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Valoriser les systèmes oasiens pour renforcer la résilience des exploitations familiales du Nord Mali

Dans le Nord du Mali, les changements climatiques ont eu comme principales
conséquences une réduction des précipitations et une augmentation de
la température, pouvant aller jusqu’à 45°C pendant 6 mois par an avec des
vents desséchants. C’est pourtant dans cette zone très aride que depuis 2001, Autre Terre, une ONG belge, s’active en collaboration avec l’association Assador
à Tessalit (région de Kidal) et l’Union des Groupements Maraîchers (UGM) de la
région de Gao. L’ONG belge a développé une expérience destinée à promouvoir
le système oasien afin de renforcer la résilience des agriculteurs du Nord Mali.

Les Changements Climatiques (CC) se sont imposés avec force ces dernières
décennies au Mali et ses impacts sont particulièrement importants dans la
région Nord : irrégularité au niveau des précipitations et de leur répartition spatiotemporelle, températures de l’air de plus en plus élevées, épisodes de sécheresses et d’inondations plus fréquents, diminution des apports en eau par les grands fleuves, dégradation notable des terres, plus grande fragilité des écosystèmes et de leur dynamique, sont autant de conséquences de ces changements climatiques qui impactent très négativement sur les capacités de résilience des populations de ce pays sahélien très enclavé. L’agriculture
et l’élevage, principale source de revenus et d’alimentation des populations, sont les principaux secteurs affectés par les changements climatiques.

Depuis 2001, l’ONG belge Autre Terre travaille dans le Nord Mali sur le développement des chaines de production agricole.

L’intervention de l’ONG est partie du constat selon lequel dans cette zone,
principalement à Tessalit, dans la région de Kidal, le maraîchage est l’une des activités phares des paysans. Il est pratiqué principalement
dans les oasis. Toutefois, le niveau technique des maraichers était assez
faible et ces derniers ne pratiquaient pas le principe oasien (associations des dattiers, aux arbres fruitiers et aux légumes), seul système adéquat par rapport à la chaleur.

Sur la base de ce constat et suite à une demande d’Assador de les aider à réaliser des infrastructures (puits busés, rigoles, bassins et motopompes) pour les jardins des maraîchers membres en 2001, Autre Terre a organisé différentes formations en maraîchage et agroécologie et des voyages
d’échanges sur Gao, sur Tinzouatène et au Burkina Faso.

Les formations organisées ont permis de faire comprendre aux maraîchers des
techniques simples comme la rotation et l’assolement, la diversification des cultures pour éviter les attaques, etc. L’intervention de Autre Terre, à travers un processus évolutif a également permis l’introduction du système oasien et l’association dattiers et légumes à Tessalit. Des arbres fruitiers (agrumes, manguiers…) ont également été introduits, de même que la protection des jardins par des haies vives avec des arbres fertilisants et fourragers y compris la production de luzerne dans les jardins pour les chèvres. L’expérience a contribué au renforcement de la résilience des producteurs maraichers. Mais, quel a été le processus suivi par Autre Terre dans l’atteinte de ces résultats ?

Stratégie de mise en œuvre

Faciliter l’accès à l’eau

Autre Terre a aidé les maraichers à sécuriser leurs puits par un système de busage en briques peu coûteux (coût global inférieur à 1.000 €, soit 655900 FCFA par puits de 12 mètres de profondeur), acquisition de motopompes à crédit, bassins et rigoles d’irrigation…). Pour sécuriser l’eau des jardins
et palmeraies, des barrages ont été réalisés pour retenir l’eau et permettre
la recharge de la nappe phréatique pendant l’hivernage… Les maraichers vérifient le niveau de la nappe et si elle n’est pas remontée suffisamment, ils réduisent la surface cultivée afin d’éviter les pénuries d’eau en période très chaude à partir d’avril…

Renforcer les capacités des maraichers

Un animateur a été recruté et formé en agro-écologie pour suivre au quotidien les maraîchers. Ces dernières années des kits en goutte à goutte ont été diffusés auprès de maraichers à Tessalit. Autre Terre privilégie dans la mesure du possible les compétences locales. Ainsi, nous avions régulièrement
fait appel à un agent spécialiste des dattiers et en agro-écologie basé à
Kidal pour donner certaines formations, ou d’autres personnes basées à Gao et qui ont travaillé avec Terre & Humanisme et Kokopelli, etc.

Les femmes en première ligne

A Tessalit, l’ONG a travaillé avec 2 associations : Assador (a majorité d’hommes) et Assaghsal. L’Association Assaghsal est composée uniquement de femmes. En plus du maraîchage, les femmes ont un centre artisanal pour produire des tapis tissés en laine. Des séchoirs solaires pour sécher les légumes leur ont été dotés. Elles gèrent par ailleurs une caisse d’épargne et
de crédit que l’ONG a contribué à mettre en place. Les hommes ont préférés que ce soient les femmes qui soient responsabilisées pour gérer cette caisse.
Donc, les femmes étaient fortement impliquées à Tessalit. Il en est de même avec l’UGM (union des maraichers de Gao) qui regroupe aujourd’hui une vingtaine d’associations avec environ 2/3 de femmes.

Résultats et impacts

Diversification et renforcement de la production

Les résultats et impacts sont importants et durables en termes de revenus, diversification et augmentation de la production en légumes, fruits…
Monsieur Mahamadou Souleye dit Bébé, agro-écologiste, spécialiste des semences, et directeur de l’UGM et du CAPROSET à Gao témoigne des résultats
obtenus dans les jardins maraîchers qu’il suit depuis plus d’une décennie :
« Grace à l’apport du compost et l’application d’autres techniques agro-écologiques, les maraîchers de l’UGM NAANEY ont augmenté
leur production de 321 tonnes de fruits et légumes en 2010 à 460 tonnes
en 2013. Leur rendement a évolué de 16 tonnes/ha en 2010 à 22 tonnes à l’hectare en 2013 avec une fertilisation des sols à 100% naturelle. La principale leçon tirée de ce programme est que l’agro-écologie est un catalyseur de la capacité de résilience des populations. En effet, malgré la
crise au Nord Mali en 2012/2013, les bénéficiaires
ont augmenté leur production en fruits et légumes biologiques ».

Un tel résultat n’aurait pas été possible en agriculture conventionnelle trop dépendante des intrants chimiques. Pendant cette crise, les maraîchers conventionnels n’ont pu produire par manque d’approvisionnement
en engrais chimiques, pesticides et semences hybrides. L’agro-écologie
montre ainsi tout son intérêt car le producteur est quasi autonome pour tous
ces facteurs de production.

« Les résultats de nos pratiques montrent des rendements accrus, et que c’est la meilleure technologie pour faire face aux changements climatiques » a déclaré un maraîcher de l’UGM à Gao.

Un approvisionnement continu en produits agricoles même en période de crise

En plus d’être résilient face aux changements climatiques, le système agro-écologique oasien s’avère performant et résilient même en période de troubles graves ou de guerre. Ainsi, pendant l’occupation des régions du Nord Mali par les rebelles, l’administration malienne s’était retirée pendant plus d’une année. L’absence des services de l’agriculture s’est traduite par la on-fourniture d’engrais ou d’intrants chimiques aux paysans. Cependant, les
maraîchers en agro-écologie, restés sur place, ont continué à produire grâce à l’utilisation des techniques de production et d’intrants naturelles. Mieux, ils ont même augmenté la production pour nourrir leurs familles et approvisionner le marché de Gao. L’agro-écologie a ainsi permis d’amortir la grave crise alimentaire liée à la pénurie de vivres par absence d’approvisionnement
venant du Sud-Mali ou de l’Algérie.

Donc, l’agro-écologie contribue à renforcer la souveraineté alimentaire locale.
Les maraîchers, qui avaient fui les combats en abandonnant tout, ont pu très rapidement se remettre à produire des aliments dans leurs jardins dès leur retour, sans aucune aide internationale. Ceci aurait été impossible dans le cadre de l’agriculture conventionnelle fortement dépendante des intrants chimiques et des semences hybrides. On le voit d’ailleurs un peu partout
dans les crises importantes (guerre), les producteurs ne peuvent se remettre
à cultiver sans un apport massif de l’aide internationale en intrants coûteux.

Plus surprenant, l’agro-écologie, du fait de son aspect naturel et de son non-usage d’intrants produits en occident, est appréciée positivement par les islamistes. Cette crise au Nord Mali s’est même traduite par une opportunité « inattendue » pour les maraîchers de Tessalit avec l’arrivée des militaires français et ceux de la
MINUSMA.

« Nous avons planté des manguiers avec l’appui de l’ONG Autre Terre sans
se rendre compte des avantages et voilà qu’à l’arrivée de l’armée française
et de la MINUSMA, nos jardiniers ont vendu un kg de tomate à 750 F CFA (1,14 €) au lieu de 300 F CFA (0,45 €) avant et pendant la crise. Une mangue est vendue à 1.000F (1,52 €) au lieu de 250 F à 300 F CFA (0,38 € à 0,45 €) avant
et pendant la crise. Un pied de laitue est passé de 50 F à 200 F l’unité. Le
maraîchage est devenu plus rentable que jamais grâce à la maîtrise et à
l’application des techniques de production agro-écologiques par les jardiniers
de Tessalit et environnant » a été rapporté par M. Alhouseyni Ag
Alhassane et Moustapha Ag Ackli, membres de l’association ASSADOR.

Principales leçons tirées de cette initiative

La principale leçon de cette expérience montre que l’agro-écologie est un système très efficient et qu’il faut travailler avec les populations sur une longue durée pour avoir de bons résultats.

Comme autre leçon, ce système est résilient face aux aléas climatiques et, aussi, en période de crise comme l’a connu le Nord Mali ces dernières années.

Les maraîchers/chères ont pu continuer à produire et augmenter leurs productions agricoles. Cela n’aurait pu se faire en agriculture conventionnelle fortement dépendante des intrants extérieurs comme les engrais chimiques, les semences hybrides ou les pesticides… Les maraîchers sont autonomes et arrivent à avoir également leurs propres semences biologiques pour leurs légumes plus adaptées que ces semences hybrides qui coûtent cher et qui,
ne donnent pas toujours de bons résultats.

Avec la bonne maitrise des principes en agro-écologie, les maraichers de Gao ou de Tessalit arrivent à produire 12 mois sur 12 alors qu’au début de notre intervention, on en était à 5 ou 6 mois par an.

Plus intéressant, avec les arbres fruitiers qui entrent en production, l’alimentation des familles est améliorée. Le manguier a été introduit à un moment où personne ne pensait qu’il pouvait s’adapter dans la région. Aujourd’hui, 3 maraîchers ont été formés pour la production de plants en pépinières des arbres fruitiers et maîtrisent la technique du greffage…

Le système oasien, une alternative de production durable dans le désert.

« Nos anciens jardins plantés d’arbres et de dattiers produisent 12 mois sur 12 grâce aux conditions naturelles existantes qui stabilisent la température à l’intérieur et réduisent l’effet desséchant des vents chauds ».
Mme Maïmounatou Alassane, maraîchère à Bagoundjié/Gao et présidente de l’UGM NAANEY.

« Les arbres fruitiers et dattiers représentent mon assurance pension : lorsque je serais trop âgé pour cultiver mes champs, je pourrais vendre les fruits. Un seul dattier peut produire jusqu’à 100 kg de dattes soit une recette minimale de 100.000 F CFA soit 152 € ». selon un autre maraîcher de l’UGPM.

Un système basé sur les principes de l’agro-écologie.

Le système oasien est basé sur l’association intégrée et harmonieuse des légumes, des arbres fruitiers et des dattiers au petit élevage. Il est durable et adapté aux contraintes d’aridité du climat. La gestion de l’eau est optimale. Enfin, les producteurs sont autonomes vis-à-vis des fournisseurs d’intrants chimiques (engrais, pesticides, herbicides) et des semences.

Le système oasien contribue à :

- l’amélioration de la fertilité du sol (compost, rotation avec des légumineuses,
arbres fertilisants) ;

- l’amélioration du couvert végétal grâce aux haies-vives, aux arbres
d’ombrages et aux arbres fruitiers et palmiers-dattiers (lutte contre la
désertification) ;

- la diminution des besoins en eau grâce à des systèmes économes
tels que la planche maraîchère, les haies vives, l’utilisation de compost, l’ombrage et le paillage ;

- l’arrêt de l’usage d’intrants issus de l’exploitation du pétrole (engrais
chimiques et pesticides), polluant et contribuant à l’émission de gaz à
effet de serre ;

- l’agro-écologie particulièrement adaptée au contexte ouest africain de
petites exploitations familiales, de l’environnement aride, d’autonomie
des producteurs, préservatrice de l’environnement (sols préservés et fertiles, association des cultures aux arbres…), etc.

Conclusion

L’agro-écologie est une agriculture durable, particulièrement adaptée
au contexte ouest africain de petites exploitations familiales et de l’environnement de plus en plus aride à cause de la désertification et des
changements climatiques. Elle permet une autonomie réelle des producteurs
vis-à-vis des intrants importés, préserve l’environnement tout en produisant des aliments sains et de qualité. Pour anticiper les changements climatiques au Burkina Faso, Autre Terre expérimente l’introduction de dattiers dans les jardins pour s’inspirer et tirer des avantages du modèle oasien

Christian LEGAY,

Autre Terre asbl

Email : christian.legay@fasonet.bf

Mahamadou Souleye

CAPROSET et UGM

Email : sadjibero@yahoo.fr