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Aissatou Cissé, présidente de la FFPT de Nganda : « Notre objectif est de basculer carrément dans l’agroécologie et de tout transformer »
Aïssatou Cissé est la présidente de la Fédération des femmes productrices et transformatrices (FFPT) de Nganda (Kaffrine). Son sirop de Nguer lui a valu le Grand prix du chef de l’Etat de 2014 . En 2016, la championne dans la production et la transformation de produits agricoles a également obtenu le deuxième prix de la sécurité alimentaire grâce à la production de 290 tonnes de maïs par sa fédération. Après avoir relevé le défi de la production et de la transformation, la fédération s’engage dans une dynamique de transition verte. Entretien !
Madame la Présidente, pouvez-vous nous présenter votre fédération ainsi que ses activités phares ?
La Fédération des femmes productrices et transformatrices (FFPT) de Nganda a été mise en place par de jeunes femmes du monde rural pour lutter contre l’exode rural et l’insécurité alimentaire. Elle a été créée en 2010 et couvre aujourd’hui deux communes, Nganda et Ndiama Gadio du département de Kaffrine. Elle est constituée de 1000 membres dont 800 femmes. Les jeunes représentent 80% des membres. La FFPT évolue principalement dans la production de mil, maïs, sésame et riz pluvial. Elle a commencé la production en 2011 sur 50 hectares de maïs avec l’appui d’un projet qui nous a subventionnés pendant trois ans. Depuis, nous sommes devenus autonomes et finançons à 100% toutes les filières que nous produisons, y compris les intrants. Nous assurons nous-mêmes la commercialisation de nos produits sur le marché. Mais pour mieux les valoriser, nous avons mis en place des magasins de stockage et une unité de transformation, parce que nous avions constaté que nous perdions beaucoup d’argent en écoulant nos récoltes directement dans les marchés hebdomadaires.
Quelles sont les résultats obtenus en termes d’autonomisation des femmes ?
C’est pour autonomiser les femmes que nous avons mis en place cette fédération. Et il y a des partenaires qui nous appuient pour mieux faire. Par exemple, avec le projet Naatal Mbaay de l’USAID, notre cellule genre forme nos membres sur l’autonomisation des femmes et surtout l’intégration des jeunes dans les projets. Ainsi, nous nous engageons dans la lutte contre l’exode rural des jeunes filles du terroir qui sont exploitées à Dakar, parfois dans des conditions inhumaines et pour des salaires de misère. Nous retenons donc les filles dans la production, la transformation et la commercialisation. Nous arrivons à recruter quelques-unes dans notre unité de transformation en leur assurant une rémunération adéquate leur permettant de rester sur place ici.
Donc la fédération travaille à amener les femmes et surtout les jeunes filles à croire en elles-mêmes, qu’elles peuvent réussir chez elles en milieu rural, en renforçant leur capacité en matière de gestion de leurs économies individuelles. La production de chaque membre est divisée en trois parts : consommation en famille, apport pour la fédération et des recettes propres à chaque individu pour s’occuper de ses enfants et autres besoins individuels. Pour faciliter cette approche, nous avons aussi créé des calebasses de solidarité afin de venir en aide à ceux qui sont dans le besoin. Ainsi, la pérennité de leurs activités est assurée.
Quelles sont vos activités liées à l’agroécologie ?
Nous avons commencé la transition vers le bio. Avec l’appui du CLUSA (The Cooperative League of the USA), nous faisons deux hectares bio de la variété Suna 3 (variété de mil). Nous cultivons aussi du riz pluvial bio et faisons un peu de maraîchage. Mais notre objectif est de basculer carrément dans l’agroécologie et faire du bio dans toutes les cultures.
Au-delà de ses membres, la FFPT de Nganda partage ses connaissances et expériences avec d’autres groupements de femmes de la zone.
C’est dans cette dynamique et avec l’appui du projet italien COMI (Cooperazione per il mondo in via di sviluppo), que nous avons formé 21 femmes membres de groupements de la commune de Ndiama Gadio qui s’activent dans l’agriculture biologique. Nous assurons le suivi-évaluation avec les 21 femmes qui, à leur tour, partagent l’approche et les résultats avec leurs pairs.
La formation porte sur la transformation et la conservation des fruits et légumes, le mil, le niébé et le maïs. Nous les avons d’abord sensibilisées sur l’intérêt financier qu’il y a dans la conservation et la transformation, parce qu’elles produisaient mais vendaient souvent à perte. Par exemple, en période d’hivernage, elles bazardaient le kilogramme d’aubergine à 50 francs CFA parce que ça pourrissait entre leurs mains. Aujourd’hui, certains groupements de femmes sont formées et vont intégrer notre fédération. Ce qui leur facilitera l’accès au marché local mais surtout international.
Combien de tonnes de produit transformez-vous ?
Nous transformons par an, 11 tonnes de mil, 14 tonnes de maïs et 8 tonnes de sésame. Nous ne transformons pas la totalité de nos productions. Une partie est stockée en guise de réserve. Cela s’explique aussi par le fait que le marché est bourré de produits transformés, alors il faut toujours améliorer et innover dans la technique et dans l’emballage surtout biodégradable. Le Projet d’appui aux filières agricoles (PAFA) nous a initiées dans l’emballage au début. Maintenant, nous travaillons nous-mêmes à acquérir des machines pour faire des emballages biodégradables pour faciliter l’exportation.
Quel type d’énergie utilisez-vous pour l’alimentation de vos unités de production ?
Nos unités de transformation fonctionnent avec du courant de la Senelec (Société nationale d’électricité). Nous ne disposons qu’un seul panneau solaire au niveau du restaurant qui n’alimente que la télé et les lampes. Mais là aussi, nous réfléchissons sur les voies et moyens pour aller vers une possibilité de produire par l’énergie renouvelable. Cela diminuera nos dépenses énergétiques et impactera positivement l’environnement.
Il faut noter qu’il n’est pas facile d’acquérir des machines de transformation. C’est nous-mêmes qui payons toutes les machines de notre unité. L’Etat ne nous a subventionné qu’une seule machine de presse de céréales à hauteur de 7 millions de francs CFA sur un coût total de 10 millions. Il y a d’autres matériels comme le tableau de raffinage et de filtrage que l’on doit acheter parce que, présentement, on fait raffiner nos produits ailleurs.
Vos produits transformés souffrent-ils de difficultés de conservation ?
Il y a plusieurs procédés de fabrication qui définissent eux-mêmes les conditions de conservation et la durée de péremption des produits. Il y a la méthode lacto-fermentation, la méthode à froid et celle à chaud. Donc, selon le produit et la réalité du marché, on peut choisir l’une de ces méthodes qui permettent de bien conserver.
Que faites-vous pour faciliter la commercialisation de vos produits au niveau national ?
Sur le plan national, avec d’autres organisations, nous avons mis en place une coopérative pour la commercialisation de nos produits (COPAFILA) au sein de laquelle j’assure la fonction de responsable qualité. Nous sommes dans un processus de mis en place des boutiques à Kaffrine, Dakar et Kaolack et ailleurs.
Le marché international exige le respect de certaines normes. Qu’avez-vous initié à ce niveau ?
Nous cultivons 200 ha de sésame que nous transformons nous-mêmes en huile et en pâte. En termes de normes, nous avons un code barre qui permet de l’exporter sur le marché international. Notre combat est de transformer tout ce que nous produisons, pour créer de la plus-value, car nous perdons trop de marchés à l’extérieur. Remplir les critères internationales demande des moyens L’Etat du Sénégal doit promouvoir et accompagner cette dynamique de transformation de nos produits pour les valoriser.
Nous avons dès lors cherché et obtenu des autorisations de fabrication et des codes-barres pour pouvoir commercialiser au niveau international. D’ailleurs, la Direction du commerce qui suit nos activités pour valider les normes de production, nous a demandé d’arrêter l’activité de production ces temps-ci (mois de décembre 2018), afin de terminer la construction des chambres de conditionnement et de stockage. C’est aussi un aspect important qui entre dans les critères de normes. Or, nous ne disposons pas de suffisamment de magasins de conservation. Pour les produits bio, nous n’avons qu’un magasin d’une capacité de 20 tonnes et un autre de 60 tonnes pour les produits non bio. Ce n’est pas suffisant.
Il faut ajouter que nous sommes confrontés à des difficultés administratives.
Il nous arrive de préparer un conteneur de produits pour l’extérieur, mais les lourdeurs administratives nous font perdre des marchés.
A cause de ces difficultés, certains partenaires, en Europe et ailleurs en Afrique, me demandent d’aller les former sur place à nos techniques de transformation. C’est du gâchis pour nous, car une fois formés, ils n’achètent plus nos produits transformés car ils se procurent ailleurs de la matière première à bon prix pour le transformer eux-mêmes.
Quelle est votre stratégie de promotion de la consommation des produits bio que vous produisez ?
A la FFPT, nous avons conscience que le développement de la production est dépendante du marché de consommation. Pour ce faire, nous nous sommes engagés à faire consommer ce que nous produisons. C’est ainsi que nous avons créé un restaurant bio, ici à Nganda où nous ne préparons que des plats bio à base de mil, riz pluvial et maïs que nous produisons nous-mêmes. Nous travaillons à mettre en place une chaîne de restaurants appelée « Les délices locaux », à travers le Sénégal pour booster la consommation, la commercialisation et surtout créer de l’emploi pour les jeunes filles.
Les conséquences des changements climatiques affectent l’agriculture dans la région de Kaffrine. Comment faites-vous face à cette situation ?
Notre zone étant fortement affectée par le changement climatique, nous cherchons à nous adapter pour être plus résilientes. Nous avons initié des formations sur les bonnes pratiques agricoles, le choix des variétés et des espèces les plus adaptées à notre climat, les périodes adéquates de semis notamment de courte durée pour parer aux pauses pluviométriques. Toujours dans le cadre des actions d’adaptation aux changements climatiques, nous avons une cellule chargée du reboisement en partenariat avec une grande association des ressortissants de Nganda. Chaque année, notre fédération met en place une pépinière pour fournir les plants pour la journée de reboisement.
Faire de l’agriculture demande de la disponibilité de l’eau. Or, la zone de Kaffrine est une zone connue pour sa semi-aridité. Que faites-vous pour surmonter ce problème ?
La question de l’eau constitue l’une des difficultés majeures que nous rencontrons dans nos activités. Par exemple, nous pratiquons un peu de maraîchage. Mais nous voulons le développer et faire uniquement du bio pour alimenter notre restaurant bio de consommer local. Mais le hic dans ce sous-secteur est l’accès difficile à l’eau. Figurez-vous que le mètre cube nous coûte 300 francs CFA. C’était trop cher et nous en pâtissons financièrement. Au moment de faire notre compte d’exploitation, nous nous rendons compte que nous avons presque produit à perte. Nous avons alors pris langue avec des partenaires pour nous doter de pompes solaires afin de faciliter le travail. Nous avons également approché Agrecol Afrique qui déploie son expérience dans le domaine avec les femmes de la zone.
Propos recueillis par Faydy Dramé & Birame Faye
Contact : kandjimoro@gmail.com