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Patrimoine alimentaire négligé au Cameroun : à la découverte du haricot-tubercule de Bankim
La région de l’Adamaoua au Cameroun est reconnue pour sa richesse biologique immense, du fait d’abord de sa situation de zone charnière entre la partie forestière humide du Sud et l’étendue des forets sèches au Nord Cameroun, et ensuite de son altitude qui en fait un plateau devenu château d’eau pour tout le pays.
Si l’activité pastorale est la plus médiatisée, notamment l’élevage bovin dont le Gudali avec sa proéminente bosse qui en est le symbole, il y a lieu de reconnaître que la culture dominante a eu un impact non négligeable sur la diversité des régimes alimentaires des communautés. Notre intérêt s’est porté sur la situation alimentaire de Bankim, un bassin agricole fabuleux, dont les populations rurales sont sous la menace récurrente de problèmes alimentaires et surtout nutritionnels. Epluchons-en maintenant quelques racines.
Les faits religieux et autres croyances économiques
Aucun choix alimentaire n’est en fait neutre au sens le plus simple. C’est au cours des deux siècles passés que la progression de religions exogènes (d’abord islamique et ensuite chrétienne) a été l’un des facteurs majeurs de mouvements réguliers des populations. Qui dit mouvements physiques, dit mouvements des habitudes.
Les populations qui ont adopté les modes religieux nouveaux l’ont fait en incorporant des habitudes alimentaires nouvelles pour la plupart. Les tabous et interdits alimentaires ont été souvent interprétés en se superposant sur les croyances cosmogoniques déjà existantes.
La conséquence qui est encore visible est la réduction des sources alimentaires, d’une manière plus ou moins consciente. Un autre facteur important pour la zone Bankim a été sa transformation en un vaste bassin de production de café robusta du fait d’un climat humide et chaud de basse altitude, et ensuite du cacao, deux plantes agricoles de rente dont les graines et fèves ont été exportées massivement sans forcément enrichir les communautés.
En dépit de quelques infrastructures (routes, ponts et magasins), le gros des efforts de vulgarisation a eu tendance à se focaliser sur les plantes de rente. La déprise caféière et le retrait brutal des subventions pour la production caféière et cacaoyère a eu un sérieux impact négatif sur l’équilibre alimentaire des communautés rurales. En total paradoxe, Bankim paraît une zone agricole luxuriante qui « importe » l’essentiel de ses aliments les plus prisés.
Entre perte et survivance de la mémoire collective
L’agriculture familiale n’est pas seulement celle qui nourrit la famille et dont la main d’œuvre est issue de la cellule familiale. C’est aussi cette agriculture qui se nourrit de la mémoire de la famille et dont les richesses de savoirs se transmettent essentiellement d’une génération à une autre. L’exode rural a été une des causes majeures de l’érosion des savoirs communautaires.
En l’absence de traces écrites de manière suivie, seules quelques « mémoires vives » sont capables de renseigner et de faire apercevoir l’immense richesse. La conjonction de tous ces phénomènes a abouti à une dégradation inhabituelle des pratiques agricoles et alimentaires. Aujourd’hui, la diversité des ressources alimentaires dans la zone tend à s’uniformiser ou à se stabiliser.
Les flux migratoires de retour en améliorent les pratiques agricoles (innovations) et les régimes alimentaires. De nouvelles demandes s’inscrivent dans les menus au gré des saisons. Dans le champ des savoirs locaux, certaines plantes sont partie intégrante des éléments identitaires et souvent associés aux représentations sociologiques elles mêmes fluctuantes.
Dans les communautés Mambilla (groupe socio-ethnique reparti entre cette partie du Cameroun et le Nigeria voisin), il existe des croyances et pratiques alimentaires exclusives ou inclusives, et parfois, en lien avec une observation attentive des cycles de production agricole. Dans cette démarche de classification, le groupe des espèces végétales alimentaires dit de « soudure » ou « de relais » servent d’aliments d’appoints entre le semis et les grandes récoltes. Dans ce groupe justement, nous avons identifié une légumineuse particulièrement intéressante.
Le haricot-tubercule
Pendant les mois très pluvieux d’août et de septembre de chaque année, il apparaît dans les étals un étrange tubercule produit dans l’arrondissement de Bankim. Blanchâtre, aux allures de la patate douce, le tubercule dont personne dans les villages ne connaît exactement le nom local ou courant mais que tout le monde nomme comme une mimique de la patate se vend par petits tas. A l’analyse, il s’agit du haricot-tubercule.
Il est aussi signalé chez les Mambilla du Nigeria. Cette plante a la particularité d’être utilisée presqu’entièrement dans la cuisine des gousses fraîches, des graines semblables aux haricots communs mais arrondis comme le soja, et enfin les tubercules légèrement sucrés et aux arrières goûts de haricot. Il a été quasiment impossible d’identifier le cheminement d’adoption ou d’introduction de cette plante dans les communautés Mambilla qui la considère comme un élément alimentaire d’identification.
Il n’est pas rare d’apercevoir dans les ruelles et places des villages des jeunes ou des adultes déambulant avec sur la tête des tubercules proprement disposés pour la vente des petits tas, entre 200 et 300 FCFA. Ces tubercules sont mangés directement comme des coupe-faims. Abondamment utilisée par des voyageurs et autres personnes en déplacement (bouviers et transporteurs) , cette plante qui est en fait la tétragone (Psophocarpus tetragonolobus) aurait une abondante histoire dans le Pacifique et en Asie.
Connue sous diverses appellations dans la littérature agronomique notamment pois carré, haricot à côtes, pois ou haricot ailé, le haricot-tubercule aurait des propriétés alimentaires et fourragères immenses, mais qui sont insuffisamment connues et valorisées dans les communautés rurales.
Il importe que les pouvoirs publics et particulièrement les institutions de formation et recherche approfondissent rapidement la connaissance et l’appropriation du patrimoine alimentaire qui tend à céder sous le poids de la « paresse » collective elle-même nourrie par l’uniformisation des habitudes alimentaires. La solidarité ne sera solide que dans la sauvegarde de la diversité.
Félix Meutchieye (Dr-Ing.)
Enseignant-Chercheur Université de Dschang
Contact : fmeutchieye@gmail.com