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Burkina Faso : l’évolution de la technique du zaï

45% du territoire africain est situé dans des régions où l’agriculture pluviale est fragilisée par les sécheresses récurrentes. Au Burkina Faso, la dégradation des sols peut être limitée grâce à la technique du Zaï, technique manuelle traditionnelle très exigeante en main d’œuvre (300h/ha). La mécanisation de l’opération permet de passer à 40h/ha. L’amélioration de la technique touche aujourd’hui plusieurs centaines de fermes et d’artisans dans une vingtaine de villages du nord du Burkina Faso.

Depuis la sècheresse des années 1970 qui a entraîné un glissement des isohyètes vers le sud, le Plateau central du Burkina Faso présente une pluviométrie comprise entre 500 mm au nord et 800 mm au sud. Le sorgho (Sorghum bicolor) est une céréale très cultivée dans cette région.
Le sorgho est aussi une céréale majeure en zone sèche africaine. Les graines sont très utilisées pour la consommation humaine, les pailles pour la consommation animale et la construction de toitures et de palissades dans les villages.
Le 1/4 des surfaces agricoles exploitables est constitué de sols dégradés et nus, localement appelés « zipellé ». Ces sols sont mis en valeur par la technique du zaï manuel. La technique consiste à creuser manuellement à l’aide de daba (outil de travail du sol) des cuvettes de 10 à 15 cm de profondeur et de 20 à 40 cm de coté, en saison sèche.
La terre excavée est mise en croissant en aval de la cuvette de manière, à faire obstacle à l’eau de ruissellement. Une poignée de fumier ou de compost (environ 300g) y est ensuite apportée. L’ensemble est légèrement saupoudré de terre fine. Le semis du sorgho est réalisé dans les poquets après les premières pluies.

La technique est pénible et demande beaucoup de temps car elle est réalisée au moment des grandes chaleurs (40 à 45 °C). Le temps de travail est de l’ordre de 300 heures pour un hectare (Barro et al., 2005). La mécanisation de l’opération consiste à réaliser des passages croisés d’une dent de travail du sol, en sec, attelée à un animal (traction asine, bovine, ou équine). Le premier passage est fait dans le sens de la pente, le second croise la pente.
A l’intersection des deux sillons l’agriculteur installe la cuvette de zaï. La dent de travail du sol en sec est une lame en fer de 8 mm ou 12 mm d’épaisseur, biseautée à ses deux extrémités. La lame de 8 mm est utilisée dans des sols argileux cohérents, celle de 12 mm est adaptée aux sols sableux et limoneux peu cohérents. Cette lame peut être montée sur tous les outils aratoires présents dans l’exploitation.

Le facteur temps de travail est déterminant dans l’adoption de l’innovation. En zaï mécanisé, il est de 50 h pour un hectare alors qu’il est six fois supérieur en zaï traditionnel. Par ailleurs, le passage croisé de la dent de travail du sol en sec donne une possibilité d’infiltration de l’eau plus importante que l’opération manuelle du fait d’un émiettement plus important de la couche superficielle du sol (Barro et al., 2005). La technologie est destinée aux petites exploitations familiales ayant une superficie de 3 à 5 ha et possédant un outil aratoire en traction animale. Une étude faite en 2006 dans le département d’Arbollé montre que 75% des exploitations possède au moins un outil aratoire et un animal de trait. Pour ceux qui n’en disposent pas, il est possible de faire appel à une prestation de service. En période sèche, les charges de travail sont moins importantes qu’en saison des pluies. Cela rend possible et facile les interventions des prestataires de service sur les « zipellé » des demandeurs, et permet à la technique de toucher un grand nombre de paysans.

Intérêts de l’amélioration et de la diffusion du zaï mécanisé

La mécanisation du zaï permet une récupération rapide de surfaces plus importantes de sols dégradés (Barro et al., 2006). L’apport localisé de la matière organique et l’accroissement du stock d’eau dans le sol induirait un meilleur fonctionnement du système racinaire des plantes et une reprise de l’activité des micros organismes.
Dans ce cas, les propriétés physico-chimiques des sols seraient améliorées, ce qui permet d’accroitre l’alimentation en eau et en nutriments des plantes, dans notre cas, le sorgho, et d’améliorer la production de grains et de paille. Le temps de travail libéré par la mécanisation peut être utilisé par les villageois pour réaliser d’autres activités qui améliorent leurs conditions de vie (santé, instruction, investissement dans l’exploitation ou dans des activités génératrices de revenus etc…).

Le zaï favorise également la végétation ligneuse dans les parcelles. Les arbustes qui poussent dans les poquets de zaï sont préservés et croissent dans de bonnes conditions, car l’humidité stockée dans ces parcelles est plus importante. Cet effet s’oppose aux facteurs aggravants, principalement l’érosion, le ruissellement et, dans une moindre mesure, le vent.
La mise en valeur de 0,5 à 1 ha de sol dégradé par exploitation permettrait en cinq à six ans de restaurer la majorité des sols dégradés et d’améliorer de façon importante le potentiel de production de la région.

Résultats et impacts actuels

Les résultats techniques montrent que le zaï mécanisé est plus efficace que le zaï manuel en termes de gain de productivité. En outre, le gain de rendement est d’autant plus grand que les pluies sont irrégulières. Ce qui constitue un facteur important pour la sécurité de la production du paysan. Sur des sols improductifs, on a pu atteindre 1500 kg par ha de grains et 5 000 kg par ha de paille, soit respectivement +34 % et +40 % de plus que la technique manuelle.

Au bout de trois années d’exploitation, le sol dégradé devient moins compact et plus perméable. Il peut être utilisé de façon classique sans zaï.
Effet du zaï manuel et du zaï mécanisé sur le rendement en grains du sorgho dans cinq villages du Nord du Burkina Faso.
Du point de vue économique et social, on a calculé que l’opération de mécanisation du zaï a pu permettre un accroissement des revenus du producteur de l’ordre de 150.000 F CFA, soit 229 € par hectare. En année de bonne pluviométrie, on constate que le 1/3 environ des producteurs de sorgho a une production de grains inférieure à 700 kg par hectare, alors qu’en année de mauvaise pluviométrie, ce sont les 3/4 des parcelles qui sont touchées par la baisse de production (Tiemtoré Kaboré, 2006).

Le surcroit de production et la libération de temps permis par le zaï mécanisé conduit donc les exploitations vers la sécurisation de leur alimentation et contribue à l’amélioration de leurs conditions de vie. L’amélioration de la technique touche aujourd’hui plusieurs centaines de petits agriculteurs et d’artisans dans une vingtaine de villages du centre et du nord du Burkina Faso.

Atouts et freins d’une dynamique d’innovation

Sur le plan technique, le zaï traditionnel manuel n’est plus suffisamment efficace dans le contexte actuel de forte contrainte climatique et de pression démographique sur l’environnement. Par conséquent, le zaï mécanisé, s’il était généralisé, permettrait une restauration plus rapide des sols et limiterait le phénomène de dégradation.
Cependant, la technique du zaï mécanisé doit être réalisée dans un système d’aménagement général de la toposéquence, voire du bassin versant (Roose et al., 1995). Le zaï mécanisé ne peut pas valoriser tout les types de « zipellé » par la production céréalière ou agricole, car certaines parcelles dégradées où les sols n’ont pas une profondeur suffisante pour une production céréalière. Elles conviendraient mieux à la plantation d’arbres.

Les freins majeurs à la diffusion de la technique sont le manque de formation surtout pour les femmes qui sont capables de porter l’innovation (Tiemtoré Kaboré, 2006) et l’insuffisance d’équipement en traction attelée des exploitations. Dans les provinces du Nord du pays, la majeure partie des paysans se trouve dans une situation d’insécurité alimentaire quasi-permanente. Les revenus sont très faibles ; ce qui rend tout investissement dans les exploitations très difficile.
La technique peut jouer alors le rôle d’amorce de l’investissement dans l’exploitation. Le prix additionnel de la technique, 15 000 F CFA, soit 23 € à l’hectare, est à la portée des paysans à condition qu’ils disposent d’un mode de traction. Les femmes qui représentent 54 % de la population dans cette région, pourraient être mobilisées à condition qu’elles disposent de l’appui matériel et technique nécessaire.
La collaboration de la recherche agronomique avec les projets de développement, les services techniques de vulgarisation, les ONG, les producteurs innovateurs, les artisans ruraux dans les villages, les groupements villageois et les autorités administratives et coutumières autour de la technologie du zaï mécanisé a été mise en œuvre, mais elle doit être généralisée afin d’accumuler des données techniques, sociales et économiques et permettre une diffusion rapide de cette technique.

La question cruciale de la sécurisation foncière est en cours d’examen par les autorités du pays qui sont conscientes de l’impact négatif du risque foncier dans l’implication des agriculteurs à maintenir leur terre en état de produire sur le long terme. Dans l’état actuel des choses, la capacité des forgerons ne permettrait pas de faire face à une demande élevée des producteurs. Dans un système où la production serait plus stable, les artisans locaux pourraient augmenter leur production d’outils avec des coûts de production réduits.

Conclusion et perspectives

Les raisons essentielles du succès du zaï mécanisé sont liées à l’efficacité de la technique pour améliorer la production avec une charge de travail moins lourde que dans le zaï traditionnel. Le fait qu’elle soit dérivée d’une longue pratique parfaitement adaptée aux besoins des agriculteurs est un facteur important de la réussite.
La technique du zaï mécanisé serait écologiquement durable du fait d’une meilleure utilisation de l’eau de pluie par les plantes et de la limitation de l’érosion des sols qu’elle permet et économiquement viable compte tenu des faibles investissements qu’elle nécessite. Néanmoins, des données manquent quant à ses impacts sur le long-terme, notamment sur la capacité d’investissement des petites exploitations des zones concernées.
Un développement de cette technique d’économie d’eau pour la croissance des plantes herbacées ou ligneuses permettrait d’augmenter la biomasse et donc la fumure organique par le bais de l’élevage qui, lui-même, participe à la sécurisation des gains de l’exploitation et à la production de matière organique pour le maintien de la fertilité des sols. Cet aspect dynamique est capital pour la durabilité des systèmes mais, lors d’une année sèche, la capacité de maintien d’un cheptel peut être anéantie.

Afin d’assurer le succès et la durabilité économique et écologique de cette technique et ainsi passer de l’amélioration technique à la dynamique d’innovation, il est important que les composantes de la société concernée soient impliquées dans l’action. Des solutions permettant de diffuser la technique par l’amélioration de l’accès à l’équipement et la formation devront être trouvées en collaboration avec tous les acteurs, notamment les agriculteurs et agricultrices.
Il faudra également veiller à assurer l’appui institutionnel au plan administratif, légal ou coutumier, sécuriser le foncier et suivre les dynamiques sociales et environnementales, afin de permettre une pérennisation des bénéfices assuré par l’extension de la technique. Ces aspects de la question sont actuellement étudiés dans le cadre de deux études réalisées en 2008, l’une sur les aspects biophysiques (Droux, 2008) et l’autre sur ses impacts socio économiques (étude en cours à l’Université de Ouagadougou).


Daniel Clavel, Albert Barro, Tesfay Belay, Rabah Lahmar et Florent Maraux

Chercheurs à UMR Amélioration Génétique et Adaptation des Plantes méditerranéennes et tropicales (AGAP)
E-mail : clavel@cirad.fr

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