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Lu pour vous-Sénégal : intégrer le fonio dans les politiques agricoles et alimentaires

Des fonctionnaires du ministère de l’Agriculture, des chercheurs et des consommateurs ont vanté les vertus nutritionnelles du fonio lors de la célébration de la deuxième édition de la Journée du fonio à Dakar. Cependant, ils déplorent le confinement de sa production et de sa consommation dans quatre régions du Sénégal.

« Il faut se battre pour renverser la tendance en faveur du fonio comme la Guinée l’a fait il y a 15 ans. Il faut que le fonio occupe une bonne place dans la consommation des Sénégalais », a dit Mouhamadou Guèye, chef de la Direction de la promotion des produits agricoles, au ministère de l’Agriculture.
M. Guèye participait à la célébration de la deuxième édition de la Journée du fonio. Les participants discutaient des « valeurs nutritionnelles et vertus médicinales du fonio ». Etaient présents des chercheurs, des producteurs, des femmes actives dans la transformation de produits céréaliers et des fonctionnaires du ministère de l’Agriculture.

« Le fonio est, au Sénégal, le parent pauvre des céréales », a dit M. Guèye, précisant que cette céréale occupe la quatrième place après le riz, le mil et le maïs. Il appelle à vaincre « la tyrannie du riz » par la promotion du fonio.
« Le fonio est une culture émergente, qui présente des potentialités énormes, au plan économique et sanitaire », a souligné le directeur général de l’Institut Sénégalais de Recherche Agricole (ISRA, publique), Dr Macoumba Diouf.
Le fonio, dont les régions de Kédougou, Kolda, Tambacounda et Sédhiou sont productrices au Sénégal, fait l’objet d’un programme spécial au ministère de l’Agriculture. Ce département a lancé (à Kolda) un projet d’exploitation de dix variétés de cette céréale, selon Dr Diouf. Mais, « les moyens de ce programme sont faibles », a-t-il souligné.

« Nous voulons que partout au Sénégal soit cultivé le fonio, à Diourbel, à Thiès, à Dakar, etc. C’est possible », a affirmé Sanoussi Diakité, un professeur de mécanique qui a mis au point, le 27 juillet 1993, une machine à décortiquer cette céréale. El Hadji Amadou Sakho, un expert de l’Organisation des Nations Unies pour le Développement Industriel (ONUDI), suggère de « bâtir autour du fonio un modèle économique de développement », avec la contribution du ministère de l’Agriculture et des femmes productrices de la région de Kédougou surtout, dont 90% s’activent dans la culture de cette céréale.

Plante peu exigeante

Une enquête menée dans cette région par l’ONUDI a démontré que la culture de cette céréale est « l’un des secteurs d’activité les plus stratégiques », selon M. Sakho, qui y travaille, pour le compte de l’ONUDI, avec des partenaires étrangers dont une structure espagnole. « Le fonio n’est pas trop exigeant en termes d’accompagnement cultural », a fait savoir l’expert onusien. Il peut être cultivé sur des « sables faibles et rocailleux » ou dans des endroits « où rien d’autre ne peut pousser », a confirmé le professeur Amadou Tidiane Guiro, chef de laboratoire à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar (UCAD). Selon lui, le cycle de vie de la plante de fonio peut varier entre 90 et 120 jours.

El Hadji Amadou Sakho suggère de « propulser » la production de cette céréale au Sénégal, en améliorant la productivité des terres et en facilitant l’accès des producteurs aux facteurs de production, deux des cinq axes d’orientation identifiés par l’ONUDI. Quelque 300 millions de francs CFA de la Caisse Nationale de Crédit Agricole du Sénégal (CNCAS) sont déjà « injectés » dans la promotion de la culture du fonio, à Kédougou, a-t-il indiqué.

Au moment où l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) annonce que « les maladies chroniques liées à l’alimentation » gagneront du terrain « dans les 20 prochaines années […], l’intérêt, c’est d’avoir des aliments qui ne font pas monter rapidement la glycémie », a encore dit M. Guiro. « Quand on mange du fonio, on n’a jamais cette sensation de lourdeur. C’est digeste parce que c’est [une plante] qui vit dans des conditions naturelles, sans engrais. »

« Ce qui est recherché, c’est des aliments ayant un index glycémique faible. […] L’index glycémique du riz est extrêmement élevé. Il est presque proche de 100, le sommet. Celui du fonio est de l’ordre de 55 voire 60 sur 100. […] Le fonio est d’un intérêt important pour les diabétiques. Il est souvent mélangé à du gombo. Et, nous avons démontré que le gombo diminue le cholestérol », a fait valoir Amadou Tidiane Guiro. L’excès de cholestérol dans l’organisme entraîne des maladies cardiovasculaires.

Pour la diffusion de la décortiqueuse

Présentée comme « un important résultat de recherche innovant », la machine à décortiquer le fonio est faite de fibres textiles, de tôles et de la ferraille. Elle a libéré plusieurs milliers de femmes des pénibilités de la transformation du fonio, selon les organisateurs de la deuxième édition de la Journée de cette céréale. « La machine a aussi relancé la culture de cette céréale typiquement africaine et développé en même temps la filière fonio », indiquent-ils.
Dr Pape Fall, directeur général du Fonds National pour la Recherche Agricole et Agro-alimentaire (FNRAA), préconise de diffuser davantage cette machine. Grâce à l’appui financier du FNRAA, six unités ont été acquises et distribuées dans les régions de Kédougou, Kolda, Sédhiou et Tambacounda, selon M. Diakité, qui appelle le gouvernement, les consommateurs et les producteurs à « sortir le fonio de l’ornière ».

« Des gens ont parcouru plus de 80 kilomètres pour venir bénéficier des services de cette machine », a affirmé son inventeur, ajoutant que cet outil est présent dans huit pays. Il dit « privilégier » sa diffusion au Sénégal, à travers « une fabrication à grande série », comme en Guinée qui, selon M. Diakité, abrite la plus grande unité de transformation de fonio, sur le continent, avec une capacité de 500 tonnes pan an.

« Selon une enquête que nous avons menée, 90% des Sénégalais ne connaissent pas le fonio, qui est cultivé dans les régions éloignées… », a révélé Amadou Tidiane Guiro. Nafissatou Ndiaye Diakité, qui avoue faire partie des Sénégalais ne connaissant pas cette céréale, commente : « Avec tous ces atouts, je ne comprends pas nos politiques. […] Je ne comprends pas que rien ne soit fait […] pour que cette céréale soit beaucoup plus cultivée et connue. » « On n’a pas assez communiqué sur le fonio.

C’est pourquoi les gens ne le connaissent pas. Il faut beaucoup communiquer là-dessus », soutient Awa Niang, une Dakaroise transformatrice de produits céréaliers. « Je veux commercialiser le fonio, mais le prix qu’on me propose est très cher, 1.500 francs CFA le kilogramme », relève-t-elle.

« Nous avons fait la promotion de cette céréale au plan de la sécurité alimentaire, en partant du fait que c’est une denrée qui peut pousser sur des terres marginales, sans engrais. Il convient à nos pays où les gens n’ont pas les moyens de s’acheter les engrais », a dit à l’APS le journaliste sénégalais Madieng Seck, membre de l’association Slow Food, « un mouvement international qui cherche à préserver la cuisine de qualité ».


Agence de presse sénégalaise (APS)

Article publié le 28 juillet 2011