Abonnement à Agridape

Accueil / Publications / AGRIDAPE / Co-création de connaissances en agroécologie / Mali : PROFEIS valorise la créativité du paysan

Mali : PROFEIS valorise la créativité du paysan

Les paysans maliens sont des innovateurs. C’est ce que nous enseigne le programme « Promouvoir l’Expérimentation et l’Innovation Paysannes au Sahel » (PROFEIS). Dans un catalogue, les producteurs agricoles et des chercheurs présentent 25 innovations locales d’agriculteurs maliens. En voici six exemples et leurs processus qui ont abouti à la construction de connaissances agroécologiques.

1. Amélioration de la germination du Niama

Dans le cadre de la mise en valeur des essences locales, l’ONG nationale Sigignogonjè, ex-voisins mondiaux, a installé une parcelle de démonstration en vue d’améliorer la fertilité du sol et de lutter contre l’érosion grâce à la plantation du piliostigma reticulatum dans les champs. Mais la production des plants de niama, nom local dudit plant, est difficile à cause de la difficulté de germination des graines (environ deux mois ou pas de germination).

Un agriculteur de la commune de Timissa a réussi à raccourcir cette durée grâce à une méthode. Il s’appelle Wamian Dembélé, natif du village de Doumakui. La commune de Timissa est située à 110 km de Tominian, son chef-lieu de Cercle, dans la région de Ségou. Agé de 42 ans, monsieur Dembélé est marié à deux femmes et est père de plusieurs enfants. C’est un agriculteur qui exploite une superficie estimée à 20 ha où il produit mil, sorgho, fonio, arachide, dont 70% sont auto-consommés.

Au niveau de sa communauté, il exerce les responsabilités suivantes : éducateur au Centre d’Education pour le Développement, Maire de sa commune et animateur de radio communautaire. Dans le cadre de ses activités professionnelles, sa contrainte principale est l’insuffisance d’eau de pluie et l’accès difficile au crédit bancaire. L’accès du village est facile pendant la saison sèche mais difficile pendant la saison pluvieuse.

L’innovation consiste à tremper les graines de piliostigma reticulatum dans de l’eau bouillante pendant deux heures. Les graines sont ensuite enlevées de cette eau et mises dans un sac en fibre de dah ou sac en jute mouillé. Le sac est suspendu sous le hangar et son contenu est arrosé pendant trois jours. Au bout de quatre à sept jours, la germination commence. La technologie introduite au départ était le traitement de la graine de niama par les produits chimiques ou l’eau chaude ou scarification des graines. La modification apportée est l’utilisation du sac de jute et un arrosage intensif après le trempage dans de l’eau chaude.

La motivation de l’innovateur est de produire plus de plants de piliostigma reticulatum pour reboiser toute son exploitation ou au moins une grande partie de celle-ci et lutter contre la dégradation de ses terres. L’idée vient du fait que les sacs en fibres de dah conservent longtemps l’humidité, donc l’innovateur a estimé qu’en y gardant les graines déjà trempées dans de l’eau bouillante durant deux heures, avec un arrosage régulier, cela conduirait à ramollir leur coque qui est de nature assez dure.
Il a ainsi réussi à accélérer la germination des graines, à améliorer le taux de germination. Cela lui a permis d’augmenter la productivité des plants, la superficie boisée. En outre, ce pays est parvenu à réduire le coût des intrants et à une meilleure gestion des superficies cultivables.

Les rencontres de l’organisation dont il est membre sont des espaces d’échanges permettant à l’innovateur de partager cette information avec les autres pépiniéristes. Ainsi, de bouche à oreille, la nouvelle a pu être répandue. Certains paysans ont adopté partiellement la technologie surtout pour la plantation de certaines espèces comme le balazan (acacia albida). Toutefois, la contrainte majeure est la rareté des sacs de jute qui sont actuellement importés du Burkina Faso, à cause de la fermeture de l’usine du Mali.

Le processus de modification

Il faut d’abord faire bouillir l’eau, y ajouter les graines pendant cinq minutes sur le feu, ensuite le faire descendre du feu et attendre 24 heures avant d’enlever les graines. Le semi des graines est effectué dans une planche de 50 cm de côté et 20 cm de profondeur qu’on remplit d’excréments de petits ruminants (chèvre) recouverts d’un tissu, puis étaler les graines sur le tissu et ensuite les recouvrir avec un tissu plus lourd que le premier.

Après cette opération, on arrose abondamment pendant cinq jours. Il ne faut jamais l’ouvrir avant le cinquième jour, début de la germination. L’arrosage doit se poursuivre tous les jours, matin et soir, jusqu’à obtenir le nombre de grains germés désiré.
Chaque matin, on peut enlever les grains germés et les semer dans les pots ou directement au champ. Quand on est assez mobile et qu’on n’a pas le temps suffisant pour suivre la germination dans la planche, on peut directement enlever les graines de l’eau refroidie, les envelopper dans un tissu en coton suffisamment mouillé et le conserver dans un sachet plastic non troué, hermétiquement fermé et transportable partout. La procédure de semi reste identique dans les deux cas. Cependant, il faut éviter l’allongement des radicelles avant la transplantation.

2. Récupération des terres par ensemencement du sésame, fonio, ligneux

Cette innovation est de Sékou Mallé du village de N’golokouna dans la commune de Niala (Cercle de Bla). Agé de 42 ans, il est marié à une femme, père de neuf enfants. Il est alphabétisé et a effectué plusieurs voyages d’échanges à Koutiala, Kaniko, Sikasso, Sirakélé et Fonfana respectivement sur les pépinières, la plantation et le greffage.

Agriculteur de profession, 70% des revenus de monsieur Mallé proviennent de l’agriculture, 25% de la pépinière et 5% d’autres activités. Il est membre de l’association Benkadi 1 de N’Golokouna. La superficie cultivée est de 6 ha. Il pratique aussi l’élevage, il dispose de deux ovins, un caprin, deux bovins et un âne. L’équipement agricole se compose de deux charrues, une charrette, une brouette et un arrosoir.

L’innovation porte sur une technique de récupération des terres dégradées par des méthodes combinées. En effet, durant la première année, ce sont les semis à la volée du sésame sur l’ensemble de la superficie labourée. Le sésame, une fois germé, n’est pas à récolter et reste au sol pour protéger le sol contre le vent. Durant la deuxième année, l’arachide est semée dans la partie où le sésame a bien donné l’année précédente et le fonio dans la partie où le sésame n’avait pas bien donné. Cette dernière culture n’a pas été entièrement récoltée. Pendant la troisième année, 200 citronniers ont été plantés en vue de les greffer.

Malheureusement, ces plantes sont toutes mortes. L’année suivante, il est planté 1200 pieds d’eucalyptus traités avec les feuilles de neem pilées et mélangées à l’eau, pour traiter le fond des trous avant de planter les arbres. Ces arbres ont survécu avec un taux de 95%. Le paysan est aidé par sa famille dans le processus de développement de l’innovation. M. Mallé voulait faciliter l’accès de ses pépinières à ces clients. Eviter les conflits avec ses voisins lors de l’enlèvement des plants achetés.

L’idée de l’innovation vient de la non-disponibilité de terres cultivables et de la nécessité de restaurer les terres dégradées. L’avantage de cette technique est que le bois de consommation est garanti, en plus de la restauration du sol, du couvert végétal, de la tranquillité et quiétude et de l’amélioration du revenu du paysan. La diffusion de l’innovation se fait de bouche à oreille. Beaucoup de jeunes du village ont été formés par l’innovateur. Des producteurs aussi viennent visiter la ferme. Cinq personnes formées ont mis en pratique les notions apprises. Cependant, il y a une pression foncière dans la localité.

3. La fertilisation à base de fiente de volaille

Les termites constituent un obstacle majeur à la réussite des plantations pour beaucoup d’agriculteurs souhaitant s’investir dans cette activité. L’innovateur, Dami Josué Dembélé, agriculteur, né vers 1955, habite à Kéréré Coura, commune de Timissa (Cercle de Tominian). Il est marié à une femme et père de 12 enfants. Son activité principale est l’agriculture. Il pratique un peu d’élevage et fait de la menuiserie. Les principales cultures réalisées sont le mil, le sorgho, l’arachide, le riz, le maïs et le dah. La production est autoconsommée à 60% et vendue pour 40%.

Monsieur Dembélé est le chef de l’église protestante de son village. Il est aussi chef de quartier et secrétaire aux conflits du Comité de Gestion Scolaire. Il a participé à deux formations à Ségou et à San sur la menuiserie, en mars 2004 et avril 2005. L’accès au marché est difficile pour lui en raison de l’état des pistes et du manque de moyen de transport.
Son innovation consiste à creuser un trou de 60 centimètres de profondeur et 80 cm de diamètre, destiné à la plantation d’arbre. Au fond du trou, on y met des os d’animaux. La première terre (humus) est versée dans le trou en premier. La seconde terre, celle du milieu du trou est mélangée à la fumure organique (fumier : excréments de moutons) et reversée dans le trou en seconde position.
La terre prélevée du fond du trou est mélangée aux fientes de volaille pour remplir le trou et arrosée pendant six à dix jours avant de planter l’arbre. M. Dembélé avait le souci de préparer sa retraite d’artisan. Il a initié cette méthode de lutte biologique en attirant les fourmis rouges (ou magnans rouges) avec les os d’animaux dans lesquelles ils s’abritent à cause de la moelle. Ces fourmis s’installent dans les trous des os et chassent les termites.

Quand aux fientes de volaille, il a constaté que, dans les poulaillers ou tout autre endroit où dorment les poules, il n’y a pas de termites. Donc, il pense que les fientes de volaille ont un pouvoir répulsif contre les termites. L’avantage tiré a été l’amélioration du taux de survie des plants et du revenu. L’innovation n’est pas diffusée. L’innovateur vit un manque de ressource humaine et matériel d’arrosage et un problème de sécurisation des plants. L’innovation n’est pas encore adoptée par ses pairs paysans.

4. La Charrue buteuse

Cette innovation est de Sinaly Kanté, forgeron de profession, résidant dans le village de Djarani de la commune de Tominian. Il est marié à deux femmes et père d’un enfant. Monsieur Kanté pratique l’agriculture pendant l’hivernage. L’innovation à laquelle il a abouti est une modification du socle de la charrue à deux versoirs. Il s’agit d’un socle dont les deux côtés sont démontables pour satisfaire le besoin d’une charrue à un seul versoir. Elle a été jugée efficace par les utilisateurs pour la simple raison qu’elle a l’avantage de pouvoir s’enfoncer facilement dans le sol. Elle est légère et ferme bien les mauvaises herbes. L’idée est venue d’un constat.

Il fut une année où les mauvaises herbes avaient envahi les champs. La charrue à double versoir était devenue inefficace, et l’autre charrue communément appelée « Tropicale » était assez lourde dans des situations pareilles. Alors, l’innovateur a réfléchi à une solution adaptée pour résoudre ce problème. Son imagination à porté sur la modification.

Cette innovation a permis à son auteur de recevoir assez de demandes. Il a enregistré plus de 300 ventes de charrue chaque année, depuis plus de cinq ans. Les foires de la localité sont des occasions pour M. Kanté de diffuser son innovation. Environ une dizaine de forges du cercle de Tominian fabriquent ce modèle car il n’engendre pas de contrainte majeure.

5. Lutte contre le Cyperus

Le Cyperus est une mauvaise herbe hautement compétitive et très difficile à maîtriser par les producteurs à cause de la structure complexe de son système racinaire. Ce qui affecte négativement le rendement. C’est pourquoi, les producteurs expérimentent aussi des techniques de lutte contre cette herbe. C’est le cas de Kassim Sorokouma du village de Mané, situé dans la commune de Timissa, (Cercle de Tomonian). Né vers 1960, il a deux femmes et est père de dix enfants. Il a fait l’école primaire et a effectué un voyage d’échange à Fatoumadaga sur l’agriculture. Justement, l’agriculture constitue son activité principale. La superficie cultivée est de 17 ha. Il pratique aussi l’élevage.

Les différentes activités menées contribuent à l’économie familiale à 60%.
Son innovation consiste à lutter contre le Cyperus dans les plantations de banane. Il s’agit d’épandre les glumes de mil dans le champ et de labourer en début d’hivernage. Les termites qui viennent ronger ces résidus attaquent les racines du Cyperus et les anéantissent. Après quinze jours, on fait un second labour. L’innovation peut se faire même en saison sèche. Il a pensé à innover depuis 1998. L’idée vient de l’innovateur lui-même, après le constat de l’effet des glumes de mil.
L’innovation a permis une augmentation de la production agricole et l’amélioration de la fertilité des sols et sa propagation est rapide. L’avantage est que cette innovation a permis une augmentation de la production agricole et l’amélioration de la fertilité des sols. Elle est diffusée pendant les réunions et les assemblées générales. La technique a été adoptée par six hommes et une femme dans trois villages. Cependant, la difficulté est la disponibilité des résidus de battage du mil. La compétition entre les utilisateurs (paysans, confection des briques) est forte.

6. Mécanisation de la micro-dose du fumier des petits ruminants et des chauves-souris

Cette innovation est de Pierre Théra, un agriculteur âgé de 54 ans, résidant dans le village de Souara, commune de Tominian. Il est marié à deux femmes et est père de huit enfants dont cinq garçons et trois filles. M. Théra est aussi secrétaire à la production de l’Union des Agriculteurs du Cercle de Tominian (UACT) qui est membre de l’Association des Organisations Professionnelles Paysannes (AOPP). Son processus d’innovation a démarré en 2002 et a consisté à mélanger directement les semences et la fumure organique (crétins de petits ruminants) pour l’apport au poquet du fumier.

Il faut rappeler que la semence est mélangée à la fumure organique et mise dans le semoir. Le fumier est pilé et tamisé. Le mélange se fait en prenant une mesure de semences pour deux mesures de fumier. Les graines et une certaine quantité de fumier tombent ensemble dans le poquet. L’innovation est en cours et de manière très opérationnelle. Les étapes de l’innovation se résument à l’agrandissement des trous des disques du semoir , à la recherche de fumier, au pilage et au tamisage du fumier , au dosage du fumier, au chargement du semoir et aux semis-épandage. Le travail est fait avec la participation des frères qui se chargent de l’approvisionnement en fumier. C’est la Compagnie Malienne pour le Développement du Textile (CMDT) qui a donné le semoir à crédit remboursable en quatre ans. L’investissement est de 120.000 F CFA. Il est réparti comme suit : 80 000FCFA pour le semoir et 40.000 F CFA pour le multiculteur.

La motivation de M. Théra découle de la diminution de la quantité de fumier à apporter pour une production optimale, dans la mesure où des quantités recommandées n’étaient pas toujours à la portée des producteurs. L’idée est venue de l’innovateur lui-même, eu égard aux difficultés de semer le sésame mélangé au sable et au son. L’innovation a permis à la famille d’assurer son autosuffisance alimentaire avec des semis de 2 ha par jour avec les chevaux. L’innovation est diffusée lors des assemblées générales et au cours des journées inter-paysannes. Elle a été adoptée par près d’une cinquantaine de producteurs membre de l’UACT. Toutefois, les producteurs font face à l’indisponibilité du fumier des petits ruminants.

PROFEIS-Mali

Contact : Assétou Konaté- kalilouka@yahoo.fr

Référence :
Catalogue des innovations paysannes
www.inter-reseaux.org/IMG/pdf_Innov_Paysanne.pd
Partenaires :
Institut d’Economie Rurale (IER)
Association pour le Développement des Activités de Production et de Formation (ADAF/Gallè), Association des Organisations Professionnelles Paysannes (AOPP)