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Agrobiodiversité en terres salées : l’expérience de Green Sénégal dans le village de Ndoff
Le Groupe de Recherche et d’Etudes Environnementales (GREEN Sénégal) contribue, depuis plusieurs années, à la sécurité alimentaire des communautés paysannes du Sénégal, à travers la promotion d’une agriculture durable, la protection et la préservation durable de l’environnement et des ressources naturelles. Pour aider les populations de Ndoff, un village de la région de Fatick, au Sénégal, à faire face à l’avancée de la langue salée qui menace la riziculture, GREEN Sénégal a lancé, au début des années 2000, un projet test destiné à valoriser les variétés de semences traditionnelles. Le projet a eu une incidence très positive sur la réduction de la pauvreté dans le village.
Une activité rizicole en perte de vitesse à cause de la salinisation des terres
La riziculture est une activité agricole très ancienne dans le village de Ndoff (Communauté rurale de Loul Sessène, région de Fatick, Sénégal). Essentiellement pratiquée par les femmes, elle contribue grandement à la sécurité alimentaire des populations en maintenant l’achat de riz importé à des niveaux relativement bas. La riziculture locale vient en complément à la culture de rente dont elle pallie les fluctuations (Famara Diédhiou, Assane Gueye, Nalla Mbaye in Femmes et souveraité alimentaire, Revue AGRIDAPE, Vol. 25 N° 3, Novembre 2009).
Les systèmes de production du riz reposent sur une diversité génétique importante des espèces cultivées. Depuis très longtemps, les femmes de Ndoff entretiennent soigneusement l’agrobiodiversité du riz en conservant une dizaine de variétés locales. Mieux adaptées aux conditions pédoclimatiques du terroir, ces variétés assurent une productivité relativement importante.
Toutefois, à cause d’une pluviométrie aléatoire et de l’avancée continue de la langue salée, l’activité rizicole a été sérieusement éprouvée ces dernières années. Beaucoup de terres se sont dégradées et sont devenues impropres à la riziculture. La production est constamment en baisse tandis que la diversité génétique, si caractéristique des systèmes de production rizicole de la zone, est fortement menacée.
Le coup de pouce de Green Sénégal pour impulser les activités agropastorales
Pour endiguer le problème de la salinisation des terres, redynamiser la riziculture en perte de vitesse à Ndoff et revaloriser les variétés locales, le Groupe de Recherche et d’Etudes Environnementales (Green Sénégal) a lancé au début des années 2000, grâce à un appui financier du FEM, le Projet « Agrobiodiversité en terres salées ».
L’Objectif global du projet est d’améliorer, d’une part, la gestion durable des terres et d’autre part les conditions socioéconomiques des bénéficiaires par une augmentation de la production agricole et des revenus, la diversification, l’amélioration et l’alimentation des populations, une meilleure gestion des ressources naturelles et le renforcement des capacités financières et organisationnelles de l’Union des Groupements de Ndoff.
De façon plus spécifique, le projet cherche à (i) réhabiliter, améliorer et gérer de façon durable les terres pour la riziculture, (ii) améliorer durablement la fertilité des terres, (ii) identifier des variétés de riz à haut rendement adapté à la salinité, (iv) satisfaire les besoins de consommation de riz et (v) renforcer les capacités organisationnelles et de gestion des bénéficiaires.
Un premier financement Micro- FEM avait permis la construction et la finition d’une digue de retenue d’eau en 2002. Cet ouvrage a permis la récupération de cinquante (50) ha de terres dégradées par le phénomène de salinisation.
Toutefois, pour la continuité des actions déjà entreprises et permettre aux populations de tirer le maximum de profits des investissements, le Micro - FEM a financé un deuxième projet afin d’impulser des activités agro- pastorales au niveau de toute la zone, en partenariat avec l’Institut Sénégalais de Recherches Agricoles (ISRA).
La phase test a été réalisée sur de petites portions de terre. En 2005, les parcelles de culture ont été réalisées sur la zone récupérée grâce à la construction de la digue.
Stratégie de mise en œuvre du projet
La méthodologie du projet a été basée sur une approche participative qui a pu soutenir les efforts délibérés de changements dans les stratégies de production rizicole dans le Terroir de Ndoff.
Toutes les activités du projet ont été soutenues par des formations (gestion financière, techniques de production, aménagement de bassin, protection des cultures et des récoltes, etc.) basées sur la situation réelle où les populations travaillent, tout en accordant la priorité au développement des techniques et technologies appropriées et durables. Elles ont également consisté à développer les capacités des bénéficiaires dans la gestion de leurs exploitations et dans la maîtrise des moyens de production au niveau local.
Sur le plan organisationnel, Le regroupement a, grâce au projet mis en place une organisation structurante ou les responsabilités des actions sont partagées entre les acteurs. Des commissions fonctionnelles ont été mises en place avec des objectifs spécifiques qui tournent autour de la planification et du suivi des réalisations.
Des aménagements hydrauliques pour contrer la langue salée
Une digue anti-sel a été réalisée entre 2000 – 2002, avec un budget autour de 4,7 millions de F CFA. La population s’était beaucoup investie durant les travaux de creusement et de remblai. A titre symbolique, tous ceux qui avaient participé aux travaux avaient reçu des indemnités de motivation.
La digue a permis de récupérer au moins vingt (20) hectares de terres désalinisées, aptes à la riziculture. Toutefois, pendant le ravinement du mois de septembre 2005, beaucoup de pertes de petits poissons (appelés en sérère « Baback ») ont été notées, exposés à l’air libre avec les successions de pertes d’eau.
Les eaux retenues ont fait réapparaître le Tamarix senegalensis, le Typha, le Combretum glutinosum, que l’on voit plus nettement dans les alentours. Après la récolte de riz, les troupeaux de bovins récupèrent les résidus de paille et de divers végétaux.
Réintroduction des variétés de riz locales
Pour favoriser la réintroduction des espèces locales qui, à terme, devrait aboutir à la reconstitution du capital génétique, une collecte de semences traditionnelles de riz pluvial a été réalisée.
Ces semences produites, de façon isolée, par certains producteurs dans le terroir de Ndoff, lors de la campagne 2004, ont été triées et stockées (près de 150 kg).
Les spéculations achetées sont : « Bacounda baal », « Sintango », « Sam – sakham » et la variété Sahel 108 comme témoin de performance.
Le déplacement au niveau du village de Fayil où des semences traditionnelles ont été identifiées (« Momo – baal », « Sam – sakham », « Gaf – rith », « Torra »), a facilité l’acquisition totale des semences destinés à la campagne de production.
Diverses opérations d’accompagnement sont menées par le projet, dans le cadre de la réintroduction de la riziculture traditionnelle :
La production, la conservation de semences de riz locales ;
La délimitation, le labour et la préparation des parcelles de cultures ;
Le compostage et la pratique d’une fertilisation adéquate des parcelles de riz ;
La visite du paquet technique requis, des principaux problèmes rencontrés (maladies, résistance à la salinité, etc.) ;
L’équipement avec une batteuse – décortiqueuse et des bonnes pratiques de conservations des variétés locales.
Au-delà de la riziculture, le projet a initié diverses actions d’accompagnement, relatives par exemple aux activités suivantes :
Le reboisement, avec la mise en place de semences de variétés forestières adaptées à la zone, de pépinières même à l’échelle individuelle ;
L’organisation des populations, avec des pratiques de travaux collectives, de solidarité et d’avantages partagés à diverses échelles (dont famille, village) ;
Les formations sur des thèmes très variés (programme de semences, techniques de billonnage, de semis en ligne, d’entretien et d’utilisation de la batteuse et décortiqueuse).
Les fabriques de compostières et de compost et diverses techniques de fertilisation ;
Le crédit – revolving [1]
Des résultats encourageants
Amélioration des productions, des revenus, de la nutrition et lutte contre la pauvreté
La diversification des cultures opérée a permis un accroissement substantiel des récoltes. Seules quatre variétés de riz traditionnelles subsistaient à Ndoff avant le début du projet : « Singtango, Bacounda Baal, Sam – Sakham, Momo – Raan ». Les autres variétés retrouvées dans quelques villages de Fatick sont : « Electer première maturation, Electer 2 maturation, Electer 3ème maturation, Mertet fin précoce, Mertet fin 2ème maturation, Bacounda Yêkh. Ces provenances ont été retrouvée et conservées dans des sacs fumigués, jusqu’à près de deux tonnes de semences.
La production de riz notée a permis à certaines familles de rester quelques mois sans acheter du riz importé.
Tableau : Variétés traditionnelles de riz mises en place et caractéristiques
Variété n° | Appellation locale | Caractères |
---|---|---|
1 | « Gaf – rith ou Mertet fin » | Riz rouge de bas fond de cycle moyen de 115 jours |
2 | « Gaf –rith ou mertet précoce » | Riz rouge de zone intermédiaire de cycle court de 90 jours |
3 | « Sing tango » | Riz blanc de bas fond profond de 115 à 130 jours |
4 | « Bacounda baal » | Riz noir de bas fond profond de 130 jours |
5 | « Sam – sakham » | Riz blanc de zone de plateau de cycle de 70 à 90 jours, mais n’aime pas beaucoup d’eau |
6 | « Momo – ran » | Riz blanc de plateau de cycle de 70 à 90 jours, n’aime pas beaucoup d’eau |
7 | « Bacounda Yekh » | Riz rouge de bas fond de cycle de 90 à 115 jours |
8 | IRAT 10 | Variété améliorée : Riz blanc de plateau, cycle à 90 jours |
9 | Sahel 108 | Variété améliorée : Riz blanc de zone d’immersion de cycle 105 à 115 jours |
Accès au crédit
Les populations de Ndoff et Sing ont bénéficié d’une formation en caisse locale d’épargne et de crédit. Le crédit de Ndoff a démarré avec 1 000 000 F en octobre 2005. Dans ce village, 36 personnes ont bénéficié d’un crédit de 25 000 F chacun. Le capital en mai 2005 est évalué à 1 155 000 F de capital. A Sing, le capital de départ est de 500 000 F en octobre 2005. 25 bénéficiaires ont eu un crédit. Le capital est de 611 000 F à l’issue de la première rotation.
Des innovations technologiques pour renforcer la productivité
La pratique du repiquage du riz a été l’innovation majeure pendant ces deux années du projet. La technique du repiquage a été un remède par rapport à l’installation tardive des pluies.
Une autre innovation du projet a été l’introduction du labour mécanisé qui réduit le temps de travail des paysans et permet d’emblaver des superficies plus importantes. En 2004, un labour avec charrue à buttoir est réalisé au niveau de 21 parcelles d’essai, avec l’attelage de cinq chevaux du village qui ont été motivé pour cela (6 000 F par journée). La main d’œuvre locale a été sollicitée pour le piquetage des parcelles et le creusement de billons. Mais dès 2005, le labour a concerné 61 parcelles avec le tracteur.
L’utilisation du compost a permis de réduire très sensiblement l’utilisation d’engrais chimiques dans les activités rizicoles. Il faut noter, cependant, que la difficulté de trouver de l’herbe due au déficit pluviométrique n’a pas favorisé le remplissage aisé des quatre fosses. A cela s’ajoute la baisse de la nappe phréatique de l’ensemble des puits de la zone, ce qui a une incidence sur le rythme des arrosages.
L’organisation et les avantages collectifs
Le projet a eu comme incidence notoire le renforcement de la solidarité entre les productrices de riz, notamment durant le repiquage et le désherbage des parcelles. Tour à tour les femmes se sont aidées mutuellement, à l’occasion de tâches très rudes de désherbage, quand la hauteur de l’herbe dépassait les cultures de riz.
Cette solidarité s’est aussi manifestée lors du recouvrement des semences, marquée par le paiement de la caution solidaire de certaines femmes (touchées par le ravinement) par d’autres.
Restauration des biotopes dégradés
Dans le seul village de Ndoff, 7208 plants ont été reboisés durant les 4 années de réalisation du projet. Les essences utilisées le sont pour leur adaptation aux conditions morpho-pédologique des sites : Acacia nilotica, Acacia tortilis, Prosopis juliflora, Acacia senegal, Melaleula leucadendron, Eucalyptus camaldulensis.
Le village de Sing dont le groupement fait 25 personnes, vient appuyer celui de Ndoff dans les actions de reboisement forestier. Ainsi 565 plants forestiers et 80 plants fruitiers leur ont été octroyés pour le reboisement de leur terroir.
Un repeuplement avec l’avifaune est observé (pélicans, hérons, aigrettes, spatules, etc.). Ce repeuplement fait ressortir un potentiel de la zone que les années sèches vécues récemment avaient fait disparaître : fonction de reposoir pour certaines espèces, et de gagnage (alimentation), surtout pour les piscivores : hérons, pélicans, spatule, etc.
De plus, le plan d’eau a permis le développement d’une pisciculture naturelle, ce qui explique l’abondance de certaines espèces d’oiseaux. La pratique d’une pêche traditionnelle s’est développée à nouveau au grand bonheur des populations.
Le bon développement des pâturages naturels a également été très bénéfique pour les populations locales, qui s’adonnent à diverses formes d’élevage (bovins, ovins, caprins). Ils l’ont signalé lors de l’évaluation des impacts du projet.
Encadré : Quelques réalisations du projet
Aménagement d’une digue anti-sel et d’un ouvrage de régulation des eaux
21 femmes formées en conduite de production de semences (16 femmes de Ndoff, 5 femmes de Sing) avec utilisation de langues nationales (sérère, ouolof) en plus du français ;
21 femmes appuyées par 5 hommes, formées en Techniques de billonnage et semis avec rayonneuses ;
61 personnes (54 femmes, 7 hommes) formées en Technique de semis en ligne et repiquage de riz ;
4 producteurs de Ndoff formés par les techniciens de SISMAR pour l’utilisation et le suivi et entretien de la batteuse et décortiqueuse.
4 fosses compostières de 4 m3 sont construites. Les 3 remplies et la quatrième devant servir de transvasement en cas de retard de décomposition des matières fermentescibles.
97 personnes dont 4 hommes formés en technique de compostage (37 femmes et 2 hommes de Sing ; 56 femmes et 2 hommes de Ndoff).
Une batteuse et une décortiqueuse dont les capacités d’exploitation atteignent 1 200 kg de riz transformé, sont mises en place pour les villageois. (Un comité de gestion est chargé de la rentabilité des machines dans toute l’étendue de la communauté rurale).
D’autres équipements sont mis en place pour les semences de riz : Trois bâches pour la batteuse des semences, des sacs de conservation, des produits de fumigation.
Conclusion
Les niveaux d’appréciation particulièrement élevés du projet par les populations locales concernées constituent, au-delà des réalisations, un autre indicateur du bilan positif du projet « Agrobiodiversité en terres salées ». Les enquêtes réalisées auprès des populations ont ressorti une réelle appropriation du projet par les bénéficiaires et un taux de satisfaction élevé (82% des bénéficiaires apprécient fortement à très fortement le projet).
Il est donc souhaitable d’envisager de voir comment pouvoir accompagner ces populations durant une autre phase de projet, pour une meilleure consolidation des acquis de la phase test.
Source : Green Sénégal. Rapport final du projet du Projet Agrobiodiversité en terres salées. « GRN et valorisation des aménagements de zones salées, avec la réintroduction des variétés traditionnelles de riz à Ndoff ». Juin 2006