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Editorial : Risques climatiques et développement durable

Le risque est si évident pour être ignoré. Le développement, si tant est qu’il se veut durable, requiert de nouvelles exigences aussi bien dans la planification que la mise en œuvre. Dans sa conception, il ne peut plus être indifférent à la nouvelle donne climatique car le destin des systèmes agroalimentaires ouest-africains reste étroitement lié à l’état de santé des précipitations.

Les bulletins journaliers et décadaires, les prévisions saisonnières ne suffisent plus. Bien au contraire. Jamais le risque de voir échouer une politique publique est aussi réel, si la planification ne prend pas en compte l’évolution du climat dans les décennies à venir.

La hausse des températures avec toutes les effets qu’elle a sur le comportement des pluies mérite d’être profondément adresser. Ce phénomène a d’autres implications économiques et sociales beaucoup plus complexes, surtout en Afrique de l’Ouest où l’économie est à dominante rurale. Par conséquent, il est plus que nécessaire de disposer des informations fiables sur les tendances climatiques pluri-annuelles pour bâtir de bonnes stratégies de développement durable mitigeant les risques d’échec comme par le passé.

Les économies ouest-africaines sont à la croisée des chemins. Essentiellement basées sur l’exploitation des ressources naturelles, celles-ci doivent composer maintenant avec la persistante menace climatique. Et pour cause ? Le régime des précipitations connait des bouleversements du fait du réchauffement climatique en cours en Afrique de l’Ouest et dans le monde.

Cela compromet davantage les moyens de subsistance des communautés, notamment celles qui vivent dans les zones semi-arides déjà très affectées par une insécurité alimentaire quasi-chronique. Dans la région du Sahel par exemple, plus de sept millions de personnes ont été victimes de l’insécurité alimentaire en 2018 selon les conclusions du Dispositif régional de prévention des crises alimentaires en Afrique de l’Ouest.

Le moteur de l’économie à savoir le secteur agricole dépend largement de la pluviométrie. Au Sénégal par exemple, le secteur primaire fait plus 15% du PIB. Sans compter les effets d’entrainement qu’il a sur les autres secteurs de l’économie. A l’échelle régionale, le tableau est le même. La population est essentiellement rurale et s’active dans des activités agricoles. Seules des informations fiables permettraient d’anticiper sur certains risques.

Informer les politiques publiques

C’est toute la pertinence du projet de recherche Analyse Multi-disciplinaire de la Mousson Africaine en 2050 (AMMA-2050). De façon triviale, qui dit mousson en Afrique, fait allusion au vent qui apporte la pluie. La principale source d’eau qui fait le bonheur des producteurs agricoles, mais aussi des pouvoirs publics d’autant que sa variabilité a des effets directs sur la croissance économique, la sécurité alimentaire des populations et la stabilité politique.

Sans prétention démesurée, l’objectif du projet de recherche AMMA-2050 est donc de produire des connaissances scientifiques robustes sur les précipitations, à même de soutenir une planification du développement à long terme et une prise de décision politique efficace.

Présentement, d’importants programmes sont mis en œuvre pour relever le défi de la « souveraineté » alimentaire et atteindre des Objectifs de Développement Durable (ODD) comme l’élimination de la faim et l’éradication de la pauvreté, d’ici 2030. Dans leurs phases initiales, ils n’avaient pas suffisamment intégré le risque climatique alors que le Groupe Intergouvernemental sur l’Evolution du Climat (GIEC) a alerté que les températures vont augmenter en Afrique de l’Ouest dans les décennies à venir.

Au Sénégal, le Plan Sénégal Emergent (PSE) vise une « transformation structurelle de l’économie » d’ici 2035, en s’appuyant sur l’agriculture. Mais il n’avait pas n’intégré les potentiels méfaits des incertitudes climatiques comme les irrégularités des pluies, les inondations et autres catastrophes naturelles sur l’économie nationale.
A l’instar de nombre de pays d’Afrique de l’Ouest, les pouvoirs publics ne considèrent point l’investissement dans la production de connaissances robustes relatives à l’évolution du climat comme une priorité.

Un intrant devenue indispensable

Il est évident que l’information climatique à moyen et long termes ne peut plus être reléguée au second plan, si les décideurs veulent atteindre les ODD visés. Elle est devenue un intrant indispensable à la planification agricole et l’efficacité des politiques publiques. Tous les pays de la Communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest ( CEDEAO) ont fini d’élaborer leurs programmes nationaux d’investissements agricoles pour la sécurité alimentaire et nutritionnelle 2018-2025 (PNIASAN). Celui du Sénégal par exemple a pris en compte la dimension changement climatique, à travers la valorisation des espèces agricoles à cycle court, la promotion de la gestion durable des terres, etc.

Toutefois, ce programme qui s’inscrit sur le long terme devrait mieux considérer la production d’informations climatiques utiles pour le secteur agricole. Une telle priorisation faciliterait le travail aux chercheurs agricoles appelés à trouver les variétés agricoles et les semences adaptées au contexte climatique futur. Elle aiderait également les paysans, les premiers investisseurs agricoles, à adopter les stratégies idoines pour faire face aux risques climatiques. Pour sa part, le gouvernement pourra optimiser l’utilisation des ressources publiques dans le domaine agricole.

Développer un service climatique à la hauteur des attentes

Mais tout n’est pas perdu d’avance car la dynamique internationale est en train d’inspirer le niveau national. En effet, l’Organisation de la Météorologie Mondiale a recommandé la mise en place d’un dispositif institutionnel national relatif aux services climatiques.
Au Sénégal, le gouvernement a pris la décision de matérialiser cette recommandation, en mettant sur pied le « Cadre national pour les services climatologiques (CNSC) », « un outil d’aide à la prise de décision, adapté aux besoins des secteurs dépendant significativement des conditions météorologiques, de la variabilité et de l’évolution du climat » (cf. encadré).

Il ne suffira point de créer un mécanisme institutionnel mais de l’animer avec un contenu pertinent capable d’informer la prise de décision. Au-delà, c’est le défi de la diffusion des informations climatiques qui se pose.

Le paysan doit en disposer à travers de canaux accessibles avec des messages compréhensibles et utilisables. C’est toute la pertinence de penser à la mise en place d’un service national d’information climatique qui aurait comme mission de produire des outils de communication adaptés aux contextes locaux.

Au-delà de la résilience

A l’échelle régionale et nationale, l’objectif de développement ne saurait se résumer à la résilience des économies ouest-africaines si cela consiste uniquement à permettre au système de production à faire face au choc climatique et à maintenir les mêmes rendements. Une telle approche d’adaptation empirera l’insécurité alimentaire et la pauvreté dans la mesure où la population ouest-africaine doublera presque en 2030. Il s’agit plutôt de construire des réponses efficaces et durables à la hauteur des attentes économiques et des défis démographiques.

Le projet AMMA-2050 a indiqué les choix politiques adéquats à faire si l’on peut intégrer les tendances climatiques climatique dans la planification du développement.

Au Burkina Faso où est-il est attendu plus de pluies dans les années à venir, le projet a aidé à une bonne compréhension des ressources en eau, par conséquent des probables inondations futures dans la capitale Ouagadougou.

Du coup, il devient plus facile d’envisager un programme d’assainissement avec des risques d’échec mieux maitrisés. Au Sénégal, le focus a été mis sur la résilience de l’agriculture face aux incertitudes de la pluviométrie. Les recherches ont permis d’identifier les espèces agricoles qui s’adapteront le mieux au contexte futur avec des rendements capables de nourrir la population.

Les pouvoirs publics sont donc appelés à s’approprier les résultats de AMMA-2050 et à aller plus loin dans l’appui de la recherche. De toutes les façons, le pari du développement durable ne se réussira pas sans une connaissance soutenue des tendances climatiques à moyen et long termes, mais aussi leur prise en compte dans la planification des politiques publiques.

Encadré

Les missions du CNSC

Le « Cadre national pour les services climatologiques (CNSC) » est chargé de mettre en place une plateforme permanente, dynamique et efficace de dialogue d’échange entre utilisateurs et producteurs de services climatiques, notamment dans les domaines prioritaires de l’agriculture et la sécurité alimentaire, de l’élevage, de la pêche, des ressources en eau, de la réduction des risques et catastrophes, de la santé et du tourisme. Ses missions spécifiques sont les suivantes :
•établir des canaux de communication entre les structures de coordination nationales existantes et fonctionnelles telles que la plateforme de réduction des risques de catastrophes, le Comité National sur les Changements Climatiques (COMNACC), le Centre Opérationnel de Gestion Interministériel des crises (COGI) ;
•renforcer la coopération régionale et internationale pour faciliter l’échange d’information, l’expertise et les bonnes pratiques entre les pays, afin de promouvoir les mesures d’adaptation les plus adéquates.
Le cadre est composé de trois organes : le Comité de pilotage, le comité interministériel et le Comité scientifique et technique.

Photo : CNRS