Abonnement à Agridape

Accueil / Publications / AGRIDAPE / L’eau pour l’agriculture / Riziculture irriguée en Afrique de l’ouest : comment simultanément réduire la (...)

Riziculture irriguée en Afrique de l’ouest : comment simultanément réduire la pauvreté et atteindre la sécurité alimentaire ?

La construction de grands barrages soutenant l’agriculture irriguée n’est pas un phénomène nouveau en Afrique de l’Ouest et actuellement, de nouveaux projets de barrage sont en cours. Les pays du bassin du Niger envisagent de quadrupler les investissements dans l’irrigation à grande échelle pour couvrir plus de 2 000 000 hectares d’ici à 2025, moyennant un coût de l’ordre de 20 000 dollars par hectare . Pour justifier ces investissements, on cite les objectifs de sécurité alimentaire et réduction de la pauvreté. Mais en réalité, qui en profite ? Depuis 2013, le projet Global Water Initiative (GWI) se penche sur cette question pour sensibiliser les acteurs sur les enjeux d’une utilisation équitable de l’eau pour l’agriculture et l’émergence de politiques publiques inclusives.

La réduction de la pauvreté passe nécessairement par une amélioration des moyens d’existence des agriculteurs familiaux. Et pour relever le défi de la sécurité alimentaire, il faut prendre en considération non seulement les communautés paysannes mais aussi les populations les plus pauvres dans les zones urbaines. D’autre part, l’État doit rentabiliser les barrages et les aménagements agricoles, non seulement pour couvrir les coûts de construction et du développement de ces infrastructures (remboursement des prêts), mais également le coût de leur entretien.

Toutefois, la productivité des systèmes d’irrigation existants est bien inférieure aux normes de rendement acceptables pour de multiples raisons, y compris la sous-exploitation de leur capacité, les engendrant des faibles rendements agricoles, sans oublier le prix du riz concurrencés par les importations. En Afrique de l’Ouest, le riz constitue une denrée agroalimentaire stratégique en et actuellement, la faible productivité des périmètres irrigués ne permet pas de réduire ces importations. Principalement importée d’Asie, elle représente environ 20 pour cent des importations agricoles ouest-africaines au cours de ces trente dernières années.

Des objectifs qui divergent, mais à converger …

Autour des barrages, il faut reconnaitre que les objectifs de sécurité alimentaire et de réduction de la pauvreté ne sont pas forcément compatibles. En effet, pour atteindre des rendements suffisants et diminuer la dépendance aux importations agricoles, les gouvernements se penchent plutôt sur la riziculture intensive caractérisée par une monoculture avec une forte mécanisation et de fortes doses d’engrais chimiques. Ce qui mène souvent à favoriser « l’agro-business » aux dépens d’une agriculture familiale et diversifiée.

Paradoxalement, si l’une des priorités est de réduire la pauvreté, il faudrait donc protéger les moyens d’existence des agriculteurs familiaux en favorisant une agriculture diversifiée, ce qui n’est pas le cas dans les périmètres aménagés autour des barrages en Afrique de l’Ouest, par example au Sénégal, Mali et Burkina Faso. Face à cette situation, les exploitants familiaux pauvres, devraient-ils donc se mettre à la monoculture intensive de riz ? Non seulement ceci n’est pas possible pour la plupart d’entre eux car il leur manque les moyens, mais, selon les travaux de recherche menés par la Global Water Initiative en Afrique de l’Ouest, dans les trois pays cités plus haut, les agriculteurs familiaux n’ont pas cette vision de la production. En effet, beaucoup d’exploitants familiaux cultivent du riz, mais ils le font parallèlement avec d’autres activités économiques : maraichage, orpaillage, élevage, petit commerce, etc.

Cette diversification des moyens de subsistance leurs permet d’être plus résilients à la variabilité climatique, mais aussi économique et d’exploiter au mieux les ressources qu’ils détiennent, en termes de main d’œuvre, d’accès au foncier, au crédit ou aux équipements.

Pourtant, il est bien possible de les faire converger. Mais pour cela, il faut que l’État tienne compte des besoins des exploitants familiaux en termes de diversification des moyens de subsistance et de résilience. Des mécanismes de dialogue multi-acteurs devraient permettre une mise en perspective des différentes logiques et amener les acteurs à négocier les choix stratégiques les mieux adaptés [1]. De plus, il est essentiels que les services aux exploitations familiales notamment le conseil agricole, le crédit agricole, l‘accès aux intrants et aux marchées soient conformes aux besoins et attentes des agriculteurs familiaux.

Une recherche action pour une amélioration du conseil agricole et du pouvoir de négociation des exploitants familiaux

L’accès à un service d’appui conseil performant constitue un facteur crucial pour une agriculture familiale productive et résiliente autour des barrages. Il permettra une meilleure gestion des ressources en eau ainsi qu’un bon encadrement des chaînes valeurs agricoles.

Depuis 2013, la GWI en Afrique de l’Ouest travaille sur ce thème au Burkina Faso (barrage de Bagré), Mali (barrage de Sélingué) et Sénégal (barrages de Niandouba/Confluent), avec d’un côté les offices responsables de la gestion des aménagements, et de l’autre les organisations de producteurs.

Cette démarche a montré que l’offre de services de conseil agricole ne répond pas forcément aux besoins des producteurs et il convient de mieux les aligner pour unir les forces vers une meilleure production.

Principales leçons et recommandations

• Pour une articulation de l’offre et de la demande de services de conseil agricole, il faut des organisations paysannes fortes, des prestataires de services efficaces et un cadre institutionnel favorable.
• Dans le cadre des investissements dans les périmètres irrigués, du temps, des budgets et des compétences sont nécessaires pour renforcer les capacités des organisations paysannes et des prestataires de services de conseil agricole, pour que les agriculteurs puissent définir leurs besoins et que les prestataires soient redevables des services fournis.
• Le conseil agricole doit répondre aux besoins des divers types d’exploitants familiaux en fonction de leur taille, leur spécialisation, mais également prendre en considération les aspects genre.
• Afin de promouvoir la sécurité alimentaire régionale, les bailleurs de fonds et les gouvernements doivent donner la même priorité à ces aspects (le « soft ») qu’aux investissements en infrastructure (le « hard »).

Un plaidoyer pour une meilleure concertation autour des périmètres aménagés

Suite aux recherches sur le conseil agricole, des « plans d’actions » ont été développés de façon consensuelle entre les exploitants familiaux et les offices de gestion. Ces plans formeront la base pour des améliorations concrètes du conseil agricole, qui devront à leur tour mener à de meilleurs rendements pour les exploitants [2]. Cependant, c’est au niveau national et au niveau des partenaires techniques et financiers des gouvernements de l’Afrique de l’Ouest que ces recommandations devront être prises en compte. Autrement, les fonds investis dans ces grandes infrastructures risquent de n’atteindre aucun de leurs objectifs, et cela sera alors tout simplement de l’argent perdu.

Lucile Robinson

Coordonnatrice communication et gestion des connaissances
GWI Afrique de l’ouest

International Institute for Environment and Development (IIED)

Email : Lucile.Robinson@iied.org

Site web : www.gwiwestafrica.org

Souleymane CISSE

Agronome à IED Afrique

Email : cissesouleye@iedafrique.org

La Global Water Initiative en Afrique de l’Ouest est un projet de recherche-action et de plaidoyer. Nous travaillons avec les exploitants familiaux et les gouvernements pour concevoir des politiques et pratiques qui améliorent la sécurité alimentaire et les moyens de vie des ménages dans le contexte des grands barrages à buts multiples. Le projet est financé par la Fondation Howard G. Buffett et mis en œuvre par IIED et l’UICN.

Une démarche incluse et participative pour l’élaboration de la charte du domaine irrigué, un outil de gouvernance du foncier et de l’eau autour du bassin de l’Anambé

Pour faire face aux nombreuses contraintes liées à la gouvernance des périmètres irrigués du bassin de l’Anambé, la Société de Développement Agricole et Industrielle du Sénégal (SODAGRI) a émis, début 2013, l’idée de l’élaboration d’une charte du domaine du Domaine Irrigué de l’Anambé. Ce projet a été par la suite adopté et porté par la Plateforme des acteurs de l’Eau et du Foncier autour des grands barrages de Niandouba et Confluent au Sénégal. Créée avec l’appui de la Global Water Initiative (GWI), la plateforme regroupe les représentants des différentes catégories d’acteurs du bassin (administration territoriale, SODAGRI, services techniques, élus locaux, usagers et société civile), et se veut une dynamique partenariale pour fixer des règles de collaboration et définir les rôles et responsabilités de chaque acteur dans le système global de gestion des ressources du bassin et de suivi de leur mise en valeur.

Une situation de référence marquée par des conflits fonciers récurrents :

Au Sénégal, au début de l’intervention de la GWI (2009) dans le bassin de l’Anambé, celui-ci présentait un contexte caractérisé par la persistance de nombreuses contraintes (difficultés sur la gouvernance foncière, accès limité au crédit et aux équipements agricoles, insuffisance sur la maitrise de l’eau, etc.) qui freinent la réalisation des objectifs assignés par l’Etat à la SODAGRI.
Á cet effet, la charte est venue répondre à un besoin d’établir un instrument de gestion concertée qui prend en compte l’état des ressources, les défis de leur préservation et de la sécurisation de la mise en valeur, tout en s’inscrivant dans le système normatif des textes et lois en vigueur du pays. Pour ce faire, elle définit les conditions d’accès et d’exploitation des terres irrigués fixe les rôles et responsabilités de chaque acteur.

Dans un souci de disposer d’un document qui reflète la vision et la perception des diverses catégories d’acteurs, le processus d’élaboration de la charte a fait l’objet d’une quinzaine de rencontres entre les acteurs.

Des défis à relever pour un impact positif de la charte sur les populations du bassin de l’Anambé :

Le Gouverneur de la Région de Kolda fera un arrêté pour l’adoption de la charte par les acteurs de l’Anambé, et la mise en place officielle d’un comité de suivi évaluation de la mise en œuvre charte. Certains impératifs sont nécessaires à la mise en œuvre de la charte :

-  la diffusion de la charte sur toute l’étendue du bassin à travers par exemple l’animation d’émission radio,
-  la mise en place d’un comité de suivi Evaluation de l’application de la charte,
-  l’élaboration d’Outils d’application de la charte (modèle de protocole entre les privés et les communes, modèle de contrat d’exploitation, etc.),
-  l’élaboration et mise en œuvre d’un programme de formation des acteurs en rapport avec la charte,
-  la sensibilisation des autorités administratives sur les actes à prendre pour l’officialiser la charte.