers niveau : 50 % d’eau, 90 % de semences, utilisation quasi nulle d’herbicides et d’engrais chimique. Les revenus des paysans utilisant le SRI peuvent augmenter de 74 %. Le rendement peut atteindre 12 voire 15 tonnes par hectare dans des conditions optimales. Le SRI répond aux différents enjeux de l’agriculture agro-alimentaire : occuper moins de surface, préserver l’environnement et permettre de lutter contre la sous-alimentation.
Au cours des deux dernières années écoulées, quelque 10 tonnes de semences améliorées de riz ont été octroyés à 2500 agriculteurs camerounais par l’Institut de recherche agricole pour le développement (IRAD). Lesdites semences sont constituées de trois variétés de type Nerica, qui est un croisement de riz asiatique et africain. Les chercheurs de l’IRAD vantent la résistance de cette plante aux maladies, mais aussi son bon rendement sur un cycle plus court que la moyenne. Mais la faiblesse de s’appuyer toujours sur l’extérieur n’a pas quitté les politiques stratégiques : « la production et la distribution des semences va se poursuivre, avec l’aide de l’ONG AfricaRice et l’appui du gouvernement japonais », a précisé le directeur général de l’IRAD, Jacob Ngeve ». La fixation sur la production du paddy et peu sur la transformation (absence d’unité de décorticage) est une faiblesse à corriger dans les meilleurs délais. Faute de transformation, elle est principalement vendue aux commerçants nigérians sous la forme de riz paddy.
La mécanisation, même artisanale reste encore un voeu pieux. La coalition pour le développement du riz en Afrique (CARD) a préconisé une ouverture aux privés, notamment par une organisation rigoureuse et efficiente. Par le biais de la CARD, on assiste à l’introduction du riz pluvial en zone forestière ainsi que dans les grands bassins qui abritent les deux grands centres de consommation que sont Yaoundé et Douala, et de l’appui à la culture du riz irriguée dans les grandes zones que sont l’Extrême-Nord et le Nord-Ouest ou encore du riz de plateaux à l’Ouest.
La Haute Vallée du Noun : Un bassin rizicole en expansion ?
L’intensification rizicole débute dans la Haute vallée du Noun en 1970 avec la création de la Société de Développement de la Haute Vallée du Noun (originellement The Upper Nun Valley Development Authority -UNVDA). Cette structure est née de la volonté politique d’encadrer les communautés rurales voisines de deux entités administratives (Ouest et Nord Ouest) partageant la vallée du fleuve Noun. Le domaine public de l’Etat octroyé à UNVDA est de 15.000 ha, (environ 1/5ème de cette superficie est exploitée), pour une production de 15.000t de paddy et presque 10.000t de riz destiné à la consommation.
Depuis sa création, UNVDA a aménagé au profit des petits exploitants près de 3.000ha de casiers rizicoles améliorés. Quelques 14 mini-barrages ont été construits, ainsi que 49 distributeurs collectifs et 22km de canaux d’irrigation installés, avec en plus l’entretien de plus de 150km de pistes rurales créées pour l’écoulement de la production familiale. Grâce à l’adoption de nouvelles méthodes de culture inspirées du SRI, on est passé de 500 tonnes de riz paddy traité en 2011 à 1200 tonnes en fin septembre 2012. Aujourd’hui UNVDA encadre directement plus de 15.000 producteurs (dont plus de 50% de femmes). Des demandes d’assistance au-delà de la zone de compétence de UNVDA sont adressées à l’organisation. Les formations pratiques sont régulières, et la stratégie de commercialisation basée sur des conditionnements « pour tous » : 50kg, 25kg, 10kg, 5kg, et 2kg a développé en deux ans des filières de vente dans les principales villes et maintenant étendues jusqu’au Gabon.
UNVDA, en plus du riz, fournit annuellement pas moins de 200t de sous produits (farines blanches, sons et brisures) à l’industrie locale et surtout aux éleveurs de porcins. Le dialogue et le partenariat initiés avec les éleveurs bovins favorise une meilleure cohabitation.
Conclusion
UNVDA envisage dans un horizon proche l’extension des casiers rizicoles à 20.000 ha, avec la participation de 70.000 petits exploitants organisés en petites coopératives locales. Pour atteindre son potentiel annuel de 500.000t d’ici la prochaine décennie, UNVDA entend inaugurer avec la mécanisation directe au moins 10.000ha de casiers, à la demande des producteurs. L’un des enjeux actuels reste tout de même la problématique de l’irrigation. En effet, il n’existe pas de législation propre à l’irrigation et au drainage au Cameroun. Le pays dispose d’une loi portant régime de l’eau, à savoir la loi N° 98/005 du 14 avril 1998. Cette loi fixe le cadre juridique général du régime de l’eau et veille sur la protection contre la pollution de l’eau, la préservation des ressources en eau, la qualité de l’eau destinée à la consommation et les sanctions dues au non-respect de la loi.
L’avenir de l’irrigation au Cameroun passe par l’aménagement et la gestion de petits périmètres par des groupements paysans, l’intégration avec d’autres secteurs tels que l’aquaculture et le petit élevage, l’intensification des cultures irriguées, l’amélioration des infrastructures de communication et l’accès au crédit. Il faudrait pour ce faire créer une agence de régulation du secteur de l’eau pour un meilleur fonctionnement du secteur en l’absence d’un cadre réglementaire rigoureux. Et on aura ainsi du riz pour tous.
Félix Meutchieye,
Enseignant-Chercheur, Faculté d’Agronomie et des Sciences Agricoles, Université de Dschang
fmeutchieye@univ-dschang.org
Avec l’aimable collaboration de :
Richard Chin Wirnkar,
Ingénieur Agronome, Directeur Général de UNVDA
Paul Esenei,
Ingénieur Agronome, Superviseur Régional Nord Ouest,
Programme de Vulgarisation Agricole