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Protection des cultures maraîchères au Bénin : les filets anti-insectes sont-ils rentables ?

Cette étude a été réalisée à la demande de nos partenaires béninois de l’ Institut National des Recherches Agricoles (INRAB). Elle a été financée par l’USAID. Cette étude est partie de plusieurs constats. D’abord, l’usage croissant d’insecticides sur les cultures maraichères provoque l’apparition de résistances chez les insectes au fil du temps. Autrement dit, certains insectes ne sont plus éliminés par les insecticides. Cela entraîne chez les agriculteurs un usage croissant d’insecticides (souvent mal adaptés), notamment en augmentant les doses afin d’éliminer les insectes résistants.

Le recours croissant aux insecticides entraîne un cercle vicieux car plus les insectes deviennent résistants, plus les agriculteurs emploient des insecticides et plus ils deviennent résistants. Dans le cas du Bénin, la résistance aux insecticides est telle que, malgré un usage excessif d’insecticides, les récoltes subissent quand même des pertes. Une autre raison qui nous a poussés à mener cette étude, est que les insecticides affectent la santé non seulement des producteurs et de leur famille, mais aussi des consommateurs, par la présence de résidus d’insecticides sur les produits. Les rapports officiels sur les liens entre l’exposition aux pesticides et la santé sont de plus en plus précis.

Les pesticides risquent ainsi de provoquer des cancers, des maladies neurodégénératives, des troubles cognitifs, ou des effets sur la reproduction humaine. Il faut aussi savoir que des études ont montré au Kenya et en Ouganda que le fait pour un ménage de sombrer dans la pauvreté, résultait de la conjonction de deux facteurs : une maladie du chef du ménage et la perte consécutive de son activité. Pour l’heure, les maladies envisagées sont le Sida et le paludisme, mais il n’est pas dit que les agents chimiques n’ont pas une influence sur les conditions de vie des ménages.

Enfin, une raison qui nous a poussés à réaliser cette étude est que l’ensemble de la société a droit à une nourriture saine. C’est déjà un devoir au niveau du commerce international : les règles en matière de certification sanitaire sont très strictes dans ce domaine. Il est nécessaire d’anticiper à terme ces règles contraignantes mais salutaires pour une alimentation saine sur les marchés domestiques en Afrique. Nous montrons que les filets ont un ratio coût-bénéfice plus de deux fois supérieur aux pratiques courantes qui consistent à utiliser des insecticides sans supervision.

Nous montrons aussi que les marges nettes sont trois fois supérieures en pépinière et aussi en plein champ. Un résultat remarquable est la diminution des pertes à la récolte et l’amélioration de la qualité des cultures : moins d’attaques d’insectes, moins de produits non commercialisables car moins abimés, etc. La protection physique des cultures offre une solution radicale.

Origines de la technique proposée

L’usage des filets est parti d’un constat : les moustiquaires commercialisées par l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) sont distribuées pour lutter contre le paludisme. Ainsi, le principe de la protection sous filet ne serait-il pas efficace aussi pour les cultures ? Nous avons aussi observés des détournements de moustiquaires à usage domestique en faveur des cultures. L’usage des insecticides abouti à des impasses lorsque les résistances des insectes sont trop importantes. Pour beaucoup de produits maraîchers ou pour certaines variétés d’insectes, il n’existe pas de produit homologué. Les agriculteurs doivent donc détourner des insecticides prévus pour d’autres insectes. Enfin, la qualité des insecticides est variable, et même s’il existe peu d’études sur ce sujet, l’usage d’insecticides du secteur informel complique le suivi des agriculteurs.

L’expérimentation avec quelques maraîchers

Nous avons identifié sept agriculteurs en conditions réelles, c’est-à-dire que nous n’étions pas en station de recherche expérimentale, pour bien avoir un aperçu des pratiques courantes réelles adoptées. Ensuite, nous leur avons demandé s’ils acceptaient de tester les filets sur quelques parcelles (en fait des planches de 12 m² car, au Bénin, la planche - le kantin- est une unité traditionnelle fréquente pour le maraîchage). Les filets leur ont été distribués gratuitement. Nous avons ensuite procédé à une analyse de rentabilité ordinaire avec la mesure des coûts et des dépenses. Nous avons porté une attention particulière au rendement en mesurant bien la quantité des produits et leur aspect visuel. Dans le cas du chou, l’aspect visuel et la taille du produit influe positivement sur les prix de vente. En revanche, nous n’avons pas ajouté une prime à la qualité sanitaire des choux car elle n’est pas valorisée au Bénin à l’heure actuelle. Pour l’instant, que les produits présentent des résidus de pesticides ou pas, le prix d’achat par les commerçants aux agriculteurs est le même.

Impacts sur les revenus

Les filets n’augmentent pas la quantité produite. En revanche, ils réduisent considérablement les pertes et les gaspillages, les risques d’intoxication et la pollution de l’environnement. A semis équivalent, les pertes sont insignifiantes dans un cas et très importantes dans un autre. Nous avons aussi constaté que les filets permettent de contrôler le niveau de la production, et donc les revenus. Les variations de la production à cause des attaques intempestives des insectes disparaissent. C’est très important pour un agriculteur de pouvoir maîtriser ses flux de trésorerie. Comme nous l’avons dit plus haut, les pertes et les gaspillages sont considérablement réduits lorsque les filets sont utilisés. Ce ne sont pas vraiment les économies réalisées sur les insecticides qui jouent, mais bien leur inefficacité qui est mise en évidence. Comme nous l’avons dit, nous avons interrogé un agriculteur qui avait perdu l’intégralité de sa récolte, malgré un usage excessif d’insecticides. Peut-être n’avait-il pas les bons produits, peut-être n’avait- il pas respecté les modes d’emploi ? Rappelons que nous avons souhaité réaliser les tests en conditions réelles de connaissance et d’expérience.

Coût de mise en œuvre

Les filets ont été distribués gratuitement, mais nous avons montré que, s’ils étaient vendus, ils seraient amortis dès le premier cycle de production. Les filets sont actuellement commercialisés par rouleaux de 50 x 3 m, à 0.60 USD le mètre carré. Les insecticides représentent une part très faible des dépenses. En fait, le prix des semences représente jusqu’à 90% des coûts. Quant au travail, la quantité de main d’œuvre destinée à manipuler les filets ou à épandre les insecticides est à peu près similaire. Alors d’où vient la différence ? Et bien de cette fameuse réduction des pertes et gaspillages.
Les filets offrent une solution efficace pour répondre aux filières d’exportation soumises à des contraintes de plus en plus sévères en matière de résidus de pesticides dans le cadre des échanges internationaux. Mais il n’y a pas que les filières d’exportation. Les petits agriculteurs ont enfin la possibilité de maîtriser leur production, en la stabilisant grâce à la réduction des pertes et des gaspillages. Grâce au milieu confiné qu’ils provoquent, les filets peuvent aussi être accompagnés de méthodes agroécologiques pour réduire l’usage d’autres pesticides. En ce moment, des sociétés développent des biopesticides pour lutter contre les insectes ravageurs de culture. Les recherches continuent pour accompagner l’usage des filets par des démarches durables, agroécologiques, destinées à réduire l’usage des pesticides.

Perspectives de diffusion de la technologie

Les filets sont applicables sur la plupart des cultures. Elle est même employée sur des pommiers en France. Par contre, il faut bien faire attention à la manipulation des filets pour éviter qu’il fasse trop chaud dessous, dans les climats chauds et très humides. L’agriculteur doit bien connaître les besoins de ses cultures et les insectes qu’il souhaite cibler.

Laurent Parrot

Chercheur au Centre international de recherches en agronomie et développement (Cirad)

E-mail : laurent.parrot@cirad.fr
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