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Exploiter autrement la matière organique pour faire vivre le sol : leçons apprises
Il convient de retenir que la solution au lessivage des sols est aussi endogène. Tout aussi, sa compréhension est une nécessité pour mieux étudier l’évolution des rendements agricoles. Voici quelques leçons retenues au Cameroun.
« Une seule main ne peut attacher le fagot de bois » est un adage de la sagesse Bantu, utilisé régulièrement pour faire référence au besoin incompressible de faire appel aux expériences plurielles et diversifiées face aux objectifs communs. Dans ce sens, les défis que posent les changements survenant dans le monde agricole induisent des approches multiples, aussi bien des utilisateurs des ressources, des produits ou alors des régulateurs (politiques publiques ou ONG). Les parcelles agricoles sont sous l’influence de facteurs divers, eux-mêmes en interaction dynamique qu’il importe de comprendre pour en apprécier les rendements. Au moment du tout « économique », les préoccupations « écologiques » peuvent sembler dissonantes, si du moins on n’en comprend pas toute la richesse.
Des pratiques de gestion répandues fondées sur des connaissances insuffisantes
En opérant par une approche comparative et complémentaire des pratiques, on pourrait se rendre à l’évidence que les concepts et caractéristiques utilisés pour designer les sols ne sont identiques dans les représentations, même s’ils font tous références aux mêmes réalités. Dans le cas spécifique de la fertilité des sols, le savoir endogène dispose d’un champ de désignations, de démarches de choix ou d’affectation, et même de restauration des parcelles agricoles qui n’ont pas été toujours intégrées ou prises en compte dans les dispositifs de recherche ou de vulgarisation des itinéraires techniques. De même, certaines de ces pratiques communautaires adaptées ne sont pas parfois elles-mêmes construites sur l’état actuel des connaissances.
Il existe donc en général une exclusion mutuelle qui se superpose à d’autres schémas complexes de diffusion ou d’adoption des connaissances. Pour revenir aux notions linguistiques, dans les régions des hautes terres de l’Ouest Cameroun, les populations rurales parlent de « fatigue du sol », pour exprimer leur analyse quant aux capacités d’un tel sol à produire avec satisfaction les récoltes espérées.
Cette attribution au sol d’un qualificatif propre du milieu « vivant » fait suite à un nombre d’indicateurs importants, patiemment établis et améliorés sans cesse. Parmi ces indicateurs, physiques ou biochimiques, la baisse des rendements, la modification des aspects physiques des produits, l’apparition de nouvelles espèces et autres ont été longuement exploitées pour apprécier les sols. Malgré une faible prise en compte de ces connaissances endogènes, elles ont fait du chemin, sans se fatiguer, en misant sur les mécanismes de construction sociale : la communauté des problèmes induisant la recherche de solutions communes. Dans les espaces et territoires ouverts, les observations individuelles sont les moyens les plus rapides de questionnement et parfois de découvertes. Les cadres communautaires d’échanges sont multiples, allant des rencontres régulières aux occasions plus structurées.
Co-apprendre du cycle du carbone et la richesse des sols
La production de la biomasse végétale ou animale dans un espace agricole est le premier indicateur, aussi bien pour ce qui est des savoirs endogènes qu’agronomiques classiques. C’est en cela que la jachère a été une pratique longuement utilisée pour la restauration des sols avant l’illusion d’un enrichissement des sols par l’application massive des seuls engrais minéraux. Il se trouve que, dans beaucoup de régions du monde rural, la vulgarisation de la monoculture aura eu pour conséquence l’évanouissement progressif des leçons apprises au fil des siècles, pour les voir resurgir devant les lacunes actuelles, du moins surtout pour les petits producteurs dont l’accès aux technologies et informations n’est que faiblement garanti. C’est aujourd’hui dans les milieux urbains et périurbains que les matières organiques prennent toute leur ampleur. Forcement en raison des usages nouveaux et très demandeur comme la floriculture ornementale et l’expansion progressive de l’agriculture « hors sol » qui se développe dans les vieux pneus, sacs, fûts ou récipients de tout genre. C’est un cheminement d’apprentissage que la difficulté d’accès aux terres cultivables et productrices et aux coûts acceptables. A l’observation, le fait que les lieux de décharge d’ordures ménagères favorisent le développement des biomasses importantes, suscitent dans certaines petites et moyennes villes des ruées vers les « cribles de déchets », véritables sources d’enrichissement des sols aux fins agricoles. La matière organique, très riche en carbone, simple ordure ou refus des cuisines peut rapidement devenir une source de richesse économique et écologique. Les milieux ruraux exportent vers les villes d’énormes quantités de leur carbone, squelette de la richesse des sols. Mais il existe d’autres systèmes par lesquels les agro-industries urbaines paient en retour l’apport de la facture organique rurale : l’approvisionnement en sous produits pour l’élevage.
L’intégration de l’élevage dans le système pour gagner plus
Les drêches des industries brassicoles,
jadis véritables calvaires pour les riverains
des grosses brasseries sont des richesses
inattendues. Elles sont en effet largement
exploitées dans l’alimentation, en priorité, des porcins et déjà expérimentées dans l’élevage de la volaille, des poissons et même des petits ruminants. Des chaînes de distribution et de reconditionnement s’organisent et se densifient autour de cette matière organique, déchet des fermentations alimentaires. Entre Douala (principale mégapole industrielle d’Afrique Centrale) et les villes et campagnes de la région des hautes terres de l’Ouest Cameroun, il existe un fructueux et intense échange de matières organiques, dans un sens pour l’alimentation humaine, et dans l’autre pour l’alimentation animale.
Or ces mêmes animaux génèrent des déchets eux mêmes devenus progressivement source d’usages divers et importants. C’est l’expérience de M. Etienne Kenfack de Bangang, un « touche-à-tout » d’agroécologie qui en embrassant la culture des plantes médicinales s’est investi dans la vulgarisation d’un traitement spécial du lisier de porc en un fertilisant aux effets « hygiènisants » du sol inattendu. En effet, c’est fort de sa passion et de ses observations qu’Etienne avait réuni ses amis, des petits agriculteurs autour de la production de la viande de porc pour la ville voisine.
Dans le souci de mieux valoriser leurs investissements porcicoles, ils eurent recours alors à une ONG de développement durable et un expert en système agricole intégré fut mis à leur disposition pour le temps nécessaire. Le compostage en box issu des échanges et mis en expérimentation suivie produisit non seulement un substrat ultra léger et utile pour leur production de plantes médicinales, plus encore les sacs de ce compost leur rapportèrent pendant de nombreuses saisons bien plus de revenus que la viande de porc.
Il se trouve que Bangang est situé juste en dessous de l’un des plus gros bassins de production maraîchère (tomates, carottes, poivrons, poireaux, choux…) de la sous région, sur les Monts Bamboutos. Et l’application incontrôlée et continue des fertilisants de synthèse avait fait apparaître une rare maladie réduisant de plus de 80% les rendements de choux et autres plantes de cette famille. Un des premiers cultivateurs de choux fit l’expérience de se rendre compte que non seulement la production reprenait, mais en plus que les sols retrouvaient leurs propriétés la saison suivante. La nouvelle se répandit et la médiatisation locale fit le reste. Même si les chercheurs n’ont pas pris des mesures pour investiguer le phénomène, Etienne et son groupe ont mis en place une coopérative qui promeut, au delà des frontières de Bangang les pratiques agroécologiques, issues de leurs expériences et adaptées aux réalités technologiques et logistiques en présence. L’agroforesterie en fait largement partie.
Composter les résidus agricoles et les « mauvaises herbes » : initiatives gagnantes
Les espaces agricoles sont souvent peu compris comme des espaces vivants. Selon les regards, certaines plantes, pour diverses raisons, sont considérées comme des « mauvaises herbes », et en conséquence subissent le traitement par le feu. Cela est encore plus perceptible dans les savanes qui vivent annuellement sur des étendues immenses les feux sauvages, le plus souvent avec pour initiateurs des éleveurs de bovins, transhumants et en recherche de pâturages plus herbeux. Ces pratiques de brûlis se retrouvent aussi dans les petites exploitations, avec pour conséquence la destruction d’une immense quantité de matières organiques et y compris les microorganismes du sol. Aujourd’hui, fort des expériences accumulées et échangées, les brûlis tendent à se localiser dans les parcelles quand ils ont encore cours, ou alors même sont progressivement remplacés par le compostage, sinon alors par l’enfouissement. Quelques associations de femmes rurales, encadrées par des ONG ou diverses initiatives, ou le plus souvent aussi de leur propre chef, ont adopté progressivement dans la région de l’Ouest, la pratique du compostage. Dans ce cadre, l’utilisation de certaines autres plantes a été recommandée pour faciliter la décomposition d’une part et les paramètres fertilisants des composts. C’est le cas des plantes légumineuses, locales ou d’importation. C’est une bonne nouvelle ! Les pratiques qui conservent la vie du sol conservent aussi les moyens de subsistance pour les familles pour maintenant, tout en assurant la préservation des propriétés des sols pour les générations qui viennent. C’est la aussi un gain important et lequel embrasse le présent et l’avenir.
Félix Meutchieye
Ingénieur Agronome (Dr-Ing), Enseignant-Chercheur à l’ Université de Dschang – Cameroun
Contact e-mail : fmeutchieye@gmail.com