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Stratégies d’appropriation temporelle de l’espace agricole dans les villes moyennes du Cameroun

Les besoins alimentaires croissants et la faible capacité de l’économie moderne à faire face à la forte demande d’emploi poussent certaines communautés urbaines à trouver des stratégies alternatives pour survivre. A Dschang au Cameroun, l’aéroport de la ville sert de réceptacle à une activité agricole qui fait vivre de nombreux citadins.

Espaces et conflits : analyse de risques et prise de décision

Selon les estimations de l’ONU Habitat, plus de 52% des habitants des pays au Sud du Sahara vivront en ville avant 2020. La raison majeure de l’exode rural continu est sans doute la recherche des meilleures alternatives de survie et de concrétisation des trajectoires de vie. La ville attire en raison de la concentration des opportunités et des services communautaires. Dans le contexte du Cameroun, cette population urbaine vit essentiellement des petits métiers dit du secteur informel, métiers sur lesquels ils bâtissent difficilement un avenir. En dépit des promesses de la décentralisation annoncée au plan politique, il est communément fait l’observation d’une occupation faiblement maitrisée de l’espace urbain. Au moins sur le plan foncier. S’ajoute la complexité des régimes traditionnels et légaux d’accès à la terre. En ville, l’espace vaut tout son pesant, d’où l’installation anarchique des couches les moins nanties sur des espaces peu salubres, notamment les bas-fonds et autres zones à risques. Le déguerpissement parfois brutal d’une génération ne découragera pas la suivante. Il y a plein de familles sans terre, en fait, pour différentes raisons (Félix Meutchieye, 2012. Cameroun : Les agriculteurs ruraux bientôt sans terre ? Une histoire foncièrement pénible !).

Identité et activités des exploitants de l’aérodrome de Dschang :

La ville de Dschang a connu un développement démographique spectaculaire, d’abord avec l’installation d’un Centre Universitaire en 1977, et surtout avec son érection en 1993 en Université publique (une des 08 publiques au Cameroun). Avec plus 30.000 étudiants, elle draine une immense population humaine tout au long des années. La ville est l’une des plus scolarisées avec pas moins de 10 établissements secondaires, 25 écoles primaires maternelles et des centres de formation professionnelle. En plus de ça, la ville abrite un Musée et un Centre touristique et artisanal courus. Dschang est située au cœur d’une des régions les plus densément peuplée du Cameroun. Bien que considérée comme étant l’un des plus grands greniers du Cameroun et de la sous-région, cette zone mérite un arrêt sur l’envahissement de l’espace urbain aux fins agricoles. Et tout y passe.

L’aérodrome de Dschang accueillait encore des bimoteurs et permettait de rallier facilement Yaoundé et Douala, il y un peu plus de 20 ans. Le dernier vol de mémoire humaine daterait de presque 17ans aujourd’hui. D’une superficie totale de près de 12 ha, cet espace est actuellement morcelé, petit à petit en des champs vivriers, malgré la signalisation de cet endroit comme aérodrome sur la carte de la ville. Même les gamins scolaires ont du mal à s’y reconnaitre. Le morcellement de cet espace a donné place à un plus de 50 parcelles. L’une des exploitantes interrogées, possède une parcelle d’une superficie d’environ 400 m2. Elle affirme exploiter ainsi pour « nourrir ses enfants ». Certains exploitants, toujours selon elle, possèdent plus d’une parcelle. Le mode d’accès est très complexe, et rarement pourtant on entend des conflits ouverts. La loi du premier occupant est de vigueur.

L’agriculture pour sécuriser des espaces libres...

Le mot pour désigner « le mal » ainsi décrit selon les urbanistes est le désordre urbain. Ca dépendra de comment on regarde les choses. Autrement dit, qui a fait le lit du désordre ? Les terres de l’aérodrome sont la propriété de l’Etat (domaine public). On peut se souvenir que les autorités municipales avaient un temps interdit l’exploitation agricole de cet espace. Seulement, la piste de l’aérodrome désaffecté est vite devenue une route principale, piétonne, et puis un raccourci pour tous types de véhicules pour rallier le centre urbain aux localités se trouvant au delà de cet endroit. Bien plus, cette route passe juste à côté de l’université de Dschang. Sa proximité avec cette institution extrêmement fréquentée en fait un axe prioritaire de jour comme de nuit. Le délaissement aurait selon certains favorisé des actes d’agressions (vol a la tire, menaces avec arme blanche…) sur les noctambules, surtout de jeunes étudiantes. Du coup, pour faire face aux risques d’extension du phénomène, l’administration locale a autorisé l’exploitation des terres en friches pour en faire un espace plus vivant, débarrassé des agresseurs qui en avaient fait leur cachette de prédilection. Il semble n’exister aucune stratégie particulière pour l’occupation de ces parcelles. Le premier occupant est le propriétaire et dispose de sa parcelle selon son gré. Il est, toutefois, certain que l’obtention d’une parcelle passe, avant tout, par la négociation avec une personne en possession d’une ou de plusieurs parcelles. L’occupation n’est pas structurée ni sur la forme, ou encore moins sur le fond.

La sécurité alimentaire (diversification) et spatiale :

Il faut bien se méfier, quand de jeunes enfants annoncent aux voisins qu’ils vont au champ. Le champ ici est tout espace mis en labour aux fins de production alimentaire, essentiellement familiale. Le choix des spéculations ne cachent pas la bonne intelligence des exploitants : ce sont des plantes saisonnières, à cycle court, facilement transportables, et dont la maitrise est certaine. Ces champs fonctionnement comme des Jardins de case distants ! En général, ce sont les déchets ménagers, ou quelquefois des composts urbains, et plus rarement du fumier ou des fertilisants de commerce qui servent a l’engraissement des sols. Il n’est pas rare de voir se succéder des plantes tout au long des saisons, alternant les légumineuses (haricot, soja et arachides) et les céréales (surtout le maïs), ou alors des plantes condimentaires ou des légumes (oignons, choux, morelle noire, vernonie, amarante, gombo, courge), ou enfin des racines et tubercules (pomme de terre, manioc, patate douce, macabo et taro). Le type de plantes que l’on trouve sur les parcelles est la signature de propriété. Il n’est pas exclu que les exploitants adoptent ainsi une stratégie de diversification de leur « territoire et espace » agricoles. Comme dans la majorité des communautés camerounaises, le genre féminin est souvent marginalisé en rapport avec la propriété foncière, il se trouve que sur l’ex-futur aérodrome de Dschang se dessine une recomposition territoriale. Le jardin de case et les plantes nourrissant directement le ménage sont culturellement acceptés comme une « affaire de femme ». Et si cette démarche n’était que le reflet d’une situation pluri dimensionnelle ! Dans tout les cas, s’il y a des plaintes d’occupation et une dégradation, la responsabilité des autorités urbaines est formellement engagée !

Quel modèle d’agriculture urbaine dans ce contexte ? Car en plus des questions de gestion de l’espace va se poser les enjeux de sécurité nutritionnelle et sanitaire des aliments produits, dont certains vont se retrouver dans le circuit commercial.

Félix Meutchieye

Agronome-Généticien, Enseignant-Chercheur, Université de Dschang

Idriss Gabriel Nyebe Mvogo

Ingenieur Agro-Economiste, Université de Dschang