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Stratégie de prévention des crises alimentaires au Mali : les stocks de proximité

Au Mali, excepté le riz produit en zone irriguée ou inondée, la production céréalière est essentiellement pluviale. Les régions de Mopti, Gao et Tombouctou connaissent un climat sahélien sec voire saharien. Les récoltes y sont déficitaires. Accompagnés par l’Association Malienne pour la Sécurité et la Souveraineté Alimentaires (AMASSA), des ménages essaient de faire face à cette situation grâce à différentes stratégies dont l’une des plus importantes est la mise en place de stocks communautaires ou villageois.

Pour faire face au déficit chronique de la production céréalière, Afrique Verte et son partenaire Association Malienne pour la Sécurité et la Souveraineté Alimentaires (AMASSA) ont initié, depuis 2007, une action intitulée « Prévention des crises ». Elle consiste à définir les meilleures stratégies d’approvisionnement, dès les récoltes, avec les organisations de producteurs (OP), en concertation avec les élus, les services décentralisés de gestion des crises et d’ autres ONG, à suivre l’évolution des stocks et des prix pour ajuster les stratégies tout au long de la campagne de commercialisation.

La mise en place des stocks de prévention a permis une diminution notoire la vulnérabilité des enfants aux maladies et même des adultes, selon les femmes de Kabara. Elle a également permis aux paysans de se consacrer aux travaux champêtres en période d’hivernage au lieu de passer du temps à la recherche du grain. Ce gain de temps leur a permis d’exploiter plus de surfaces selon les producteurs de Kentabada.

Ainsi, sur la base de l’estimation des capacités d’approvisionnement des OP, AMASSA, en concertation avec les élus, les services techniques et les institutions spécialisées, a participé à la définition de stratégies d’approvisionnement des différentes zones cibles.

Les connaissances en techniques opérationnelles d’approvisionnement accumulées par les équipes d’Afrique Verte et d’AMASSA sont utilisées pour faciliter les mises en relation et les appuis logistiques pour ravitailler les zones déficitaires à partir de stocks provenant des zones excédentaires dans lesquelles Afrique Verte est également présente.

Les organisations paysannes bénéficiaires du projet peuvent ainsi être plus facilement approvisionnées après les récoltes. Au moment où les prix sont encore accessibles.
Ces stocks de proximité constitués à l’échelle communautaire permettent aux populations villageoises de trouver sur place les céréales indispensables à leur alimentation. Cette action a également un impact sur les prix des céréales au niveau local qui devraient être ainsi mieux régulés.

Démarche de l’opération

Pour mener cette action, la démarche a consisté à identifier les zones à risque alimentaire. AMASSA et Afrique Verte participent, dans leurs zones d’intervention aux activités, au dispositif national d’alerte et de prévention des crises alimentaires. Des notes de conjoncture sur la sécurité alimentaire sont mensuellement publiées depuis 2001 par Afrique Verte dans le « Point Situation Alimentaire au Sahel » (Mali, Burkina, Niger).
De plus, les animateurs sont en contact permanent avec les OP dans les régions d’intervention. Les Centres d’information, de formation et d’animation (CIAF), les bureaux d’AMASSA, sont équipés en téléphone et fax. Ce dispositif opérationnel permet d’être à la fois en contact avec les structures techniques et les OP.

Le projet peut ainsi produire et diffuser des informations croisées sur la situation alimentaire et les actions conduites par les différents intervenants dans les régions, en se basant sur :
•les estimations de récolte réalisées par les services nationaux et plus particulièrement les balances (besoins/production) ;
•l’évolution des prix (bulletins de l’OMA et bulletins produits par Afrique Verte et AMASSA) ;
•la situation au niveau des villages par le biais des animateurs.

L’information obtenue sera analysée avec les différents acteurs des zones : politiques, techniques, projets et OP, afin d’en tirer les enseignements et de définir les actions à conduire. La prévention des crises sera ainsi améliorée, en particulier grâce à l’implication des représentants des populations.

Mise en place d’un fonds d’intervention rapide

Sur la base de l’identification des zones à risque alimentaire, le projet facilite leur approvisionnement. Une enveloppe financière disponible au niveau de AMASSA permet d’acheter des céréales locales (mil et sorgho) et de constituer des stocks villageois dont la gestion est confiée aux OP bénéficiaires. Ces stocks de proximité sont utilisés pour faire face aux contrecoups des hausses de prix (signe annonciateur de crise). Il s’agit d’assurer, à l’échelle rurale, une fonction de régulation des prix au moment opportun.

Les expériences et les acquis d’Afrique Verte dans la commercialisation entre zones déficitaires et zones excédentaires sont utilisés dans ce dispositif pour faciliter un approvisionnement économiquement favorable. Ce qui contribue au rééquilibrage des prix au niveau des communautés rurales. Les conditions de commercialisation de ces stocks sont rapidement définies avec les comités de gestion des magasins de céréales pour assurer la mise en marché correcte au profit des populations, à un prix accessible. Les recettes permettent de renouveler une partie du stock.

Le mécanisme proposé concerne les OP situées dans les communes les plus affectées par les hausses de prix. Les OP bénéficiaires doivent être membres de regroupement d’OP (fédérations). Cette structuration des OP au niveau régional est un atout important qui permet à Afrique Verte et à AMASSA d’asseoir une méthodologie cohérente de gestion du stock. La démarche suivante est proposée : un comité de suivi est constitué, comprenant les responsables des faîtières d’OP, les élus locaux, le Système d’alerte précoce (SAP), Afrique Verte et AMASSA, dans chacune des régions déficitaires concernées.

Les trois comités, sur la base des informations étudiées au sein du SAP, établissent une liste d’OP bénéficiaires par faîtière. Les volumes sont déterminés d’un commun accord, en fonction du déficit et du degré de vulnérabilité. Un protocole tripartite de gestion des stocks est signé entre le projet, les faîtières et l’OP bénéficiaire. Les stocks de céréales locales sont achetés auprès des OP des zones excédentaires au prix du marché, dès la récolte (octobre, novembre, décembre), période où les prix sont encore modérés. Les stocks sont transportés par Afrique Verte et AMASSA dans les villages. Les OP les gèrent en fonction de modalités convenues dans le contrat tripartite.

L’OP bénéficiaire peut faire des rotations de stock en fonction de la situation alimentaire et en tenant compte du niveau des prix et des besoins.
Le prix de vente aux populations est fixé en fonction du coût réel (sans but lucratif). Une vente à prix social n’est envisageable que si la situation se dégrade et en concertation avec les partenaires locaux comme les élus et les services techniques.

Après les opérations de vente au comptant, l’OP bénéficiaire reverse le capital dans le compte de sa faîtière qui pourra ainsi, sous la supervision et les recommandations du comité de suivi, attribuer un stock à une autre OP membre répondant aux conditions d’accès à ces fonds, l’année suivante. Les premières opérations d’achat et de ventes sont coordonnées par Afrique Verte et AMASSA. Les animateurs réalisent le suivi sur le terrain (achat, transport, vente et conseil). Les rotations de stocks qui suivront sont directement réalisées par les OP avec les appuis et les conseils des animateurs.

Résultats

Entre 2007 et 2009, dans le cadre de la « Professionnalisation des OP dans les filières céréales locales pour améliorer leur contribution à la réduction de la pauvreté et de la faim au Mali », projet cofinancé par la Commission Européenne, Afrique Verte et AMASSA ont développé un système de prévention et de gestion des crises alimentaires autour d’un dispositif souple de collecte et d’analyse d’information, pour approvisionner rapidement en céréales des zones en difficulté.

A partir d’une enveloppe disponible de 24 000 000 F CFA, 21 villages en difficultés alimentaires des régions de Gao et de Mopti ont été retenus et dotés de 150 tonnes de céréales. Des stocks communautaires ont été constitués et gérés par les OP qui les ont vendus à prix social. Des rotations ont été réalisées. Les ventes à prix social ont régulé les prix au niveau local.

En 2010, Afrique Verte a poursuivi cette action au regard de l’intérêt des populations, en consolidant les 21 anciennes OP et en l’étendant à de nouveaux villages. Cette nouvelle action a été réalisée à partir d’un cofinancement de la CE/Food Security, dans le cadre de la « Contribution à l’atténuation de l’impact de la flambée des prix des denrées alimentaires au Mali, par un soutien à la production agricole, au stockage, à la transformation et à la commercialisation des produits locaux afin d’améliorer la sécurité alimentaire et nutritionnelle ».
Les actions réalisées du 1er Janvier 2010 au 31 octobre 2011 ont consisté à consolider les acquis pour le suivi des anciens stocks dans les 21 villages.

Etendre l’action à de nouvelles OP

Le projet a également entrepris des actions en vue de consolider les acquis de la première opération initiée dans le cadre de l’action « Professionnalisation des OP dans les filières céréales locales, pour améliorer leur contribution à la réduction de la pauvreté et de la faim au Mali ».

Pour cette extension, la démarche a consisté à l’identification de 31 nouveaux villages sur une prévision de 20 et à la gestion des stocks par les organisations paysannes. Le projet a, en rapport avec toutes les parties prenantes, mis en place six comités dans les régions de Tombouctou, Gao, Mopti dont un est chargé de l’identification des organisations paysannes bénéficiaires. Un autre comité est chargé d’acheter les céréales à la bourse nationale de Ségou pour chacune des trois régions déficitaires (Mopti, Gao et Tombouctou).

La mise en place de ce comité d’identification a permis de choisir les nouvelles OP sur la base du pronostic définitif du SAP sur la situation alimentaire dans la région, des informations collectées par les animateurs de terrain qui confirment celles du SAP et des résultats de la campagne agricole 2009/2010 fournis par le service de l’agriculture.
Le comité chargé d’acheter les céréales comprend les animateurs d’AMASSA - Afrique Verte de Mopti, Gao et Tombouctou et les représentants des producteurs des trois zones. Cela a permis d’impliquer les producteurs dans le processus d’achat et d’obtenir les céréales à un bon prix lors de la bourse nationale de Ségou.

La mise en place des fonds par Afrique Verte a facilité l’achat des céréales et a permis aux bénéficiaires de faire plusieurs rotations pour une plus grande couverture des besoins des populations concernées. L’implication des organisations paysannes faîtières dans le choix des nouvelles OP et dans l’achat des céréales, la fixation des prix de cession aux bénéficiaires par les OP elles-mêmes et la signature de protocoles tripartites de gestion des stocks entre Afrique Verte, ont permis de donner plus de confiance aux populations et d’asseoir les bases d’une pérennisation de l’opération.

Les missions de suivi des animateurs ont porté sur les techniques de stockage, les stratégies de rotation, la gestion des documents, l’information des gestionnaires sur l’évolution des prix d’achat et de vente des céréales, l’établissement des comptes d’exploitation prévisionnels. Toutes ces actions ont permis de renforcer les capacités des organisations paysannes dans la gestion des stocks.

Il est cependant important de signaler que les OP bénéficiaires avaient formulé des inquiétudes par rapport à la gestion des fonds issus des ventes. En effet, le projet a basé sa stratégie sur une rétrocession du capital issu des ventes à la faîtière de l’OP qui pourra ainsi, sous la supervision et les recommandations du comité de suivi, attribuer le stock l’année suivante à une autre OP membre répondant aux conditions d’accessibilité à ces fonds. Cette approche a pour objectif d’assurer la pérennité de l’action. Malgré le bien-fondé de cette stratégie, les OP bénéficiaires souhaitaient garder les stocks à la fin du projet compte tenu de la fragilité et de la vulnérabilité de leur zone.

Les investigations menées par une équipe d’évaluation sur le terrain en novembre 2011, au sujet de l’appréciation de cette stratégie par les OP, ont permis de comprendre qu’il s’agit bien d’un souhait de garder le stock et non d’un refus des OP de se soumettre aux conditions de gestion des stocks préalablement établies, à savoir la rétrocession du capital issu des ventes à la faîtière de l’OP. Cependant, la situation critique de la campagne 2011-2012 préoccupe beaucoup les OP. Ils souhaitent une augmentation des quantités à mettre à leur disposition. Malgré ces préoccupations, l’équipe a pu constater, sur le terrain, la satisfaction des bénéficiaires.

Caroline Bah

Contact :
Mohamed HAIDARA
Coordinateur national AMASSA AFRIQUE VERTE MALI
Adresse e-mail : afriqueverte@afribone.net.ml