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Editorial
Système de Riziculture Intensive (SRI), Adaptation au changement climatique et sécurité alimentaire.
Le riz constitue l’aliment de base de plus de la moitié de la population mondiale.
Il représente aussi une denrée incontournable pour les ménages africains. Par exemple, l’Afrique de l’Ouest à elle seule, importe annuellement, 5, 2 millions de tonnes de riz représentant près de la moitié de ses besoins.. Cette forte dépendance aux importations déséquilibre gravement la balance commerciale des États africains, menace la souveraineté et la sécurité alimentaire et charrie de potentiels germes de déstabilisation sociale. En effet, vers la fin de l’année 2007 et au début de 2008, face aux effets du retard des récoltes des riz thaïlandais et vietnamien combinés à la décision de l’Inde d’interdire les exportations pour protéger ses consommateurs, le prix du riz a connu une flambée extraordinaire et la denrée était devenue introuvable. Conséquence : de violentes émeutes dites de « la faim » éclatent dans la quasi-totalité des pays africains grands consommateurs de riz. Ces émeutes ont eu le mérite de rappeler aux décideurs africains, l’urgente nécessité de mettre en place des stratégies pour augmenter leur production céréalière. Du riz en particulier. La découverte du SRI et sa généralisation, apparaissent ainsi, comme une formidable opportunité pour renverser la tendance actuelle, accroître durablement la production de riz en Afrique et lutter contre l’insécurité alimentaire qui guette la majorité de la population.
Le SRI, un système rizicole innovant
Le SRI a été introduit pour la première en Afrique en 1983/1984 par un prêtre jésuite du nom de Henri De LAULANIE installé à Madagascar. Cette année là, il met au point, de manière accidentelle, avec ses étudiants et amis producteurs une nouvelle technique agricole. En effet, la sécheresse et le retard accusé par les premières pluies les ont obligés à repiquer des plants de riz de quinze jours dans des poquets comprenant un seul brin et disposés de façon très espacée.
Les résultats obtenus furent spectaculaires ; les jeunes plants se sont très vite développés et ont donné parfois jusqu’à 20 épis. L’expérience est reproduite au cours de la campagne suivante dans les mêmes conditions pédo-climatiques mais cette fois avec des plants plus jeunes (9, 10, et 12 jours). Le résultat est encore plus étonnant. Le nombre d’épis par plant est de 60 à 80 malgré la faible quantité d’eau disponible. Il ressort ainsi de cette expérience que le nombre d’épis de riz augmente au fur et à mesure qu’on utilise des plants plus jeunes. Partant de ces expériences, il pousse la recherche pour mieux comprendre le cycle et les conditions pour le développement optimal des plants de riz. Le Système de riziculture Intensive (SRI) ou SARI (système agro écologique de riziculture intensive) est né.
Fondé sur des techniques innovantes simples, une utilisation rationnelle de l’eau et des semences, le SRI se pose comme un système de riziculture alternatif très adapté pour les paysans pauvres en ressources. Il permet une productivité de 20 t /ha dans les conditions optimales au moment où les systèmes traditionnels n’en permettent pas plus de 2t/ha à Madagascar.
Produire plus et mieux
Au plan technique, le SRI est une pratique simple et maîtrisable par les petits producteurs familiaux. Du fait de la quantité réduite de semences qu’il induit, le SRI ne nécessite pas de grandes pépinières. En outre, le SRI permet d’économiser près de 40% d’eau par rapport à la riziculture traditionnelle. Contrairement aux idées reçues, le riz est loin d’être une plante d’eau. Elle a certes besoin d’eau pour se développer, mais l’inondation constante inhibe sa croissance. Le SRI qui alterne des périodes d’inondation des rizières et des périodes de détrempage est sans doute l’un des meilleurs systèmes dans des conditions de pluviométrie aléatoires, particulièrement dans le Sahel.
Le SRI favorise, par ailleurs, la réduction du cycle cultural du riz. Ce qui implique la possibilité de faire deux campagnes même sur les hautes terres et la réduction de la durée de la période de soudure. La culture de contre saison devient possible avec la courte durée de la mise en pépinière.
Au plan économique, l’économie de semences favorisée par le repiquage brin par brin réduit les sommes dépensées pour l’achat d’intrants. Mais ce qui fait l’intérêt du SRI, c’est surtout l’augmentation importante du rendement qu’il favorise. Il reste ainsi un outil remarquable pouvant contribuer à la sécurité alimentaire dans de nombreuses régions du monde minées par la famine. L’augmentation des revenus des paysans, grâce au surplus de production permet l’achat de compléments alimentaires, de diversifier leurs activités et de se soustraire de la pauvreté, à long terme.
Au plan environnemental, le SRI est un moyen efficace de réduction des gaz à effet de serre. L’émission de méthane est considérablement réduite comparée à la riziculture traditionnelle.
De ce point de vue, le SRI peut être considéré comme une excellente pratique d’atténuation du réchauffement et d’adaptation au changement climatique.
Une méthode agricole en expansion
Face aux périls environnementaux engendrés par les systèmes de riziculture traditionnelle (SRT) et pour augmenter de manière conséquente la production de riz, les producteurs n’hésitent plus quand l’alternative SRI se présente. Partout en Afrique et en Asie, l’espoir de produire suffisamment de riz pour freiner l’insécurité alimentaire chronique repose désormais sur des projets SRI. C’est ainsi que l’État rwandais, a initié en partenariat avec des réseaux de paysans riziculteurs deux projets majeurs pour augmenter sa production rizicole. Les bassins versants constituent la zone d’intervention des deux projets et leur mise en œuvre a permis de lutter, avec succès contre la dégradation accélérée des sols et de redonner un nouveau souffle à une riziculture en mal de productivité. Avec la mise en œuvre des techniques du SRI, la productivité avoisine désormais les 6 à 8 tonnes par hectare, contre 2 à 3 tonnes dans le système traditionnel de riziculture.
Au Burkina Faso également, le SRI est en train de prendre ses marques. Devant l’appauvrissement des terres de la vallée du Kou après 4 décennies d’exploitation intensive et la chute des rendements, l’insécurité alimentaire s’est installée. Elle atteint durement les couches les plus défavorisées avec une malnutrition touchant les enfants et provoquant l’exode des paysans qui abandonnent leurs champs. Un groupement de producteurs (AMAPAD) appuyé par un partenaire a introduit le SRI, à travers un programme de formation aux principes du SRI pour assurer la sécurité alimentaire, lutter contre la pauvreté, et préserver les ressources naturelles et l’environnement.
Madagascar s’est aussi illustré dans la formation aux méthodes SRI. Mais l’originalité de son expérience réside dans le ciblage des groupes les plus vulnérables, comme les femmes. Celles-ci jouent un rôle de premier plan dans la production rizicole. A travers leur capacité à s’organiser, elles constituent des relais importants pour la vulgarisation de nouvelles innovations. C’est ainsi qu’elles furent mises à contribution à travers un programme de formation aux méthodes SRI afin d’en faciliter la diffusion à travers la Grande île.
En dépit d’énormes potentialités, la production locale de riz ne couvre que 60 % des besoins du Benin. Les différents systèmes de riziculture que sont la riziculture pluviale, la riziculture de bas-fonds et la riziculture irriguée, développés depuis les années 1960, ont véritablement montré leurs limites avec moins de 3 tonnes par ha. Ainsi, les impératifs de sécurité alimentaire ont alors amené les producteurs à s’orienter vers le SRI.
Même constat au Sénégal où les changements climatiques ont bouleversé la plupart des habitudes des producteurs agricoles. C’est le cas des riziculteurs de la région de Fatick située au Centre Ouest du pays. Là-bas, la salinisation, la dégradation et l’appauvrissement des sols ont rendu vulnérables les écosystèmes et affecté négativement la culture du riz. Grâce à un projet initié par le Gouvernement sénégalais, le SRI a été introduit dans les vallées de cette région. Les succès enregistrés au cours des premières expérimentations ont suscité un grand engouement des populations pour ce nouveau système qu’elles adoptent de plus en plus.
Même si l’Afrique est le berceau du SRI, d’autres régions du monde se sont très vite appropriées le système, allant même parfois jusqu’à revendiquer le titre de champion du SRI. C’est le cas de l’Asie, qui en quelques décennies s’est forgée une solide expérience en matière de SRI. Ce système a conforté l’Asie du Sud-est dans sa place de grenier rizicole du monde.
Au Myanmar, dans l’État du Rakhine du Nord (NRS) tout comme dans la vallée de l’Ayeyarwaddy (canton de Bogale,), le SRI est en train de rayer, petit à petit, du paysage agricole les systèmes de riziculture traditionnelle. Il y a été introduit dans les années 2000 grâce à la coopération française. L’objectif était de changer les mauvaises pratiques observées dans la gestion des cultures de riz et d’offrir de meilleures opportunités dans la production rizicole aux paysans après le passage meurtrier du cyclone Nargis qui avait mis à genou l’agriculture. La méthode SRI s’est avérée un outil efficace de redynamisation du secteur rizicole et de lutte contre l’insécurité alimentaire.
La diffusion à grande échelle du SRI, un défi persistant
Aujourd’hui, 30 ans après la découverte du SRI, la production rizicole a-t-elle bondi ? Certainement, oui. Dans presque tous les pays où le SRI a été introduit, la production a connu une hausse vertigineuse.
Mais malheureusement le rythme de croissance de cette production est encore loin d’atteindre le niveau de croissance de la population. Résultat : les délais pour l’atteinte des objectifs d’autosuffisance alimentaire reculent, d’année en année. Aussi, malgré les avantages connus du SRI, la méthode reste encore le fait d’une minorité. C’est le cas du berceau du SRI, Madagascar, un pays qui dépend encore largement des importations pour couvrir les besoins d’une population en expansion constante. Une situation qui s’explique largement par la persistance de modes de production très peu productifs. En effet, sur les 1 060 000 ha de surface rizicole de Madagascar, le SRI n’occupe qu’environ 6% de cette superficie. Le nombre de pratiquants recensés du SRI (180000) représente à peine 9% des riziculteurs du pays. Il semblerait que les populations restent encore très réfractaires au changement de mode de production. Les stratégies nationales de diffusion du SRI restent aussi peu adaptées pour favoriser une bonne dissémination de la pratique tandis que les problèmes qui gangrènent toute la filière riz (accès au crédit, accès aux intrants, formation…) peinent à être levés. C’est pourquoi certains préconisent une amélioration profonde de l’environnement général de la filière riz pour susciter l’engouement des paysans pour une quelconque innovation.
Au Cameroun, c’est le désengagement de l’état vis-à-vis des anciennes structures d’encadrement des paysans qui semble avoir sonné le glas de la riziculture et hypothéqué les chances de diffusion à grande échelle du SRI. La méthode essaime tout de même et suscite l’espoir d’une population dont la grande majorité vit essentiellement de riz.
Des efforts importants restent cependant à déployer un peu partout dans le monde pour une large diffusion du SRI.
AGRIDAPE, plateforme d’échanges, de vulgarisation des innovations paysannes et de débats, en consacrant ce numéro au SRI, cherche à mettre en exergue des expériences diversifiées en Asie et en Afrique pour tirer les leçons de leurs réussites et échecs.
Une réflexion approfondie autour de ces expériences, impliquant tous les acteurs, pourrait permettre de trouver la meilleure voie pour renforcer les connaissances sur cette pratique, la vulgariser et faciliter sa mise à l’échelle afin de contribuer à son adoption massive. La diffusion à grande échelle du SRI est un sérieux gage pour l’amorce d’une ère d’abondance pour tous.