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Gestion intégrée des ressources naturelles et revitalisation de la biodiversité dans le bassin du Lac Tana (Éthiopie)
Disposant du plus vaste troupeau de bovin d’Afrique et d’une population croissante qui passera bientôt le cap des 90 millions d’habitants, les libres pacages et pâturage deviennent un sérieux problème en Éthiopie. Les terres sont, de plus en plus, dégradées, les sols sont dépouillés de leurs nutriments et ne sont plus en mesure de se régénérer, tandis que l’incroyable biodiversité dont jouit l’Éthiopie est gravement menacée.
Pour remédier à ce problème, mais aussi introduire des mesures visant à atténuer les effets du changement climatique, le Fonds international de développement agricole (FIDA) et le gouvernement éthiopien ont mis en place le Community Based Integrated Natural Resources Management Project (projet de gestion intégrée des ressources naturelles axée sur la communauté) pour lutter contre la dégradation des terres.
Protéger les ressources naturelles et améliorer les écosystèmes locaux
Le projet est mis en œuvre dans 27 Woredas, ou districts administratifs, du bassin du Lac Tana (Région Amhara), de la zone arrosée par le Lac Tana, de la source du Nil Bleu et des rivières qui y sont reliées. Le projet de 7 ans, entamé en mars 2010, apporte un investissement total de 25,4 millions $ US à la région, dont 13 millions de la part du FIDA et 4,4 millions de la part du Fonds pour l’environnement mondial.
L’objectif principal du projet est d’améliorer les ressources naturelles du bassin grâce à une meilleure gestion des pâturages et des systèmes de production fourragère, au développement de forêts communautaires, à l’amélioration de la biodiversité et des services de l’écosystème, à l’introduction des sources d’énergie alternatives, à la création d’ activités génératrices de revenus respectueuses de l’environnement, ainsi qu’au renforcement de l’enregistrement et de la reconnaissance des titres fonciers. Le projet est mis en œuvre en partenariat avec un certain nombre d’organisations gouvernementales et non gouvernementales spécialisées dans les différents secteurs.
Après deux ans, le projet commence déjà à faire ses preuves, notamment dans la gestion des pâturages et des systèmes de production fourragère dans les différents micro-bassins autour du Lac Tana. En fermant certaines zones au pâturage et en créant des systèmes de tranchées d’eau pour prévenir l’érosion du sol et régénérer la terre, puis en introduisant des plantes herbacées et fourragères, d’énormes améliorations sont apportées dans la revitalisation de la biodiversité de la zone.
Dans le micro-bassin de Kernwary situé dans le Wodera de Dangela Zuria, au sud-est de la capitale régionale, Bahar Dar, la communauté a sélectionné, sur une superficie totale de 600 hectares (ha), environ 120 ha de terres communales (situées sur une pente douce) à fermer au pâturage. Sur ces terres, un système de tranchées d’eau en terrasse a été construit pour empêcher l’érosion des sols et approvisionner en eau le village situé en aval et le bétail en fourrage. Le système, connu sous le nom de Cut and Carry (ou sylviculture fourragère), intègre la conservation des sols et de l’eau avec la production de fourrage et la préservation de la biodiversité. Au fur et à mesure que les tranchées supérieures se remplissent d’eau de pluie et d’autres sources, l’eau ruisselle doucement à travers le système des tranchées pour créer un courant d’eau fraîche et propre en aval. Dans le même temps, les tranchées empêchent l’érosion des sols. « Les tranchées font percoler l’eau vers le bas et, au bout de quelques années, l’eau peut être utilisée par les villageois à des fins d’irrigation », a expliqué Mulugeta Dershe, le coordonnateur CBIREMP pour le Woreda de Dangela Zuria. « Avant que la communauté ne construise ce système, la zone était complètement inculte et entièrement composée de roches et de pierres. Rien n’y poussait, pas même de l’herbe, rien. En un peu plus d’un an, le changement est impressionnant : la zone est couverte de divers arbustes et herbes, affichant une biodiversité qui avait été oubliée dans cette communauté ».
L’avantage du partage de connaissances
Pour atteindre de tels résultats en un temps si court, les membres du projet, y compris les coordonnateurs et les membres de la communauté locale, ont dû travailler très dur. « Au début, les gens étaient réticents à l’idée de fermer la zone au pâturage, soutenant que leur bétail avait besoin du pâturage et qu’ils ne comprenaient pas comment la fermeture de la zone allait améliorer la situation », a expliqué Workneh Andarge, le spécialiste agroforestier du projet. Comme prévu dans le projet, les membres de la communauté locale ont effectué une visite de partage de connaissances à East Amhara et au Tigré afin de s’imprégner des programmes similaires dans d’autres régions. Le voyage a été révélateur pour eux. Ils ont pu constater les résultats et les avantages de la délimitation des zones de pâturage », a déclaré Mulugeta. « Les agriculteurs du Tigré, une région sèche et pierreuse au Nord de l’Éthiopie, leur ont fait savoir qu’ils étaient assis sur de l’or et non sur des pierres comme dans le Tigré et qu’ils devraient tirer le meilleur parti des abondantes ressources dont ils disposaient grâce au Lac Tana », a renchéri Mulugeta. Dès leur retour chez eux, les membres de la communauté ont convenu de la zone communale à fermer pour mettre en place le système cut and carry. Ils ont tous respecté l’accord. Aucun animal n’est allé paître dans la zone, et ils ont commencé à construire les tranchées. Un an plus tard, ils disposent de suffisamment d’herbe pour le fourrage, mais également pour le chaume destiné aux toits de leurs maisons respectives. Ils partagent l’herbe entre les membres de la communauté.
Bitenesh est l’une des bénéficiaires du nouveau système. C’est une jeune mère célibataire qui, suite à son récent divorce, élève son enfant de deux ans avec l’aide de sa mère. Nous l’avons rencontrée alors qu’elle était occupée à couper de l’herbe pour sa maison et ses animaux. Elle se rend à la zone fermée presque tous les matins pour couper de l’herbe et consacre son après-midi aux tâches ménagères. Elle possède trois vaches, quatre chèvres et un âne. « Avant, nous n’avions pas un seul brin d’herbe sur nos terres. Il n’y avait que des pierres et nous devions acheter de l’herbe à prix d’or auprès des commerçants pour nourrir notre bétail », a-t-elle raconté. « Dorénavant, nos animaux sont bien nourris et en meilleure santé. » Elle nous a appris qu’elle payait pas moins de 50 birrs éthiopiens (2,7 $ US) pour un seul fagot, ce qui représente un dixième du revenu d’un employé en dehors de la capitale Addis-Abeba. Au départ, les membres de la communauté sans bétail était également inclus dans l’accord de partage de l’herbe. Toutefois, ce n’est plus le cas maintenant, car ils vendaient l’herbe ailleurs quand la communauté en avait besoin.
Des activités génératrices de revenus pour les membres les plus pauvres
Pour aider ses membres les plus pauvres, principalement les jeunes chômeurs et les femmes sans terre, la communauté a adopté un certain nombre d’activités génératrices de revenus pour les aider à améliorer leurs moyens de subsistance. L’apiculture a été choisie comme l’une des activités dans la mesure où elle avait l’avantage supplémentaire de promouvoir la biodiversité de la région. La communauté a acheté 45 ruches et a formé un groupe pour gérer l’activité. Malheureusement, ils ont perdu la moitié des colonies d’abeilles à cause de l’utilisation des pesticides dans la région. « Les pulvérisations de produits chimiques sur les cultures tuent les abeilles », s’est plaint Workneh. C’est un problème pour l’ensemble de la région d’Amhara, pas seulement dans ce Woreda. Les autorités régionales doivent adopter une réglementation sur l’utilisation des pesticides, sinon nous perdrons toutes nos abeilles ». L’Éthiopie est le plus grand producteur de miel d’Afrique et est réputée pour son miel délicat en raison de la biodiversité encore exceptionnelle du pays. En attendant, la communauté locale a identifié des activités génératrices de revenus supplémentaires telles que l’engraissement des animaux dans le cadre de leurs plans pour cette nouvelle année éthiopienne à venir. Les activités ont démarré le 11 septembre.
Auteurs :
Robson Mutandi, Directeur de programme pays du FIDA pour l’Éthiopie au FIDA (r.mutandi@ifad.org)
Abebe Zerihun, Chargé de programme pays du FIDA en Éthiopie (a.zerihun@ifad.org)