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AGRIDAPE info-Interview
Adrien Massonet a effectué dans le cadre de ses études de géographie un stage de six mois au sein du groupement SRI de Madagascar. Il a travaillé sur la question de l’environnement institutionnel du SRI, il a tenté de comprendre dans quelles mesures le SRI pouvait être une réponse aux défis alimentaires et au sous développement à Madagascar.
Dans cet entretien il livre des éléments de réponse.
Adrien Massonnet, géographe français
« Le SRI ou les pratiques améliorées plus globalement, sont un des points
clés d’un projet de développement rural »
Pourquoi le SRI a-t-il véritablement suscité un espoir en terme de développement (réduction de la pauvreté, sécurité alimentaire...) de Madagascar berceau de cette technique ? Quelles en ont été
les conséquences ?
Il faut préciser que bien avant la diffusion du SRI, mis à l’épreuve pendant le Plan National de Vulgarisation Agricole (PNVA), le SRA1 avait été diffusé et amélioré au fil du temps (réduction du nombre de brins, de l’âge du plant, plus d’espacements) sans pour autant s’être véritablement répandu.
Le PNVA était un grand programme d’envergure, avec des objectifs, une organisation planifiée et une relative coordination, avec des moyens plus conséquents que les actions entreprises précédemment. L’idée d’améliorer la technique culturale n’était pas nouvelle (date des années 1960). Mais
le SRI a pris le relais en quelque sorte du SRA. C’était un choix du Ministère de l’agriculture, dans la continuité de cette idée d’améliorer la productivité, d’intensifier via de nouvelles méthodes plus modernes, sans pour autant que la diffusion du SRA ne cesse. Le SRI tombait bien : il était capable d’atteindre des rendements de 3 à 6 tonnes à l’hectare si ses principes étaient respectés. L’amélioration des rendements permise par l’application du SRI aurait
procuré des excédents rizicoles notoires comparée à la pratique rizicole dite traditionnelle qui n’est sensée produire que 1 à 1,5 tonne par hectare et donc incontestablement une diminution de l’insécurité alimentaire dans le pays. Le riz étant l’aliment de base à Madagascar.
Depuis les années 1990, l’essentiel du développement à Madagascar se fait par
le biais des acteurs/institutions de coopération bilatérale, multilatérale. Le SRI s’est avéré intéressant pour ces acteurs parce qu’en matière de développement rural et d’amélioration de la productivité rizicole ils se trouvaient dans « l’impasse ». Les intrants ont toujours été trop coûteux et hors de portée de la majorité des paysans.
Les multiples tentatives de diffusion d’engrais, de semences améliorées
s’avèrent la plupart du temps insuffisantes. De ce fait,le nombre de projets qui vont porter sur le développement rural et en particulier intégrer la vulgarisation du SRI, va exploser à partir de la fin des années 1990 . C’est le début d’une nouvelle ère pour l’Ile. Cette période se caractérise par un accroissement du nombre d’acteurs et d’institutions qui vont être impliqués dans le développement du pays. Ainsi, de l’élaboration à l’exécution d’un projet, plusieurs institutions et acteurs se mobilisent : on trouve les bailleurs de fonds, des Ministères (Agriculture, Élevage, Pêche, des Travaux
Publics, Environnement, des Finances etc.), les ONG, associations et autres prestataires, et les paysans qui voient progressivement leur représentativité s’accroitre (organisations paysannes, confédérations paysannes et autres organismes représentatifs).
Vous constatez que le SRI n’a finalement pas été à la hauteur des espérances. Il semble que les Institutions (politiques, ONG), l’aient davantage adopté que les paysans. Quels ont été les freins à sa diffusion parmi les paysans ?
La réponse à cette question n’est pas évidente. Les freins à la diffusion du SRI ne peuvent se limiter à un problème paysan et mon mémoire l’a en quelque sorte montré. Donc pour répondre strictement à votre question, disons que la manière dont le SRI a été diffusée dans les années 1990 lors du Plan National de Vulgarisation Agricole (PNVA) est critiquable de par le manque de formations des techniciens vulgarisateurs.
Ceux-ci ne maitrisaient pas bien voire pas du tout la technique du SRI. Et une technique mal maitrisée peut avoir un effet dissuasif, surtout s’il y a une baisse des rendements due à une mauvaise pratique. Le SRI n’était pas bien
connu, personne n’était vraiment prêt pour une diffusion de grande ampleur (en
admettant qu’elle était possible or le SRI n’est pas applicable partout à cause de la nécessaire maitrise de l’eau (et on ne s’en serait pas rendu compte tout de suite à l’époque). Ensuite dans la mise en œuvre du SRI, beaucoup de paysans ont affirmé que c’était une méthode plus dure, plus longue et plus coûteuse à appliquer. C’est tout-à-fait vrai avec une nuance à apporter
concernant la longueur de la tâche (repiquage surtout) et le coût. Une fois
que les repiqueuses ont pris l’habitude de repiquer brin par brin le riz, lors des prochaines cultures, elles éprouveront moins de difficultés et iront bien plus vite. Il y a aussi le blocage psychologique, le frein lié à l’innovation qui peut s’opérer au niveau villageois (et l’exclusion sociale qu’elle peut entrainer). Il y a donc des limites physiques, des limites matérielles (financières),
socio-culturelles. Il y a enfin une autre limite non des moindres, le fait que
le SRI soit diffusé dans le cadre de projets de développement. Même si, le choix leur est laissé, les paysans chercheront à adopter une méthode durant un projet, parce qu’ils vont être accompagnés, ils vont être aidés (subventions, dons), ce qui n’est pas négligeable pour eux.
La maitrise de l’eau reste un frein indéniable pour une diffusion plus large du SRI.
L’assèchement de la rizière sous-entend aussi l’impossibilité de pratiquer des activités de pêche, largement répandues dans certaines régions et surtout vitales parfois.
Dans la mesure où un paysan adoptant certains principes du SRI est un paysan pratiquant le SRA, bien souvent, dans les statistiques tirées des rapports, on mélange les adoptants du SRA/SRI et il est donc devenu aussi plus compliqué d’estimer le nombre d’adoptants du SRI. Ce « léger flou » continue d’entretenir une certaine ambiguïté auprès des acteurs.
Enfin, pour des paysans dont la production est autour du seuil de survie il y a une certaine prise de risque à adopter une nouvelle technique que beaucoup ne peuvent pas se permettre.
A Madagascar deux acteurs associatifs majeurs portent la diffusion du SRI. L’association Tefy Saina et le Groupement SRI, ils sont aujourd’hui en crise, pouvez vous en expliquer la (les) raison(s) ?
Tout a été une question d’argent. Il y a eu une scission de Tefy Saina suite à des querelles internes pour le pouvoir et l’argent dans cette association. Les deux branches sont aujourd’hui en crise et elles sont presque vouées à disparaitre faute de financements et d’avoir trouvé une nouvelle génération de défenseurs du SRI dans leurs rangs. Ils gardent leur image d’héritiers mais reste ancrés, ou du moins semble rester ancrés sur une position trop rigide
du SRI. L’évolution du SRI actuelle fait qu’on le considère comme un paquet de
techniques applicables progressivement, ce qui engendrerait les mêmes résultats que dans les années 1990. A savoir : très peu de paysans pratiquent le SRI. Ils pratiquent quelques principes techniques du SRI (donc du SRA) mais pas l’ensemble des principes du SRI. Dès lors, le SRI n’est que très faiblement adopté. En revanche, l’intensification par la diffusion et l’adoption de principes techniques de pratiques culturales améliorées se diffuse largement.
Du coté du GSRI, le fonctionnement du secrétariat du groupement, qui était le seul véritablement à représenter une ou des activités au titre du groupement, était financé exclusivement par la fondation Better U de l’acteur américain Jim Carrey. D’où une relation bailleur/bénéficiaire avec un droit de regard. Seulement à exiger trop de comptes pour des financements très faibles, voir en les réduisant sans tenir compte des tâches réalisées (et qui se sont par ailleurs accrues pour le secrétariat), et à vouloir faire valoir leurs intérêts au nom de BUF (et non pas au nom du secrétariat GSRI), le secrétariat a prétendu mettre la clé sous la porte. A l’issue de négociations, de nombreuses réunions et d’une Assemblée Générale, il en ressort que la fondation
BUF ne s’occupait plus du financement du GSRI.
Le SRI a aussi été vu par les institutions (ONG, scientifiques, Gouvernement)
comme une réponse aux défis alimentaires Malgaches dans les années 90.
Non seulement pour atteindre l’autosuffisance, mais également la sécurité
alimentaire du pays. Pouvez-vous rappeler quels étaient les objectifs fixés ? Et
quelle est la situation actuelle ?Comment expliquer cette « désillusion » ?
Les chiffres ne sont pas forcément évidents à obtenir. L’objectif fixé par le ministère était d’améliorer la productivité en vulgarisant des techniques culturales modernisées et de diffuser des paquets techniques (semences, engrais chimiques). Depuis des décennies même, les gouvernements cherchent à augmenter la production rizicole.
Étant donné que près des deux tiers des Malgaches vivent en milieu rural et
que les trois quarts d’entre eux tirent leurs revenus de la riziculture, ce choix peut être considéré comme pertinent. Une chose est sûre, il n’y a pas de famines. Le système de l’aide d’urgence est très bien rodé (voire instrumentalisé dans certains villages).
Le gouvernement malgache dans sa stratégie nationale de développement de la
Riziculture s’est donné pour objectif de contribuer à la sécurité alimentaire dans
toutes les régions, à l’amélioration de la croissance économique et améliorer les revenus et la situation des acteurs de la filière. Ainsi, L’objectif fixé était de doubler la production rizicole entre 2006 et 2009 (pour atteindre 7 millions de tonnes de Paddy)3 et de la tripler d’ici 2012. Cet objectif n’a pas été atteint puisque d’après le Ministère de l’Agriculture 4,5 millions de tonnes de Paddy ont été produit en 2009 à Madagascar. Aujourd’hui, le pays est obligé d’importer pour nourrir principalement les urbains, ce qu’il faudrait c’est davantage valoriser la production nationale de riz.
Côté sécurité alimentaire donc malnutrition et donc sous-nutrition, il y a des progrès à faire. D’après l’USAID (coopération américaine), en 2009, 65% de la population font face à l’insécurité alimentaire.
Cette fragilité est accentuée par les phénomènes climatiques (tempêtes, cyclones, inondations, sécheresse...) de plus en plus fréquents. Les récoltes détruites entrainent une baisse de la production par habitant et une hausse des prix qui accroit l’insécurité alimentaire en particulier urbaine.
On constate aussi une augmentation du taux de pauvreté entre 1993 et 2010, elle passe de 70 à 76,5 et un grand nombre de personnes vivent dans l’insécurité alimentaire.
Finalement, la situation du pays ne s’est pas améliorée et le SRI s’est peu diffusé.
Alors que le SRI existe depuis près de 30 ans, aujourd’hui on estime que seulement environ 180 000 paysans pratiquent le SRI sur 56 000 ha (chiffres pour la campagne 2009/2010 selon le Secrétariat GSRI) alors que le pays disposerait de 1 200 000 ha de rizières irriguées (dont plus de 700 000
ha avec des canaux donc potentiellement propices à la pratique du SRI).
La désillusion, je dirais même l’échec, vu le temps et les moyens accordés, tiennent à l’instabilité politique, aux limites du système du développement qui ne permet pas un enrichissement global en milieu rural mais bien « une réduction de la pauvreté » et une inégale amélioration des conditions de vie (puisque le développement se fait par poche, dans des zones bien définies, il est très inégal selon les régions et au sein même d’une région). La durabilité est très restreinte même si les acteurs tentent de l’améliorer, il ne reste plus grand-chose d’un projet une fois qu’il s’en va (il n’y a plus de financement pour
l’entretien des routes, des canaux, des barrages, des bâtiments), pas de secteur privé mobilisé (ou rarement) d’où pourrait émerger un bassin d’emploi. Pas de liens vraiment poussés entre secteur primaire et secondaire (sauf peut-être la pêche et la culture des crevettes, dans la brasserie).
Je pense qu’on n’a pas bien fait les choses et que l’on continue dans une certaine mesure mais je compte opérer, collaborer avec les acteurs du développement à Madagascar pour suggérer de nouvelles pistes, réfléchir à des solutions.
Vous parlez de souveraineté alimentaire de façade pour Madagascar, pouvez vous expliquer pourquoi ?
Brièvement, je dirais que les dirigeants Malgaches s’efforcent d’établir des stratégies, des politiques agricoles, qui ne seraient rien sans l’appui des bailleurs de fonds. Il y a donc bien une souveraineté alimentaire, elle est établie par le Ministère de l’Agriculture (Minagri) mais garantie, financièrement, par des acteurs étrangers influents que sont les institutions internationales et les acteurs de la coopération (qui ont un droit de regard voire plus
sur tout ce qui est décidé). Il y a donc bien une relation de dépendance propre à un pays sous-développé, sous perfusion.
L’affaire Daewoo a rappelé que si « l’État Malgache » a failli, les paysans étaient
là pour se révolter et faire en sorte que des sociétés privées ne s’emparent pas de milliers d’hectares dont ils auraient fait ce qu’ils auraient voulu.
Quelles sont selon vous, les pistes à poursuivre, les écueils à éviter afin de
permettre au mieux la diffusion du SRI ? De quelles manières le SRI s’est-il
adapté pour dépasser ces limites ?
Le prix du riz est un enjeu crucial selon moi. Il doit être suffisamment rémunérateur pour les paysans et suffisamment abordable pour les urbains. Sans cela, il n’y a pas d’incitations à produire plus et lorsqu’ils vendent le riz aux collecteurs pour pouvoir rembourser leurs dettes culturales, ils ne peuvent vendre qu’à bas prix. Le SRI doit continuer d’être présenté aux paysans comme une méthode intéressante mais dans sa version la plus moderne, c’est-à-dire, non rigide, flexible, avec la possibilité de mettre en œuvre quelques principes, toujours dans l’optique d’améliorer la productivité. Le SRI ou les
pratiques améliorées plus globalement, sont un des points clés d’un projet de développement rural, mais il ne faut pas négliger d’autres thèmes comme la gestion de l’exploitation, la fertilité, les semences, les cultures annexes, l’élevage. Il ne faut pas tout miser sur l’amélioration de la productivité
rizicole pour améliorer le sort des ruraux, cela est évident.
L’accompagnement, l’encadrement, le suivi reste primordial et lorsqu’on apprend qu’un projet dure trois ans, soit deux saisons culturales bien souvent, comment est-il donc possible de faire adopter le SRI aux paysans en si peu de temps ? Les sensibiliser c’est une chose, les faire adopter et pratiquer en est une autre. Par conséquent, le fait que le SRI soit diffusé principalement dans le cadre de projets pose en soi un problème et induit une limite à
sa diffusion.
A titre personnel, je ne m’engagerai plus dans la diffusion du SRI au sens strict mais bien dans la diffusion du SRA. Le riz n’est pas à l’heure actuelle suffisamment rémunérateur pour que les paysans prennent de
tels risques.
La piste de la mécanisation est intéressante pour la pratique du SRI avec la mise au point de repiqueuses. Piste qui était suivie de près par le secrétariat GSRI et le Minagri.
Le secrétariat a mené des activités intéressantes pour susciter un plus grand
intérêt des populations rurales (des jeunes et des parents) pour le SRI avec le SRI école.
L’approche consiste, en impliquant les parents d’élèves et les enseignants,
à installer une parcelle d’observation sur laquelle les élèves se rendront pour voir les principales étapes de la culture en SRI et l’évolution de la rizière. Il s’agit également de fournir des appuis pédagogiques à l’enseignant qui introduit les thèmes SRI dans son cours (comme le calcul de la superficie de la rizière ; en science naturelle, parler de la physiologie du riz), mais aussi des affiches, des livrets ludiques et des cahiers avec des illustrations à l’intérieur
sur le SRI. L’idée n’est pas qu’ils apprennent le SRI, mais qu’ils sachent que
cette méthode existe et qu’elle repose sur un certain nombre de principes. Cette approche vise aussi à renforcer les compétences des élèves dans la mesure où dans la plupart des cas, les élèves ne font pas le rapport entre leur quotidien et ce qu’ils apprennent en classe. Là le SRI fait le pont.
Le SRI représente également un intérêt certain pour réduire les émanations de carbone qui s’accumulent dans l’atmosphère Puisque cette technique est apparemment bien moins émettrice que la riziculture traditionnelle.
Il y aurait aussi dernièrement un projet de GCD (Groupe Conseil Développement) ou du secrétariat GSRI de lier SRI et écotourisme. Cela me semble une bonne idée. Grâce à ces évolutions, le SRI survit en dépit d’être pratiqué à grande échelle, il persiste dans des poches au gré des petits projets pertinents et novateurs du GSRI.
Interview réalisée par Estelle Millou,
journaliste française
estellemi@hotmail.com