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Editorial : Graine novatrice
« Petits paysans » pour certains, « gens de la terre » pour d’autres, les clichés n’ont pas manqué pour désigner les acteurs de l’agriculture traditionnelle. L’autre dimension de ce mépris culturel réside dans la tentative de faire passer le paysan pour quelqu’un qui essaie des pratiques sans en saisir les méthodes encore moins la finalité, alors qu’il est en contact permanent avec la matière agricole. Pour ces détracteurs, les paysans agissent plus en victimes désarmées, superstitieuses et à la merci de la nature. En attendant que la recette du salut lui vienne des laboratoires outre-Atlantique.
Sous les tropiques, cette caricature de « l’esprit paysan » qui a sous-tendu le transfert onéreux d’équipements agricoles est de plus en plus remise en cause par le temps, mais aussi grâce aux actions menées par des chercheurs et des organisations soucieuses d’une agriculture respectueuse des équilibres agroécologiques, malgré les réticences des gouvernements.
En effet, selon les circonstances, les époques et les écosystèmes, le paysan agit ou réagit pour s’adapter, protéger ses cultures ou augmenter ses rendements. Il ne manquait que la capitalisation, la valorisation, le partage des bonnes pratiques endogènes et du savoir-faire paysan en général. Tout un secret qui devrait susciter la curiosité du chercheur, mais que la recherche conventionnelle ne saurait permettre de découvrir. Cela a donc nécessité une rupture méthodologique. Du coup, une graine novatrice a été semée dans le champ des méthodes d’acquisition de connaissances en milieu paysan.
Le champ, un espace de production de savoirs
La reconnaissance de la contribution paysanne a engendré une évolution sémantique qui prend en charge le changement de paradigme méthodologique dans la construction des nouvelles connaissances agropastorales. On parle désormais de « co-recherche », de « recherche-action », de « co-création » de connaissances agricoles. C’est là où germe et se développe davantage la graine novatrice du chercheur ou du centre de recherche qui part des pratiques du producteur pour aboutir à des schémas et démarches pertinentes et parfois reproductibles ailleurs.
Les résultats sont éloquents. De par la diversité et la pertinence des pratiques agroécologiques, le cultivateur a montré que le champ est loin d’être une simple aire de production alimentaire. Il est aussi le laboratoire du paysan, un creuset de productions de savoirs. D’un écosystème à un autre, on peut découvrir des expériences paysannes parfois inédites, des approches culturales rares, et bien d’autres choses qui pourraient enrichir le patrimoine universel de connaissances en matière d’agriculture.
Dès lors, le défi demeure la perfection et le partage de ces connaissances endogènes au-delà de l’échelle communautaire. C’est dire que la promotion des innovations agroécologiques doit également mobiliser nombre d’acteurs, car le savoir se nourrit d’échanges. Créer des plateformes permettant aux paysans et aux chercheurs d’interagir, de « donner et de recevoir », ne saurait ignorer un travail de capitalisation et de vulgarisation. C’est tout le sens de cette édition d’AGRIDAPE. Cela apparait d’autant plus utile que l’agriculture est devenue un secteur appelé à s’adapter au contexte des changements climatiques.
Aujourd’hui, il ne fait plus de doute que l’usage excessif de mécanismes industriels de production agricole a contribué à l’émission considérable de gaz nocifs et au lessivage des sols. Alors que les problématiques de la sécurité alimentaire et de l’exploitation durable des ressources naturelles restent entières. De ce fait, les stratégies d’atténuation et d’adaptation aux impacts du réchauffement de la planète ne sauraient ignorer les techniques locales de production et d’adaptation développées par des paysans évoluant dans divers écosystèmes.
Un processus de co-création en marche en Afrique
Mais, peut-on se permettre de parler de connaissances, de savoirs ou de savoir-faire paysans ? Dans cette édition d’AGRIDAPE, le fervent défenseur de l’agroécologie, l’agronome Jacques Caplat, livre son analyse qui éclaire les concepts. Il fonde son opinion sur son expérience empirique d’ingénieur agronome pour hisser les connaissances paysannes au niveau des champs de recherche encore en jachère.
En Afrique Centrale, la co-création est en marche. La Plateforme Sous-régionale des Organisations Paysannes d’Afrique Centrale a étudié la pertinence des techniques locales d’adaptation aux changements climatiques par les producteurs du Bassin du Congo et du Tchad. Ici, les agriculteurs ont fait preuve d’ingéniosité pour développer des stratégies de résilience. Toujours dans cette région et plus précisément en République Démocratique du Congo, le GRET rend compte des résultats de la ferme mis en place dans le cadre du Projet de Développement Agricole et Forestier du Mayanda.
Les femmes congolaises s’y sont illustrées dans la création de techniques culturales adaptées. Au Cameroun, des leçons tirées de l’exploitation de la matière organique pour faire revivre le sol n’ont pas été ignorées par la recherche. Leur pertinence a fait l’objet d’une étude. Les producteurs de l’Afrique de l’Ouest ne sont pas moins inventifs que leurs pairs du Bassin du Congo. Bien au contraire.
Au Mali, le programme « Promouvoir l’Expérimentation et l’Innovation Paysannes au Sahel (PROFEIS) » a capitalisé des innovations, 25 au total, dont des producteurs de ce pays en sont les auteurs. Dans les pays voisins, la transition agroécologique est aussi enclenchée. Au Bénin, la recherche n’a pas été indifférente au besoin de protection des cultures. Il y a été découvert que les filets anti-moustiques sont aussi utiles pour l’homme que pour les plantes.
Le Burkina Faso lui a vu l’évolution de la technique traditionnelle du zaï jusqu’à connaître un début de mécanisation au niveau local. Le zaï a même connu un début d’adoption au Niger. En Côte d’Ivoire, les producteurs de cacao ont recours à la fiente de poulet pour fertiliser leurs terres. Ce produit coûte moins cher que les engrais chimiques et augmente sensiblement les rendements agricoles. L’axe Abidjan-Dakar semble fertile, agroécologiquement parlant.
Le mil et l’igname inspirent des producteurs dans ces deux pays. Les femmes sénégalaises ne sont pas en reste. Outre la valorisation de variétés de semences locales à Sédhiou dans le cadre d’un projet développé par l’Association Sénégalaise des Producteurs de Semences, elles sont engagées dans des processus d’échange de bonnes pratiques avec leurs sœurs évoluant dans d’autres zones agroécologiques comme les Niayes où des femmes maraîchères ont « impressionné » des agronomes.
La partition de la FAO et des ONG
Promouvoir les innovations des producteurs agricoles suppose l’existence de plateformes d’échange, de plaidoyer et de renforcement mutuel des capacités des acteurs à la base. La FAO en a fait un projet en organisant le premier symposium panafricain sur l’agroécologie. Les résultats des réflexions et les recommandations issus de cette rencontre peuvent inspirer des politiques publiques en matière d’agriculture. Pour montrer la voie à suivre, cette organisation onusienne a mis en œuvre, en Afrique, le programme dénommé Champs-Ecoles de Producteurs (CEP) dont les expériences sénégalaise et malienne sont valorisées.
Cette approche replace le paysan au cœur des systèmes de production et l’amène à trouver des solutions durables à ses préoccupations agricoles. Celui-ci a le privilège de dormir sur un potentiel de connaissances inconnues des autres parties du monde. Une situation que l’Oakland Institute a essayé de résoudre en décembre 2015, à Paris en marge de la COP 21, à travers le partage d’une étude sur les connaissances agroécologiques menée en Afrique.
Comme d’habitude, soucieux de la soif en connaissances de ses lecteurs, AGRIDAPE propose une bibliographie et un répertoire de sites web pour ceux qui souhaitent s’enrichir des travaux de chercheurs et d’organisations qui portent le combat de la co-création de connaissances paysannes en bandoulière.
Les rencontres nationales comme internationales sont aussi des espaces de vulgarisation et de plaidoyer pour les producteurs et les organisations de producteurs, afin d’amener les décideurs à accélérer la transition agroécologique. C’est le cas du Forum mondial sur l’accès à la terre et aux ressources naturelles organisé dans la ville espagnole de Valence, du 31 mars au 2 avril 2016. On peut également noter la rentrée solennelle 2016 de l’Académie Nationale des Sciences et Techniques du Sénégal et l’atelier national sur le Fonds Vert Climat. Autant de rencontres que nous avons suivies pour nos lecteurs, et qui permettent d’avancer que la reconnaissance des contributions des producteurs dans les processus de création des connaissances agricoles fait son chemin…