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Editorial

Agrobiodiversité, sécurité alimentaire et lutte contre la pauvreté

Les systèmes de production des exploitations familiales, qui assurent à une bonne partie de l’humanité, les productions agricoles, pastorales, aquacoles et halieutiques nécessaires à une alimentation saine et variée et à la sécurité alimentaire, reposent généralement sur la valorisation d’une grande diversité biologique (diversité génétique et spécifique).

La diversité biologique renforce la capacité d’adaptation des écosystèmes agricoles, en leur permettant de faire face à des perturbations de toutes sortes (érosion, aléas climatiques, pauvreté des sols, etc.) et de se maintenir en équilibre. Elle entretient les processus biologiques (cycle des éléments nutritifs, décomposition de la matière organique, pollinisation, etc.) qui favorisent la productivité des sols. La diversité génétique des espèces végétales et animales assure une production variée, gage d’une alimentation riche et diversifiée.

Sans biodiversité agricole (ou agrobiodiversité), point de ressources génétiques. Se soigner, se nourrir et se vêtir deviendront hypothétiques (FAO).

Or, de nombreuses menaces pèsent, aujourd’hui, sur la survie de nombreuses espèces animales et végétales. Faute d’être suffisamment valorisées ou à cause des politiques agricoles orientées, de plus en plus, vers la promotion de quelques spéculations « à haute valeur ajoutée » (riz, maïs, blé, etc.) et de variétés introduites pour nourrir une population en hausse rapide, des variétés entières disparaissent de nos paysages agricoles.

D’après la FAO, plus de 7 000 plantes sont cultivées ou exploitées à l’état sauvage à travers le monde à des fins alimentaires. Mais, 90% des apports caloriques ou protéiniques nécessaires à l’homme proviennent de seulement 120 espèces.

La pomme de terre, le riz, le maïs et le blé et trois espèces animales (bovin, porcin et volaille), caracolent en tête des espèces les mieux valorisées. Elles assurent, à elles seules, plus de la moitié des apports caloriques ou protéiniques.

Une plus grande diversification biologique est, dès lors, nécessaire pour assurer un régime alimentaire sain et équilibré à l’humanité.
Les initiatives se multiplient à travers le monde, depuis quelques années, pour revaloriser les espèces locales et préserver durablement la biodiversité agricole. Ces initiatives, souvent, développées à l’échelle des exploitations familiales ont mis en lumière la relation étroite qui existe entre la sécurité alimentaire et la biodiversité.

Ce volume 30.1 d’AGRIDAPE met en exergue les expériences innovantes mises en œuvre par les exploitants familiaux, souvent grâce à l’appui des organisations de développement, pour conserver la diversité biologique de l’agriculture. Il s’agit, par ailleurs, de mettre en évidence la richesse des savoirs et savoir-faire traditionnels qui, transmis de génération en génération, continuent de jouer un rôle important dans la conservation et la diffusion des variétés agricoles.

La valorisation de ce savoir endogène pourrait jouer un rôle important dans la gestion durable de la biodiversité agricole qui fournit à l’humanité l’essentiel des biens et services nécessaires à son bien-être.

Valoriser l’innovation et le savoir local pour assurer la durabilité des systèmes agricoles

Les exploitations familiales sont des cadres d’expérimentation et de développement de nombreuses innovations technologiques ou socio-institutionnelles dont certaines concourent à la conservation de la biodiversité génétique. Les communautés paysannes ont développé une importante base de savoirs et de savoir faire qui se transmet, de génération en génération, pour entretenir et conserver durablement l’agrobiodiversité.

Au Bénin où la culture de l’igname est un des piliers de l’agriculture et la sécurité alimentaire nationale, l’héritage, le mariage, la migration, l’entraide et la prestation de service entre paysans, constituent les bases sociales de la transmission intergénérationnelle, intra et interfamiliale et de la circulation géographique des variétés d’igname.

D’autres pratiques endogènes, telles que la « culture polyvariétale » et « le marquage identitaire et culturel de certaines variétés » sont, également très favorables à la conservation de la biodiversité agricole au Bénin. La « culture polyvariétale » consiste à cultiver à la fois plusieurs variétés présentant diverses caractéristiques agronomiques et culinaires dans un même champ ou dans des champs différents. Le « marquage identitaire et culturel » quant à lui, fait référence à l’association de certains cultivars à des fonctions sociales et religieuses. C’est ainsi que certaines variétés de niébé sont utilisées comme offrandes aux mannes des ancêtres pendant les sacrifices rituels.

De nos jours, la promotion de l’innovation est surtout portée par les organismes de développement qui mettent en place des cadres de partage et de diffusion de connaissances au service de l’agrobiodiversité.
Au Niger, par exemple, dans la région d’Aguié, le Projet de Promotion de l’Initiative Locale pour le Développement à Aguié (PPILDA) et l’Institut International des Ressources Phytogénétiques (IPGRI) ont mis au point et expérimenté un dispositif de renforcement des capacités des producteurs, les champs de diversités Phytogénétiques (CD), destiné à la promotion et à la diffusion d’initiatives et innovations paysannes. Il constituent, par ailleurs un outil de renforcement des capacités des paysans en termes de connaissance, de conservation et de valorisation des ressources Phytogénétiques agricoles.

Dans la province semi-aride du Tigré, au nord de l’Éthiopie, les petits exploitants ont développé des variétés d’orge adaptées localement pour satisfaire les conditions et besoins actuels. À l’aide de la sélection généalogique individuelle et de la sélection de masse, ils ont développé de nouvelles variétés d’orge mondé et d’orge nue qui, par rapport aux cultivars recommandés par les sélectionneurs formels, sont mieux aptes à tolérer les stress tels que les pressions exercées par les maladies, l’engorgement et la sécheresse. Elles sont en outre idéales pour les systèmes agricoles à haut risque et à faible apport du Tigré.

Reconstituer le capital génétique à travers la valorisation des semences locales

Parmi les facteurs qui concourent à l’érosion de la biodiversité agricole figure en pôle position le changement climatique. En modifiant les régimes pluviométriques et accélérant la sécheresse dans de nombreuses régions, le changement climatique impose parfois le recours à des variétés de cultures nouvelles souvent introduites par la recherche.

Aussi, depuis l’avènement des OGM (organismes génétiquement modifiés), l’avenir des semences locales est devenu plus qu’incertain. De puissants producteurs de semences OGM ont envahi le marché des intrants agricoles et inondent les exploitations familiales de nouvelles variétés supposées produire plus. Mais l’expérience a souvent prouvé le contraire, car, généralement moins adaptées que les variétés locales aux conditions du milieu, ces variétés introduites sont moins résistantes aux maladies et parfois moins productives.

L’organisation du système de production et de commercialisation de ces variétés nouvelles est, cependant, telle qu’elles s’imposent dangereusement et relèguent même parfois aux oubliettes certaines variétés locales de semences.

Néanmoins, certains acteurs du développement agricole, conscients du rôle important que joue la diversité biologique dans la sécurité alimentaire et nutritionnelle, s’activent dans la réintroduction progressive des semences locales et leur valorisation.
A Ndoff, un village du Sénégal (Région de Fatick,) en proie à une forte salinisation des terres qui menace la riziculture, Green Sénégal, une organisation de développement rural, a mis en place une série d’aménagements et d’actions destinées à contrer la langue salée et à relancer l’activité rizicole.

La mise en place de ces aménagements a permis la réintroduction des semences locales de riz qui avaient commencé à disparaître. Le projet « Agrobiodiversité en terres salées » devrait aboutir à termes à la reconstitution du capital génétique à Ndoff et dans les villages environnants.

Promouvoir le bétail ruminant endémique pour un élevage durable

L’élevage constitue un élément clé des systèmes de production des exploitations familiales. Souvent pratiqué en association avec l’agriculture, l’élevage est, aussi, caractérisé par la diversité des races de bétail qu’il valorise.

Evoluant dans des environnements particulièrement difficiles et très changeants (aléas climatiques), ces races de bétail ont su développer des capacités d’adaptation exceptionnelles qui ont valu au système d’élevage des exploitations familiales sa durabilité. Il faut, toutefois, reconnaitre que cette durabilité est sérieusement mise à mal, de nos jours, par l’érosion inquiétante de la diversité des races locales qui sont, de plus en plus, évincées par des races exotiques introduites pour leur productivité importante en lait et viande. La dégradation des écosystèmes naturels est aussi une contrainte au développement des races locales.

Dans un contexte de changement climatique et de prolifération de zoopathologies (trypanosomiase et autres maladies, etc.) qui affectent le bétail ainsi que les conditions d’existence des populations locales, les races locales constituent une alternative importante. Leur conservation est indispensable pour la durabilité de l’élevage.

Pour préserver la diversité biologique du bétail ruminant endémique (BRE) afin de réduire la pauvreté et renforcer la sécurité alimentaire en Afrique de l’Ouest, Quatre pays de l’Afrique de l’Ouest se sont engagés, ensemble, à travers le Projet de gestion durable du bétail ruminant endémique (PROGEBE) à valoriser les races de bétail endémique notamment, les ruminants. Les races BRE sont trypanotolérantes et très résilientes face aux changements fréquents qui affectent le milieu.

Au Sénégal, la valorisation du bétail ruminant endémique passe par la conduite d’une série d’actions destinées à promouvoir sa compétitivité sur les marchés. Cette valorisation se fait à travers l’organisation de concours d’exposition et de foires spécifiques à ces espèces et races, favorisant l’émulation à la présentation de sujets intéressants mais également développant des opportunités de transactions diverses propices au commerce du bétail et des produits qui en sont issus. Il s’agit aussi de faire la promotion in situ de groupes d’éleveurs acquis aux principes de l’agriculture biologique et visant l’accès aux marchés de niche qu’elle peut procurer par les processus de certification (certification bio & certification pour le commerce équitable). Le plaidoyer pour une réglementation légale instituant une démarche de labellisation des produits et des procédures d’appellation d’origine contrôlée (AOC) constitue, également, une stratégie de valorisation du BRE.

Conserver la biodiversité des espèces pour le bien-être de l’humanité

La prolifération des espèces nouvelles et des variétés améliorées constituent, sans aucun doute, la principale cause d’érosion de la diversité biologique de l’agriculture. Devant l’accroissement de la population mondiale et par conséquent des besoins alimentaires, la productivité est devenue un critère de taille dans le choix des espèces exploitées dans l’agriculture. C’est souvent au nom d’un souci d’amélioration des rendements que les espèces améliorées, jugées « plus productives », sont introduites. Mais, leur diffusion à grande échelle a des répercussions néfastes sur l’avenir des espèces locales qui se retrouvent, du coup, négligées.

Et pour ne rien arranger, les habitudes alimentaires s’uniformisent, de jour en jour, à cause de la mondialisation. Les recettes culinaires traditionnelles que ces espèces locales ont permis de concocter, depuis la nuit des temps, ont été sacrifiées sur l’autel de la cuisine moderne qui ne fait plus de place que pour quelques produits agricoles et animales (blé, maïs, viande de bœuf, poulets de chair, etc.).

La qualité nutritionnelle des aliments s’appauvrit, faute de diversité et à cause de l’utilisation abusive de produits nocifs destinés à augmenter les rendements, la santé des populations qui consomment les produits dérivés des espèces améliorées se dégradent, de plus en plus.
La diversification des productions est nécessaire pour le bien-être des populations. Il importe, dès lors, de contrecarrer cette tendance à l’érosion de la diversité agricole à travers une meilleure valorisation des espèces locales et des produits de terroir. Cette valorisation pourrait passer par la promotion des savoirs endogènes qui, du fait de leur caractère innovant, continuent de jouer un grand rôle dans la conservation de l’agrobiodiversité et la diffusion des espèces locales.

De plus, grâce à l’action des organismes de développement, qui transmettent les innovations et les connaissances agroécologiques issues de la recherche et sensibilisent les communautés paysannes pour qu’elles comprennent que leur avenir est dans la protection et la conservation de la diversité biologique, il existe aujourd’hui des raisons d’espérer qu’une bonne partie de ce qui reste du patrimoine génétique agricole sera préservé pour les générations futures.