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Agriculture productive en zones semi-arides : les bénéfices des légumineuses à graine
Les légumineuses à graine ont été cultivées depuis le début de l’agriculture il y a plusieurs millénaires, en combinaison avec les céréales. Cet article plaide pour une place plus importante des légumineuses dans les régions tropicales semi-arides, au service d’une agriculture plus productive, nutritive et résiliente, en s’appuyant sur les bénéfices multiples et souvent indirects qu’apportent ces légumineuses. Il propose quelques pistes pour une stimulation de leur production.
Les légumineuses ont surtout été utilisées pour leur action fertilisante du sol, augmentant les rendements de céréales par la rotation et l’interculture, mais également comme source de fourrage pour le bétail. Initialement, la récolte de graines pour l’alimentation humaine et animale n’était pas l’objectif principal (Sinclair et Vadez, 2012).
Depuis les années 1950, le marché mondial de certaines légumineuses à graines, en particulier le soja, est en forte croissance afin de répondre a une intensification de l’élevage destinée a satisfaire une croissance soutenue de la consommation en viande. Le soja est en effet incorporé comme source de protéines pour l’alimentation du bétail. Le secteur agro-alimentaire utilise aussi les lipides des graines de légumineuses comme le soja et l’arachide afin de produire de l’huile alimentaire ou industrielle.
Plus récemment, est apparue une demande croissante pour l’alimentation humaine en légumineuses à graine comme le niébé, l’arachide, le pois chiche, le pois cajan (pois d’Angole), en plus du soja qui tenait déjà une place prépondérante en agroalimentaire. Les légumineuses jouent donc un rôle central dans les systèmes agraires, notamment dans les pays du Sud.
Malgré des atouts agronomiques et nutritionnels, leur production n’a cependant que très peu progressée. Elle est même en recul ces dernières années dans une région comme l’Afrique de l’Ouest, contrairement aux céréales comme le maïs.
De plus, leur rendement moyen ne s’est quasiment pas amélioré (à l’exception du soja) depuis 1970 alors que celui du maïs a doublé, reflet du peu d’investissement de la part des paysans, de la recherche, des politiques et des marchés agricoles dans ce domaine.
Optimiser l’action fertilisante des légumineuses
On estime actuellement qu’au niveau de l’agriculture mondiale, 46 mégatonnes d’azote proviennent de la fixation symbiotique par les légumineuses, à comparer aux 87 Mt d’engrais azotés utilisés (Duc et al., 2010).
Dans les régions arides des pays en développement, la plupart des paysans ont peu accès aux engrais chimiques. Cette situation risque de ne pas s’améliorer pour les plus démunis avec la flambée des prix des engrais. En effet, les coûts de fabrication des engrais chimiques, azotés et phosphorés notamment, sont en constante augmentation car ils dépendent essentiellement de l’exploitation de ressources non renouvelables (pétrole et roches phosphates) en voie de raréfaction.
Cette situation a une forte incidence sur les coûts de production agricole et sur la disponibilité de ces engrais dans les futurs systèmes de culture. Dans certaines régions agricoles, l’engrais est devenu la principale variable du coût de production des cultures (Université de Purdue). Encourager la culture des légumineuses représente une alternative intéressante qui s’appuie sur la valorisation des ressources locales afin d’améliorer la fertilité des sols. Le pouvoir fertilisant des légumineuses devrait être de plus en plus mis en valeur dans les années à venir dans le but d’accroitre la productivité agricole des petits paysans du Sud, d’Afrique subsaharienne en particulier.
En effet, les légumineuses ont cette double capacité fertilisante de fixer l’azote atmosphérique dans le sol et de rendre plus disponible pour la plante le phosphore présent sous forme insoluble dans le sol. Savoir optimiser cette fertilisation biologique permettrait d’améliorer la productivité des systèmes de culture et rendrait les paysans moins dépendants d’intrants le plus souvent inaccessibles financièrement et physiquement pour certains.
La fixation de l’azote d’une légumineuse
Toute plante a besoin d’azote pour sa croissance puisqu’il constitue un élément constitutif primaire essentiel de toutes les protéines et acides nucléiques requis pour la fabrication de nouvelles cellules fonctionnelles. Les légumineuses ont la capacité, contrairement aux autres plantes comme les céréales, de fixer l’azote de l’air, grâce a une symbiose avec les bactéries rhizobia et bradyrhizobia qui produisent une enzyme, la nitrogénase, capable de convertir l’azote atmosphérique en formes azotées utilisables par la plante.
La nitrogénase se dégradant très facilement au contact de l’oxygène, même en quantité réduite (Robson et Postgate, 1980), la plante légumineuse-hôte développe des nodules -renflements au niveau racinaire- qui abritent les populations bactériennes et assurent un environnement propice au bon fonctionnement de l’enzyme nitrogénase. Grâce à cette fixation symbiotique d’azote, la croissance des légumineuses n’est plus dépendante de la disponibilité en azote minéralisé dans le sol, minéral le plus limitant pour la productivité des cultures.
La recherche agronomique, notamment en physiologie des plantes, étudie depuis de nombreuses années la fixation symbiotique d’azote des légumineuses et leur capacité à maintenir ce taux à un niveau élevé avec un impact très sensible sur le rendement des cultures.
Cette fixation d’azote des légumineuses dépend de processus biologiques délicats au niveau de la plante hôte et des bactéries. A ce jour, la recherche agronomique s’est essentiellement focalisée sur l’amélioration des bactéries pour optimiser la fixation biologique de l’azote atmosphérique des légumineuses. Cette approche a été bénéfique dans le cas où la bactérie spécifique d’une légumineuse était absente des sols ou cette légumineuse était nouvellement cultivée, comme cela a été le cas lors de l’introduction du soja en France dans les années 1970.
Quête de perspective
Cependant, les preuves d’une amélioration de la productivité par des bactéries supposées « plus efficaces » restent à démontrer. La recherche agronomique commence à décrypter des phénomènes de physiologie des plantes qui expliqueraient une variabilité de la capacité des plantes légumineuses hôtes à réguler l’activité des nodules.
Cette piste de sélection variétale devrait offrir des perspectives plus importantes d’amélioration du taux de fixation symbiotique d’azote, notamment dans les zones tropicales semi-arides qui sont soumises à la sécheresse et à la faible fertilité du sol, et où la plante hôte est assurément le maillon faible de la symbiose du fait qu’elle est plus directement exposée aux contraintes que la bactérie.
La régulation par la plante hôte du taux d’oxygène au niveau des nodules, modifie l’action de la nitrogénase. De même, les flux d’eau de la plante influent sur l’activité des bactéries. La fixation d’azote semble être un des processus biologiques des plantes plus sensibles au stress hydrique, avec des taux de fixation qui diminuent avant la modification des échanges gazeux des feuilles. (Sinclair et Vadez, 2012). La sensibilité de la fixation d’azote à l’assèchement du sol est particulièrement prononcée pour le soja et le niébé, légumineuses au fort taux de fixation d’azote (Sinclair et Serraj, 1995).
Pour les légumineuses, la majeure partie de l’azote est stockée sous forme de protéines dans les feuilles. La variabilité en termes de développement, mais aussi en termes de forme de stockage d’azote dans les feuilles (tissus cellulaires, forme protéique), entraîne une variabilité dans la capacité de fixation d’azote, car ceci stocke dans les parties aériennes au début de la reproduction conditionne la quantité de grains qui peut être produite. Des génotypes avec un développement végétatif plus rapide, en particulier celui du système foliaire, sont des candidats sérieux à l’augmentation de la capacité de stockage d’azote par la plante.
En résumé, l’activité des nodules est étroitement régulée par la plante hôte. C’est moins le profil bactérien que les mécanismes de contrôle de la plante hôte qui influent sur le taux de fixation symbiotique d’azote. La sélection de variétés de légumineuses performantes dans la fixation azotée serait donc plus bénéfique que l’investissement dans la recherche sur les inoculâts de rhizobia. Ceux-ci désignent des bactéries aérobies du sol présentant la capacité de rentrer en symbiose avec des plantes de la famille des fabacées en formant des nodosités qu’on retrouve spécifiquement chez les légumineuses.
Cela est particulièrement vrai dans les systèmes de cultures des pays en développement en milieu aride et semi-aride, où les contraintes abiotiques extrêmes comme le stress hydrique et les carences en nutriments du sol affectent de manière plus prononcée la plante entière d’une légumineuse à grain, en comparaison avec le micro-symbionte (organisme ayant besoin d’un autre pour vivre) dans le nodule ou dans le sol.
De plus, quand une nouvelle légumineuse est introduite dans une région, il apparaît qu’une simple inoculation, durant la première année, est suffisante pour établir la bactérie dans le sol, puisque les souches inoculées peuvent y survivre même après une longue période sans culture de la plante hôte (Obaton et al, 2002).
Orientation de la recherche
Il serait donc pertinent d’orienter maintenant une bonne partie des efforts de recherche vers la compréhension et l’identification des plantes hôtes ayant des capacités plus affirmées à réguler la fixation d’azote. D’autant qu’il existe de larges collections de légumineuses qui n’ont pas ou peu été étudiées sous cet angle, à l’exception peut- être du soja (Sinclair et al, 2010).
Ainsi, dans les banques de semences conservées à l’Institut International de Recherche sur les Cultures des Tropiques Semi-arides (ICRISAT), 20 268 accessions de pois chiche, 13 632 accessions de pois d’Angole et 15 418 accessions d’arachide sont stockées pour le maintien de la biodiversité, collection qui constitue une vaste ressource génétique pour les programmes d’amélioration des plantes.
Il existe actuellement des minicollections représentatives de ces légumineuses qui sont des outils mis à la disposition des chercheurs pour explorer par exemple la variabilité du potentiel de fixation d’azote dans ces collections de ressources génétiques de légumineuses ( Upadhyaya et al., 2008).
Extraction du phosphore du sol
Après l’azote, le phosphore est le macronutriment le plus important pour la croissance des plantes, servant notamment de « monnaie d’échange » pour le transfert de l’énergie entre les cellules. L’absorption du phosphore du sol par la plante est souvent rendue difficile, car le phosphore naturel se trouve sous forme complexe combinée à l’aluminium, au fer et au calcium, forme chimique peu soluble et donc non absorbable par les plantes (Sinclair et Vadez, 2002). .Les légumineuses à grain auraient la capacité de transformer ces complexes chimiques en forme phosphorée soluble (Ae et al. (1990).
Par exemple, on trouve que le pois cajan cultivé sur des sols sans phosphore assimilable, croît sans encombre un mois après semis alors que quatre autres types de plantes meurent de carence en phosphore. Une expérience similaire avec l’arachide montre qu’elle survit deux mois après semis tandis que trois autres espèces meurent (Ae et Shen, 2002).
Trois mécanismes seraient en jeu pour expliquer cette capacité à absorber le phosphore non soluble du sol, à savoir la production au niveau racinaire d’acides organiques, ou une absorption par contact à la surface des racines (Ae et Shen, 2002).
Ces mécanismes d’absorption du phosphore du sol dépendent de l’environnement du sol. Ainsi, du fait de l’acidité des sols sahéliens, la solubilisation du phosphore par ces acides organiques ne serait pas forcement efficace. Une caractérisation précise des sols permettrait de sélectionner le bon type de légumineuse pour une absorption optimale de phosphore sur un sol déterminé.
Il y aurait aussi une variabilité génétique de cette capacité d’absorption du phosphore comme l’activité d’émission de phosphatase par les racines chez le haricot commun (Helal, 1990). Connaissant la pauvreté en phosphore des sols sahéliens, du point de vue d’un système de culture, la capacité des légumineuses à absorber du phosphore à partir de formes non solubles est très bénéfique en rotation de cultures avec, par exemple, le blé ou le colza (Hens et Hocking, 2004 ; Nuruzzaman et al, 2005).
On pourrait accroître l’accès au phosphore pour les systèmes de culture tropicaux semi-arides par une meilleure connaissance des causes de variabilité d’absorption du phosphore par les légumineuses (selon la variété, la nature du sol, ou d’autres facteurs). Avec la fixation biologique azotée et la mobilisation du phosphore du sol, les légumineuses ont donc un rôle important à jouer dans la fertilisation des sols des régions semi-arides tropicales (SAT). Encourager la culture de légumineuses par le biais de rotation ou d’interculture avec les céréales permet aussi de casser le cycle de nombreux ravageurs et réduit donc les problèmes phytosanitaires.
Rapport coût-efficacité économique
Une quantification de l’action fertilisante des légumineuses (quantité d’engrais économisée ou gains de rendement), au niveau du système de culture dans sa globalité, y compris pour les cultures associées aux légumineuses, en rotation ou interculture, permettrait de revaloriser ce rôle auprès des paysans et des organismes de développement.
Il faudrait pouvoir évaluer de manière précise cet impact souvent sous-estimé de fertilisation pour mesurer le réel coût bénéfice d’une culture de légumineuse. Il n’en demeure pas moins vrai que tant que l’industrie des engrais azotés continuera de bénéficier des importantes subventions d’engrais chimiques dans de nombreux pays, sous quelque forme qu’elles soient, les légumineuses continueront de livrer une course inégale. Pour qu’elles soient promues efficacement, les politiques agricoles doivent avoir une position « axiomatique » vis-à-vis des légumineuses en les considérant simplement comme essentielles dans les systèmes agraires.
A l’heure des restrictions budgétaires, le rapport intéressant coût-efficacité économique des légumineuses pour les pays importateurs d’engrais peut en effet changer les contours des politiques de soutien agricole, offrant une alternative à la problématique de subventions des engrais. Mais cela demande un investissement en recherche et développement sur ces légumineuses, si l’on veut qu’elles prennent le relais d’une partie de la fertilisation chimique, sans avoir d’impact négatif sur les rendements agricoles.
Jérôme Bossuet
Contact : j.bossuet@cgiar.org
Vincent Vadez
Contact : v.vadez@cgiar.org