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RDC : Le DAFOMA initie le Mayanda à l’agroécologie

L’agroécologie couvre de nombreux aspects de l’agriculture et intègre les dimensions à la fois écologique, économique et sociale. Ces trois grands piliers en font une discipline complète, jouant sur l’interaction entre l’écosystème et l’homme, cherchant à préserver l’environnement et la biodiversité, tout en assurant la productivité agricole et en maximisant les fonctionnalités offertes par les écosystèmes. Le Projet de Développement Agricole et forestier du Mayanda (DAFOMA) du GRET, situé à Boma, en République démocratique du Congo, a pour but de développer les filières agricoles du Mayanda, zone proche de Boma, pour assurer la sécurité alimentaire de la zone et approvisionner la ville en bois énergie tout en diminuant les pressions sur le couvert boisé existant.

Ce projet s’inscrit dans une démarche agroécologique afin d’augmenter la productivité des exploitations de manière durable, en maximisant les interactions écologiques et en limitant l’investissement nécessaire. Trois des techniques agroécologiques testées par le projet sont présentées dans cet article pour illustrer les trois fondements (respect de l’environnement, rentabilité économique, développement social) de la discipline.

L’agroécologie prône une faible utilisation des intrants chimiques, des plantes de couvertures sont aussi utilisées pour enrichir le sol, le protéger de l’érosion grâce à un couvert permanent et lutter contre les adventices sans avoir besoin d’utiliser des herbicides. Certaines plantes sont également des ennemies de ravageurs et peuvent servir pour lutter écologiquement contre les insectes. Dans ce cadre, le projet du GRET a introduit dans la zone du Mayanda, le mucuna pruriens : une vigne vigoureuse annuelle ou parfois vivace, pouvant atteindre 5 m de long.

Cette plante de couverture a fait ses preuves dans de nombreux pays et est maintenant largement utilisé sur les terres en jachère, pour améliorer le sol, supprimer les adventices et comme plante fourragère. Elle a l’avantage de supporter bon nombre de contraintes telles que la sécheresse, les sols pauvres ou acidifiés. Elle fixe également l’azote de l’air dans le sol. Elle est aujourd’hui reconnue en République démocratique du Congo pour la lutte contre l’Imperata cylindrica qui se propage rapidement grâce à ses profonds rhizomes, ce qui en fait une adventice très compétitive avec les cultures. Ainsi, dans le Mayanda, quatre sarclages par an sont nécessaires pour assurer la bonne croissance des cultures.

Face à la surcharge de travail, les paysans se contentent souvent de deux sarclages, laissant leurs cultures en souffrance.
Dans le Bas-Congo, la plantation de mucuna pruriens a permis de lutter efficacement contre Imperata cylindrica et autres herbacées adventices, grâce à son importante biomasse qui les étouffe, réduisant ainsi le temps et la pénibilité du travail des agriculteurs, sans pour autant avoir recours à des produits chimiques de synthèse. De plus, le mucuna aurait la propriété de tuer quelques espèces de nématodes, d’où l’intérêt de son utilisation en rotation.

L’introduction du mucuna pruriens dans la zone agricole du Mayanda n’a pas été évidente car il existe une forme de mucuna sauvage dont les gousses sont couvertes de poils très urticants, véritable fléau en saison sèche. Les paysans ont donc été réfractaires au départ à l’adoption de cette plante qu’ils pensaient être la même.

Economie performante, rentabilité des pépinières sur table

L’agroécologie n’a d’intérêt pour les agriculteurs que s’ils s’y retrouvent financièrement. Pour cela, il faut que les rendements parfois moindres et les besoins en main d’œuvre quelques fois plus importants qu’en agriculture conventionnelle soient compensés. Les produits chimiques de synthèse comme les herbicides, les pesticides, les antifongiques et les engrais coûtent chers. Ils sont ainsi inaccessibles pour bon nombre de paysans. L’alternative proposée par l’agroécologie avec des plantes susceptibles de remplacer ces intrants permet de réduire les besoins en investissements financiers. Mais l’agroécologie permet aussi de mieux s’insérer sur le marché en produisant de manière régulière à l’abri des aléas climatiques et à des périodes où les prix des produits agricoles sont favorables.

C’est le cas des pépinières sur table, ou pépinière sur pilotis, qu’a mis en place le projet de Développement Agricole et forestier du Mayanda (DAFOMA). Cette pratique a été largement adoptée à Kimpése (Bas-Congo, RDC), car elle permet de commencer la production maraîchère en avance par rapport au calendrier traditionnel de culture. Les producteurs sont alors les premiers à vendre leurs légumes, à un moment où le marché n’est pas encore inondé. La culture se fait sur un substrat sain, de qualité (renouvelé à chaque cycle), sur un sol sans engorgement en saison des pluies. Le principe est simple, une table doit être construite pour supporter un bac accueillant 5 à 10 cm de substrat. Tout est fait en matériaux locaux, facilement disponibles et peu chers, voire gratuits.

Dans le Mayanda, les tables sont construites en bambou.
Le substrat est réalisé par le maraîcher avec du sable,
du compost ou du fumier recyclé et de la terre noire,
riche en humus. Cela permet d’avoir un substrat riche
en éléments nutritifs pour le germoir et de drainer,
grâce au sable, les excédents d’eau mais en
conservant tout de même l’humidité nécessaire
via le fumier ou compost. Le substrat est désinfecté
avec de l’eau bouillante pour enlever les germes pathogènes et les champignons présents dedans, limitant le risque de fonte de semis. Une fois le substrat refroidi, le semis peut être réalisé comme dans tout autre germoir.
La pépinière sur table peut être réalisée à n’importe quel moment, y compris en saison des pluies. En effet, la pépinière sur table peut être protégée des fortes pluies grâce à un film plastique ou plus simplement (mais un peu moins efficace) des rameaux de palmiers, du soleil avec ces mêmes rameaux et des insectes et des ravageurs, avec une moustiquaire. Installer cette dernière peut se faire aisément avec la mise en place d’arceaux en bambous ou en bois. Cette pratique ne demande aucun investissement financier mais de la main d’œuvre pour la mise en place de la table.

L’agroforesterie comme système de sécurité social et retraite

L’agroécologie est également un facteur de développement humain. Grâce à la faible utilisation des intrants chimiques de synthèse souvent nocifs à la santé, l’agroécologie améliore les conditions phytosanitaires des agriculteurs. Les produits ont également un moindre risque pour la santé des consommateurs. La diversification des risques liés aux différentes cultures ou à l’indépendance des producteurs vis-à-vis des fournisseurs d’intrants sont autant de facteurs de développement humain. Les pratiques agroforestières, c’est-à-dire la culture des arbres, souvent en association avec des cultures vivrières ou de rente, en sont un exemple.

Les arbres ont un rôle important à jouer dans le développement social. Comme le dit un proverbe malgache : « Qui plante des arbres dans sa jeunesse, aura des abris pour sa vieillesse », planter un arbre quand on est jeune permet d’investir pour l’avenir. Dans de nombreux pays sans systèmes de retraite ou de couverture maladie, les paysans qui se retrouvent en difficulté pour faire face aux dépenses de santé, peuvent utiliser leurs arbres comme complément de revenu.

Suivant le modèle de Mampu (Plateau Batéké, RDC) le projet DAFOMA développe dans le Mayanda, les agroforêts d’acacias auriculiformis et mangium à destination du bois énergie, en association avec le manioc. Ceci permet aux agriculteurs de cultiver des productions vivrières sur la même parcelle durant les deux premières années de la mise en place des acacias. Ces arbres à croissance rapide recouvrent alors entièrement la superficie de la parcelle.

Cinq ans plus tard, ils sont exploitables pour la fabrication du charbon de bois (en fonction du type de sol, la culture peut aller jusqu’à dix ans). Ce type d’agroforesterie est un investissement à « moyen terme », car les arbres sont exploitables rapidement (une dizaine d’années est un cycle court en agroforesterie. Mais le projet DAFOMA favorise également la plantation d’arbres fruitiers qui constituent d’avantage un investissement sur le long terme. Ces arbres continueront à produire pendant des dizaines d’années après leur plantation.

Lorsqu’un planteur d’arbre atteint un âge avancé et n’est plus en mesure de travailler la terre, les fruitiers continuent à produire et il peut vendre ces fruits pour subvenir à ses besoins sans trop d’efforts. L’agroforesterie est donc un bon moyen de palier les aléas de la vie et de diversifier les revenus en vu de diminuer les risques. Mais cette pratique se heurte souvent au problème majeur de la sécurisation du foncier.
Dans de nombreux cas, la plantation d’arbres donne naissance à des conflits, notamment quand le planteur décède et que les héritiers revendiquent la terre où sont plantés les arbres alors qu’elle ne leur appartient pas. Dans le cas du Bas-Congo, la plantation d’arbres est souvent l’apanage du chef de terre et de ses ayant-droits. Les locataires n’y ont pas droit. Une sensibilisation accrue est nécessaire pour pallier ce problème.
Enfin, dans le Mayanda, les feux de brousse, volontaires ou involontaires, sont nombreux et peu voire pas contrôlés. Il arrive régulièrement que des champs, des villages ou des forêts partent en fumée. Ceci est donc valable également pour les agroforêts. Il est impératif, pour que les pratiques agroforestières soient adoptées, que les villageois s’organisent pour lutter contre ce fléau et qu’ils protègent leurs parcelles avec des pare-feux. Les pratiques agroécologiques sont multiples et cet article ne présente que certaines d’entre elles.

Malgré les limites citées des différentes techniques présentées, il semble qu’elles proposent des solutions aux difficultés rencontrées par les producteurs du Sud, en termes d’accès aux intrants, de problèmes de trésorerie, d’érosion des sols, de gestion de l’eau et de la fertilité, de vulnérabilité vis-à- vis des aléas climatiques et notamment du changement climatique actuel, mais aussi pour promouvoir le développement humain en zone rurale. C’est le pari tenu par le projet DAFOMA dans le Mayanda.


Justine Scholle

E-mail : scholle@gret.org

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