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La banque céréalière villageoise, un bouclier contre l’insécurité alimentaire au Sénégal

Au Sénégal, la plupart des enquêtes menées sur le niveau d’approvisionnement en nourriture montrent que les besoins nutritionnels d’une partie de la population, surtout en milieu rural, ne sont pas satisfaits. Depuis des années, quel que soit le concept utilisé en rapport avec la situation alimentaire : autosuffisance alimentaire, sécurité alimentaire ou souveraineté alimentaire, nous sommes encore loin de la satisfaction de la demande nutritionnelle. Les productions n’arrivent pas à répondre aux besoins. Pour éradiquer la malnutrition et installer la sécurité alimentaire, une combinaison de diverses initiatives est nécessaire .Celle relative à la mise en place de banques céréalières villageoises par la Fédération des Associations de Développement Communautaire (FADEC/Sud) a donné des résultats encourageants dans le département de Tivaouone.

Au niveau territorial, la construction de banques céréalières villageoises (BCV) est l’une des solutions qui permet de contrôler l’approvisionnement en nourriture des villages les plus vulnérables situés dans les zones affectées par l’insécurité alimentaire. Elle a permis aux groupes ciblés, une population de 14 449 répartie dans 44 villages du département de Tivaoune, de résister à la spéculation des prix des aliments de base.

Le projet est financé par la Fondation des Etats Unis d’Amérique pour le Développement en Afrique (USADF) avec comme partenaire de mise en œuvre la Fédération des Associations de Développement Communautaire (FADEC/Sud) basée à Mékhé, au nord-ouest du Sénégal. Un protocole de subvention a été signé entre l’organisation paysanne et l’USADF.

La FADEC/Sud regroupe les associations bénéficiaires. Elle a assuré la construction des cinq banques céréalières villageoises et leur approvisionnement en aliments de base. Elle a aussi organisé des formations qui ont permis d’atteindre les résultats suivants après deux années de mise en œuvre :
•approvisionnement correct en céréales ;
•régulation des prix à la vente et à l’achat ;
•génération des revenus consistants aux producteurs ;
•facilitation de l’accès aux produits céréaliers en octroyant des crédits alimentaires durant la période de soudure ;
•éradication de l’action spéculative des commerçants ;
•effets sur la productivité des paysans qui n’ont plus à parcourir des kilomètres pendant l’hivernage pour acheter des céréales ou de perdre une journée de travail pour aller aux marchés hebdomadaires.

Cela a été possible grâce à une gestion transparente et participative du Comité de gestion élu par l’Assemblée générale .Ce comité de gestion mène l’activité de la Banque Céréalière Villageoise (BCV) avec un Comité de contrôle composé de trois membres . Il exerce un un contrôle sur la comptabilité mais aussi sur la qualité des produits et de l’équipement fourni. Chaque BCV est administrée par un gérant, ou à défaut, par le comité de gestion.

Afin de susciter un sentiment d’appropriation et d’appartenance, il est établi des cartes de membres qui donnent droit à une voix en cas d’Assemblée générale.

Faire face à l’insécurité alimentaire

Au Sénégal, l’insécurité alimentaire touche une partie importante de la population, selon le document du Programme National de Sécurité Alimentaire (PNSA) de 2006. La stagnation de l’offre des produits vivriers, accentuée par un manque de mesure d’accompagnement, n’aide pas à satisfaire la demande.

L’existence des BCV a permis d’encourager les producteurs à la culture des céréales (mil-sorgho) parce qu’ils ont des points de vente. La BCV leur garantit un achat avec des prix rémunérateurs. Elle contribue à la réalisation de ces concepts (autosuffisance, sécurité ou souveraineté alimentaire) qui lutte contre l’insécurité alimentaire .Elle a conduit également à des comportements nouveaux et des maîtrises (voir les capacités des membres du comité de gestion et de contrôle). D’ailleurs, l’influence de ces derniers au niveau des autres membres suscite un intérêt. Le rôle économique et social de la BCV a fini de convaincre les plus sceptiques. L’adhésion à la banque en est une illustration.

Le stockage et la distribution assurés par les banques céréalières suivant les modalités (voir manuel de procédures et règlement intérieur) définies par les membres bénéficiaires ont apporté une solution durable au problème de soudure. En réponse à la problématique de la sécurité alimentaire voire la souveraineté alimentaire, il devient urgent de noter que l’implication des différents acteurs est nécessaire et doit être privilégiée. D’autant plus que les différentes politiques agricoles à elles seules n’ont pas permis de créer les conditions d’une véritable sécurité alimentaire.

Le projet visait à améliorer la qualité de vie et le bien-être économique des membres des différentes associations bénéficiaires et de leurs familles. Apparemment, il semble recouper la finalité de la sécurité alimentaire. L’espoir d’une augmentation de revenus a suscité des intentions pour les cultures vivrières, d’où une production croissante.

A la fin du projet, les revenus des membres de différentes banques villageoises devraient augmenter considérablement. Les BCV devraient pouvoir faire évoluer les stocks de 137 tonnes à 165 tonnes, de 32 millions F CFA en valeur à 39 millions F CFA, sans compter les cinq emplois permanents (gérants) assurés.
L’atteinte de cet objectif suppose une prise de conscience qui va permettre d’orienter nos préférences alimentaires vers les produits de base.

Impacts

La construction de cinq banques de céréales a facilité la réduction des pertes pendant la période post récolte et le contrôle des prix d’achat et de vente pour les producteurs. Ces produits céréaliers, objet de spéculation, seront disponibles même pendant la soudure (juin- aout) contribuant à la sécurité alimentaire au niveau du foyer et du village. L’activité menée au niveau des BCV a produit une opportunité pour tester la conduite des populations face à l’innovation.

Relativement aux prêts de céréales aux mois de juin –aout qui a suscité un niveau d’engagement, 70 tonnes ont été octroyées en crédit. Durant les premières années, nous avons enregistré un taux de remboursement de 100%. Il ressort de l’analyse des deux années d’activités que les organes de gestion sont capables de promouvoir des leaders pour la sauvegarde de l’intérêt des BCV.

La BCV assure la disponibilité physique des produits céréaliers, l’accessibilité et la permanence. L’existence de ces BCV a le mérite de sensibiliser les producteurs qui sont en même temps les consommateurs. En effet, ils ont compris qu’ils peuvent mettre fin au bradage de leurs récoltes, et augmenter les surfaces destinées à la culture vivrière. De plus, ils ne sont pas obligés de subir le diktat des commerçants véreux et, au besoin, ils peuvent bénéficier de prêts alimentaires.

Leçons apprises

Au cours de ces années, nous avons appris dans la conduite des activités des BCV (de la conception aux résultats) qu’il faudra :
•donner plus de marge de manœuvre à l’organisation de base vu l’expérience acquise par les organes (comité de gestion et de contrôle), rendre plus souple et autonome l’administration financière ;
•réduire la dépendance vis-à-vis de l’organisation fédérale ;
•impliquer, par le biais du partenaire technique Association Conseil pour l’Action (ACA) le partenaire financier(USADF), à travers des représentants dans les passations de marché ;
•privilégier les achats de stocks céréaliers auprès des petits producteurs et établir un quota afin d’éviter l’irruption des commerçants dans les opérations de vente ou achat ;
•mettre en place des mesures qui appuient les producteurs assumant l’importance de la sécurité alimentaire ;
•mettre en place des organes de gestion, un programme de communication et d’information car il apparait également nécessaire de rendre compte, à travers des émissions radiophoniques, des activités et l’importance de ces entités ;
•diffuser l’expérience des BCV à une plus grande échelle.

Dans six mois, ce projet sera officiellement clos avec le partenaire financier (USADF), sans approfondir les données comptables, ni analyser les retombées économiques. Il y a lieu de dire, à priori, que les paysans sont réellement satisfaits et ils s’ouvrent à l’innovation avec enthousiasme. Le relèvement de la production n’est pas le seul gage de sécurité alimentaire.
C’est pourquoi, il convient de consolider davantage la coordination entre les différents acteurs : bailleurs de fonds, associations représentant les populations bénéficiaires et l’Etat, à travers les administrations et services techniques. La sécurité alimentaire, à travers les BCV, semble être à la portée des populations, mais elle ne peut être réalisée que si elle s’adosse sur une volonté politique de l’Etat.

Ndiamé Thiam

Technicien agricole
Ex-superviseur du projet Banques de Céréales Villageoises (de 2013 au 3 mars 2017)
Contact : ndiambe2018@gmail.com