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Promouvoir une meilleure gestion de l’espace agricole pour des exploitations familiales plus productives et en mesure de nourrir le Sénégal

Les exploitations familiales constituent des leviers importants de la production agricole au Sénégal. Toutefois, les défis à relever pour une contribution plus efficace des EF à la sécurité alimentaire, sont nombreux. Le CNCR considère que les exploitations familiales seront en mesure de mieux nourrir le Sénégal si l’espace et les ressources agricoles sont mieux gérés.

Pour que les exploitations familiales rurales (agro-sylvo-pastorales et de pêcheurs) puissent améliorer leurs performances et accroitre de façon importante leur contribution à la sécurité alimentaire nationale, il est nécessaire que soit créé un contexte économique et institutionnel sécurisé et incitatif qui favorise leurs initiatives et la modernisation de leur fonctionnement. Cela suppose aussi que leur accès à l’espace (terrestre et maritime) soit sécurisé et que la gestion des ressources naturelles permette leur renouvellement. Les ressources naturelles constituent en effet la base des activités agricoles, pastorales, forestières et de pêche ; leur maîtrise et leur gestion sont donc un enjeu majeur pour les exploitations familiales.

Plusieurs questions sont posées : d’une part, l’amélioration des performances des exploitations familiales suppose notamment une augmentation de leur productivité ; or cette dernière dépend en partie de la productivité de la terre, qui sous-tend la question de la fertilité de la terre mais également de la qualité de l’espace terrestre et maritime. D’autre part les performances des exploitations familiales dépendent en partie de leur taille, et donc de leur accès à l’espace et de sa disponibilité.

Enfin l’amélioration des performances de l’EF dépend aussi des investissements que la famille consent, or on n’investit que sur un espace sécurisé ; ce qui pose en filigrane la question de la législation foncière.

L’espace et les ressources naturelles ne sont pas illimités.

Le Sénégal dispose d’un potentiel significatif pour les productions primaires et en particulier pour la production d’aliments nécessaires à la sécurité alimentaire. Ce potentiel pousse certains à considérer « qu’il y a beaucoup d’espace » et « de la place pour tout le monde ». Or, l’espace disponible pour les activités agro-sylvo-pastorales se réduit et les ressources naturelles connaissent une dégradation continue. Selon le RNA de 1998, les terres arables représentent 19% de la superficie totale du Sénégal, soit 3 800 000 ha dont environ 65% sont effectivement cultivées. Entre 1960 et 1998, la surface cultivée a augmenté de 75 %.

Les terres cultivables sont inégalement réparties selon les régions :

- 57 % dans le Bassin arachidier.
- 20 % en Casamance
- 8 % dans la vallée
- 4 % dans la ZSR
- 10% pour le Sénégal oriental
- 1 % dans les Niayes

Près de la moitié des zones cultivées se concentrent dans la partie Ouest du pays qui est également la plus peuplée et la mieux connectée aux grands marchés urbains et internationaux.

Le potentiel de terres irrigables est estimé à 350.000 ha. Les surfaces aménagées sont estimées à 105.000 ha, soit le tiers du potentiel irrigable. Elles sont réparties entre la vallée du fleuve Sénégal (76.000 ha, soit 72% de la surface totale aménagée), la Basse et moyenne Casamance (15.000 ha), les Niayes (10 000 ha), la vallée de l’Anambé (4.000 ha) et le Sénégal Oriental (600 ha) La superficie des formations forestières (hors parcs nationaux et réserves) est importante mais elle a diminué de 800 000 ha en 10 ans, entre 1980 et 1990 (IPAR, RuralStruc, Tome 1 : p.46).

Les exploitations familiales gèrent jusqu’ici l’essentiel de l’espace et des ressources naturelles.

Il existe une forte emprise des exploitations familiales sur l’espace agricole. Les résultats du recensement national agricole (RNA) de 1998 indiquent que 91% des exploitations familiales mettent en valeur les deux tiers de la surface cultivée et disposent chacune de moins de 10 ha. Les exploitations de plus de 20 ha demeurent très minoritaires (1,4 % du nombre total d’exploitation) et ne mettent en valeur que 8,6 % de la surface totale cultivée.

La pêche artisanale reste dominante au Sénégal : 140 000 unités de pêche artisanale en 2007 ont réalisé les 2/3 des mises à terre. La zone maritime se caractérise par une grande diversité biologique ce qui explique l’intérêt pour la pêche qui a généré pendant longtemps des revenus importants.
Les exploitations familiales maîtrisent également l’essentiel des ressources animales à travers trois formes d’élevage : (i) l’élevage pastoral dont l’espace se réduit ; (ii) le système agro-pastoral qui connaît une progression significative ; et, (iii) le système intensif ou semi-intensif qui s’est développé dans la période récente.

L’exploitation forestière repose en grande partie sur les exploitations familiales vivant à proximité, même si on observe le rôle significatif (et parfois controversé) des exploitants forestiers privés.

Des défis à relever

Concernant l’accès à l’espace et la gestion des ressources naturelles, les exploitations familiales sont confrontées à 3 grands défis :

-  L’augmentation de la pression humaine sur les terres due à la croissance démographique

Entre 1960 et 1998, malgré une augmentation de 75 % de la surface totale cultivée, la surface par actif a diminué de moitié passant de 1,07 ha à 0,54 ha/actif (IPAR-RuralStruc, comparaison enquêtes Diarassouba 1960 et RNA 1998-99). Elle est particulièrement forte dans la partie Ouest du pays qui connaît des densités démographiques très élevées, alors que le reste du territoire apparaît globalement sous peuplé.

-  La dégradation des ressources naturelles

Elle revêt cinq formes principales :
- La dégradation de la qualité des terres agricoles en raison de la baisse de la pluviométrie, de l’érosion éolienne dont les effets ont été amplifiés par des pratiques agricoles inadaptées (monoculture extractive de l’arachide) ;
- La diminution des ressources en eau est due à la forte baisse de la pluviométrie et au raccourcissement de la saison des pluies. Or, la pluie reste la principale ressource en eau et l’essentiel de l’agriculture sénégalaise en dépend, car l’irrigation ne concerne pas plus de 4% des terres cultivées ;
- La dégradation des ressources forestières et du couvert végétal, qui connaissent une évolution régressive ; le potentiel ligneux a accusé une régression de 9,2% entre 1985 et 1995 (FAO, PAFS 1993 in Ruralstruc Tome 1, page 50) ;

- La régression du système pastoral due à (i) l’extension des surfaces cultivées, (ii) la dégradation des pâturages (déficit pluviométrique), (iii) la régression de l’élevage bovin extensif transhumant ou semi-transhumant suite aux grandes sécheresses de 1972/73 et des années 1980, et (iv) des politiques publiques peu favorables ;

- La surexploitation des ressources halieutiques : La surcapacité dans les
pêcheries artisanales et l’excès de l’effort de pêche ont entraîné une surexploitation des ressources démersales et côtières (crevette, rouget, daurades roses, mérou, seiche, etc.). La pêche continentale est également en régression du fait de la sécheresse, de la maîtrise des crues et de la surexploitation des ressources.
Les changements climatiques annoncés pourraient de plus accélérer et aggraver ces évolutions préoccupantes.

-  Des concurrences accrues pour l’accès à l’espace et aux ressources naturelles

Trois types de concurrences peuvent être relevés :

(i) Les concurrences anciennes, qui s’aggravent et se traduisent par des tensions entre : agriculteurs et éleveurs ; certains exploitants forestiers et les populations locales ; les pêcheurs locaux et ceux venus de l’extérieur.

(ii) L’affectation d’espaces agro-sylvo-pastoraux et maritimes à d’autres usages : l’urbanisation rapide qui absorbe l’espace agricole situé à la périphérie des villes, notamment dans les zones côtières proches de Dakar, exacerbé par la communalisation (Darou Khoudoss, Ross Béthio, etc.) ; des installations à vocation touristique (stations balnéaires) se font sur le domaine maritime (petite Côte, Oussouye, Saint-Louis) ; des équipements et des infrastructures à vocation minière ou industrielle sont mis en place dans l’espace agricole (Kédougou, plateau de Thiès). Les paysans comprennent la nécessité pour le Sénégal de diversifier son économie, mais question se pose en termes de modalités d’implantation d’activités nouvelles et de contreparties pour la population locale (emploi, indemnisation)

(iii) Le développement du rôle de l’agro-business dans la production constitue une forme de concurrence particulièrement préoccupante pour les exploitations familiales. Jusqu’à une date récente, les opérateurs économiques ont surtout investi dans l’amont et dans l’aval de la production primaire. Les EF et leurs organisations reconnaissent l’importance du rôle des industries de transformation (tomate industrielle, poisson, coton, arachide, etc.), qui stimulent la production dès lors qu’elles sécurisent les débouchés et les prix (contractualisation). Néanmoins, peu d’opérateurs économiques ont investi jusqu’ici dans les productions primaires à l’exception de la pêche (la pêche semi-industrielle assure le tiers des mises à terre), de l’exploitation forestière, de l’aviculture, etc.

L’entrée massive de l’agro-business dans la production agricole est très préoccupante pour les EF eu égard : (i) à l’importance des surfaces concernées, si les projets en cours ou prévus se concrétisent : le programme agro-carburant prévoit l’affectation de 320.000 ha en 2012, la GOANA accroît fortement la demande de terres conduisant ainsi à des situations où certaines CR ont distribué plus que le disponible foncier (CR de Mbane) ; (ii) aux modalités d’attribution des terres (les procédures actuelles d’attributions ne sont pas transparentes, certaines procédures ne s’inscrivent pas dans le cadre légal existant et l’impact environnemental que pourrait avoir la multiplication d’entreprises agricoles fortement capitalisées n’est pas mesuré) ; (iii) aux informations concernant une future réforme foncière qui pourrait conduire à des processus d’exclusion de l’agriculture familiale dans certaines zones, au profit d’entrepreneurs étrangers à la zone.

Typologie des exploitations familiales du Sénégal

Le travail mené par la FONGS en 2009 auprès de plus de 700 exploitations a permis d’établir une typologie de ces exploitations selon leur rapport à l’espace et aux ressources :

Cas A : Exploitations familiales disposant de superficies suffisantes, avec des ressources naturelles en bon état et bien exploitées

Zones concernées : Delta, Sud du Bassin Arachidier, Niani et zones où la densité démographique est encore limitée et où la fertilité est correcte.
Risques : (i) saturation actuelle de l’espace est prévisible dans 10 ans si les systèmes de production n’évoluent pas ; (ii) installation d’acteurs extérieurs intéressés par ces bonnes terres.

Cas B : Exploitations familiales qui ont un espace suffisant, qu’elles ne peuvent exploiter que partiellement.

B1 : espace disponible mais ressources naturelles dégradées, forts aléas pluviométriques
Zones concernées : Louga, Sud de Matam, Bakel
B2 : espace et ressource en eau disponibles mais insuffisance des aménagements et équipements
Zones concernées : Moyenne Vallée, Niayes, Casamance.
B3 : espace disponible mais manque de main-d’œuvre
Zones concernées : Zone sylvo-Pastorale (désaffections des jeunes bergers) et Basse Casamance (insécurité)

Cas C : Exploitations familiales qui ont de grandes difficultés à accéder au foncier

C1 : espace agricole saturé : Zones concernées : Nord et centre du Bassin Arachidier, Niayes
C2 : accès très limité au foncier : Zones et EF concernées : cas des castes, des familles non originaires, des colons dans le Niani
C3 : accès très limité au foncier des femmes et des jeunes

Les avantages comparatifs des exploitations familiales
Les EF disposent de plusieurs avantages comparatifs qui justifient que les politiques publiques les privilégient et leur permettent de sécuriser leur accès aux ressources naturelles.

D’abord, leur capacité à valoriser, en matière de gestion durable des RN, l’espace et les ressources naturelles :
- les EF font une consommation économe de l’espace et des ressources ;
- Les EF ont depuis longtemps fait la démonstration de leur capacité à valoriser les ressources rares : c’est le cas du système pastoral dans les zones semi-arides et aussi des Niayes.

Ensuite, leur capacité d’adaptation aux évolutions de leur environnement :

- Les EF se sont adaptées à la dégradation de la pluviométrie en diversifiant les cultures, en adoptant des variétés à cycle court (nord du bassin arachidier), etc. ;
- Les EF ont répondu à la réduction des jachères par le développement de l’embouche bovine et ovine ;
- Les EF ont montré une capacité à reconstituer leur capital « bétail » suite aux sécheresses et épidémies, etc.
Enfin, la perception qu’elles ont de l’espace et des ressources naturelles :
- Pour les exploitations familiales, l’espace n’est pas seulement physique, c’est aussi un « espace mental, social » sur lequel les individus et les familles projettent « leur culture, leurs rêves et leurs projets » (mots d’un responsable paysan) ;
- Les EF ont certes leur part de responsabilité dans la dégradation des ressources naturelles, mais force est de constater qu’elles y ont été le plus souvent contraintes : (i) du fait de la croissance démographique, (ii) du fait aussi et sans doute surtout des politiques publiques inadaptées mises en œuvre sur la longue période ;
- L’attachement des ruraux à leur terre reste très fort comme en témoignent les initiatives originales prises par des organisations paysannes pour renforcer les droits fonciers des EF (exemple de Jig-Jam à Fissel).

Des propositions paysannes

Garantir la sécurité foncière des exploitations familiales. Les exploitations familiales n’ont pas de droits établis de façon formelle. Une réforme foncière se justifie donc au regard de deux objectifs principaux : (i) donner aux exploitations familiales des droits réels ; (ii) encadrer par la loi les recompositions foncières en cours dans les sociétés locales (« transactions illégales ») ou qui seront nécessaires pour assurer la viabilité économique de certaines exploitations familiales. Plusieurs propositions ont été faites par le CNCR dans ce sens à l’issue d’un vaste travail de concertation à la base.
Redéfinir et préciser les conditions d’accès et les modalités d’exploitation des autres ressources. Le système pastoral est reconnu par la LOASP comme mode de mise en valeur de l’espace. Il devrait faire l’objet de dispositions réglementaires qui protègent les droits des éleveurs (pâturages, zones de parcours) et qui réglementent leurs pratiques.
Certaines dispositions réglementaires devraient également être modifiées dans le secteur de la pêche : (i) révision des accords de pêche concernant les ressources démersales, côtières et les petits pélagiques pour en assurer une gestion durable ;(ii) régulation de l’effort de pêche et des volumes débarqués ; (iii) repos biologique pour certaines espèces ; (iv) exclusivité des activités de pêche artisanale dans la zone des 6 mille marins.
Promouvoir une gestion réellement concertée des ressources naturelles à l’échelle locale, en prenant en compte les spécificités régionales. Avec le processus de décentralisation, les compétences en termes de gestion des ressources naturelles ont été transférées aux communautés rurales. Il serait nécessaire (i) de respecter les attributions qui leur sont dévolues, (ii) de mettre en place les instruments permettant des diagnostics permanents de la situation des ressources naturelles et (iii) des procédures assurant une concertation entre les élus et la population afin d’améliorer la gouvernance locale.
Mettre en place des programmes ambitieux d’amélioration durable de la productivité de la terre et des animaux. Plusieurs voies peuvent être explorées afin de restaurer la fertilité des terres et promouvoir des modèles d’exploitation plus durables : (i) initier des mesures incitatives pour l’agro foresterie, (ii) favoriser l’intégration agriculture/élevage, (iii) engager un programme d’envergure de restauration de la fertilité des sols, etc.
Mettre en œuvre une politique rigoureuse d’aménagement du territoire visant à une meilleure répartition de la population sur l’ensemble du territoire national. Cela supposerait notamment (i) de poursuivre les efforts actuels pour améliorer les conditions de vie et rendre les zones périphériques plus attractives ; (ii) appuyer de façon prioritaire le développement économique des régions les plus éloignées (qui sont également celles qui sont les moins peuplées et qui ont le plus grand potentiel agro-sylvo-pastoral) ; (iii) appuyer la diversification des activités rurales non agricoles.

CNCR

Cet article est une adaptation d’un message formulé par le CNCR lors du Forum International sur la capacité des Exploitations Familiales Agricoles à nourrir le Sénégal (Ajouter date et lieu) www.cncr.org