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Pompage des nappes phréatiques de Dakar : une solution à plusieurs inconnues !

Dakar, une ville de plus en plus peuplée avec la pression de l’exode rural, en seulement 40 ans, elle a vu sa population sextupler. Cette forte croissance démographique a engendré une très importante urbanisation qui occasionne à son tour de graves inondations. Face à cette situation, les acteurs préconisent le pompage de la nappe pour endiguer le phénomène. Ce pompage peut engendrer d’importants risques sur la biodiversité et la production agricole dans la zone des Niayes.

La croissance démographique exponentielle qui touche la plupart des pays d’Afrique de l’Ouest, est à l’origine d’une urbanisation incontrôlée des villes qui sont devenues la destination privilégiée des populations du monde rural. Chassées le plus souvent par la détérioration des conditions d’existence suite aux sécheresses répétitives, ces populations délaissent les campagnes au profit des zones urbaines dans l’espoir d’y trouver un cadre idéal pour le bien-être social et économique.

C’est ainsi que la ville Dakar qui avait une population estimée à 500 000 habitants en 1967, compte aujourd’hui près de 3 000 000 habitants selon l’Agence Nationale de la Statistique et de la Démographie avec un taux d’urbanisation de 97,2% en 2007. Ce fort taux d’urbanisation et la non maîtrise de l’espace du fait des nombreuses activités industrielles et économiques, font que les populations ont tendance à occuper des zones périurbaines le plus souvent impropres à l’habitation.

Pourtant, des dispositions étaient prises par la loi 88-05 du 20 juin 1988 portant Code de l’Urbanisme afin de promouvoir l’utilisation rationnelle de l’espace, en harmonie avec les préoccupations d’ordre social, économique, et écologique des populations surtout urbaines. Malgré ces dispositions réglementaires, le milieu urbain sénégalais et sa capitale en particulier sont confrontés à d’innombrables difficultés dont l’une des plus récurrentes et des plus délicates à surmonter semble être les inondations.

Définies comme étant une submersion rapide ou lente d’une zone habitée ou pouvant l’être, les inondations sont dues à plusieurs facteurs combinés notamment :

• la topographie de la région de Dakar en forme de cuvette ;
• l’occupation des zones basses suite à la sécheresse des années 1970 qui a été d’une part à l’origine d’un exode massif en vers la capitale et d’autre part la cause de l’assèchement des dépressions transformées en habitations ; ce qui conduit à saturer les réseaux existants par temps de précipitations et à augmenter très fortement le volume d’eau à assainir ou à évacuer ;
• le défaut d’assainissement au niveau de la banlieue de Dakar où de nombreux quartiers sont irréguliers ;
• le rôle important joué par les rejets d’eau domestique apportée par le lac de Guiers pour satisfaire les besoins en eau potable de Dakar ; ce qui a participé certainement à la modification de l’équilibre du système hydrogéologique de la nappe ;
• le retour des précipitations constatées au cours de la décennie (2000-2010).

Depuis plusieurs décennies, la ville de Dakar et sa grande banlieue sont confrontées régulièrement aux inondations qui surviennent durant la saison des pluies. Celles-ci sont récurrentes ces dernières années (2005, 2008, 2009 et 2010) et contribuent à la dégradation du cadre de vie dans les quartiers en causant beaucoup de sinistres. Ainsi, la pluie qui devait être source d’espoir et de bienfaits est devenue un cauchemar et l’approche de la saison des pluies est souvent vécue par une bonne partie des populations avec beaucoup d’angoisse et d’inquiétude.

Pour faire face à une telle situation, l’Etat avait déclenché un plan national d’organisation des secours (ORSEC), ordonnant du même coup la réquisition sur l’ensemble du territoire sénégalais de tous les moyens disponibles (motopompes, camions hydro-cureurs) cela, après avoir mobilisé plus de 3000 sapeurs-pompiers. Ce plan ORSEC a été accompagné d’une mesure de déguerpissement massif des populations victimes des inondations et de mise en œuvre d’un plan dénommé JAXAAY. Ce plan qui cherchait à éradiquer les phénomènes d’inondation en mettant les populations des zones inondées dans des sites de recasement préalablement aménagés et construits, a englouti plus en soixante-dix milliards de francs CFA en plus d’être à l’origine du report des élections législatives de 2006. En outre d’un autre plan ORSEC en 2012, un conseil présidentiel sur les inondations a été tenu le 19 septembre avec comme output un plan décennal d’un montant global de près de 760 milliards pour régler définitive le problème des inondations.

Malgré tous ces efforts consentis, l’Etat ne parvient toujours pas à juguler ce fléau. Au contraire, ses actions semblent être un coup d’épée dans l’eau, vue la situation actuelle de certaines localités (Yoff, Cambérène, Pikine, Guédiawaye, Thiaroye, Diamaguène, Yeumbeul, Malika, Keur Massar, etc.). Ainsi, dans sa quête effrénée d’une solution durable, l’idée d’un pompage systématique de la nappe phréatique de Dakar est de plus en plus évoquée. Mieux, une rencontre entre l’ONG américaine Oxfam, la Société civile, les Collectivités locales, les techniciens des questions d’eau et les agents du ministère de l’Aménagement et la Restructuration des zones d’inondation a été organisée à cet effet. Tout récemment, le Premier Ministre du Sénégal est revenu sur cette éventualité avec beaucoup d’assurance.

Certes, le pompage de la nappe phréatique de Dakar n’est pas une nouveauté. En effet, depuis 1950, cette nappe a fait l’objet d’une exploitation pour l’approvisionnement de Dakar en eau potable. Arrêtée entre temps, cette exploitation reprendra en 1961 et durera jusqu’en 1988. Cependant, le pompage de la nappe de Dakar qui, du reste, est très polluée (streptocoques, azote, nitrate, métaux lourds, etc.) pour lutter contre les inondations constitue une première dans ce pays. Ce qui suscite logiquement beaucoup d’interrogations sur la pertinence et surtout les impacts probables d’une telle opération.

Certes, il est nécessaire et même urgent de soulager les populations sinistrées ; mais devons-nous agir dans la précipitation ? Ne devons-nous pas tirer une leçon de l’ouverture de la brèche de la langue de Barbarie à Saint-Louis, faite sous la menace des eaux en 2003 ; brèche qui, de quatre mètres est passée à plusieurs centaines de mètre de large ? Avons-nous prie toute la mesure des implications environnementales et sociales qu’une telle opération peut avoir à la longue sur le milieu et les populations qui y vivent ? Ce questionnement ne découle pas d’un pessimiste démesuré mais se fonde sur plusieurs raisons objectives.

Le risque d’intrusion d’eau salée

La nappe des sables quaternaires étant très proche des eaux de la mer, le prélèvement d’un volume important d’eau souterraine au niveau des Niayes de Dakar peut être à l’origine d’un abaissement irréversible des nappes phréatiques et parfois leur remplacement graduel par de l’eau salée. Ce risque d’intrusion d’eau de mer dans l’eau douce de la nappe, au-delà de ses méfaits sur les ressources naturelles, sur les activées maraîchères, arboricoles, et floricoles, aura d’énormes conséquences sur la durabilité des bâtiments et autres constructions du fait de la teneur en sel…

L’atteinte à la biodiversité des Niayes de Dakar

Considéré comme un écosystème particulier, les Niayes ont été identifiés comme HotSpot (site de haute densité biologique) du fait de leur richesse en diversité biologique par la Stratégie pour la conservation de la Biodiversité du Sénégal élaborée en 1998. En effet, plusieurs espèces végétales et animales sont inféodées à ce milieu car les Niayes constituent une zone de végétation relique dont l’origine remonte aux périodes biostasiques du pluvial tchadien et de la transgression du nouakchottien. C’est pour cette raison que des espèces végétales d’affinité soudano-guinéenne, guinéenne voire même sub-guinéenne y sont encore dénombrées. C’est le cas notamment de Elaeïs guineensis (tiir), Dialium guineensis (solom), Pterocarpus erinaceus (venn), Parkia biglobosa, (oul) Khaya senegalensis (khay), Detarium senegalensis (ditakh), etc. Ainsi, un pompage à outrance de la nappe combiné à l’avancée du biseau salé, peut entrainer une perturbation de l’écosystème des Niayes et provoquer la disparition de toutes ces espèces.

Perturbation des activités maraichères, arboricoles et floricoles

L’intrusion d’eau de mer dans l’aquifère combinée à la perte de biodiversité et la rareté de l’eau douce affectera certainement les activités de production au niveau des Niayes de Dakar. En effet, le maraîchage, l’arboriculture et la floriculture sont des activités séculaires pratiquées dans la Presqu’île du Cap Vert grâce à la présence des sols minéraux à pseudo-gley et des vertisols riches en matières organiques et très déterminants dans le développement et le comportement des cultures. En dehors du substrat et du climat particulier des Niayes, ces activités ont été rendues possibles grâce à la présence de la nappe des sables quaternaires qui a donné naissance aux séanes [1] . Le pompage à outrance de la nappe pourrait affecter le niveau d’eau de ces séanes et perturber les activités de production. En outre l’intrusion de l’eau de mer peut à la longue transformer les sols minéraux à pseudo-gley et les vertisols en sols sulfatés acides inappropriés pour le développement des cultures.

Tassement du substrat et risques d’affaissement du bâti

L’abaissement sensible du niveau de la nappe peut entrainer des tassements des terrains qui tendent à s’affaisser avec parfois des impacts sur le bâti (fissures). Cela d’autant plus que dans toute la banlieue de Dakar, les constructions respectent rarement les normes et que les bâtisses sont généralement fragiles. Les effets d’un tassement peuvent aussi se faire sentir sur les routes de Dakar qui risquent de se détériorer.

Perturbation du réseau hydrographique

Le pompage excessif de la nappe peut avoir aussi des conséquences insoupçonnées dans l’hydrographie de la région traditionnelle du Cap Vert. En effet, cette zone compte plusieurs lacs (Ouiye, Malika, Warouway, Mbaouane, Retba, Tanma, etc.) dont une baisse de la nappe entrainant forcément leur tarissement et la disparition des zones humides de Dakar. En dehors des eaux de surface, toutes les nappes captives ou superficielles se situant dans le bassin versant allant des plateaux de Thiès aux massifs de Ndiass pourront être affectées par une baisse drastique de niveau du fait du principe de vase communicant avec d’innombrables conséquences sur les ressources naturelles surtout végétales et les activités agricoles et arboricoles.

Un cadre politique global et cohérent d’aménagement du territoire

Compte tenu de tous ces risques potentiels, cette idée de pompage de la nappe de Dakar ne doit pas être traduite en acte sans pour autant faire l’objet d’études scientifiques rigoureuses sur son opportunité et sa faisabilité. Elle doit aussi faire l’objet d’une étude d’impacts environnementaux et sociaux objective afin de réduire les risques pouvant découler d’une telle pratique. Au-delà de ces précautions, les autorités ne doivent plus réduire la lutte contre les inondations à des actions ponctuelles ou à des solutions hâtives. Cette lutte doit s’inscrire dans un cadre politique global et cohérent d’aménagement du territoire après avoir libéré toutes les zones inondables de Dakar et veiller à l’avenir à ce que de pareilles zones, utilisées pour les activités maraîchères, ne soient plus occupées pour des besoins d’habitation.

Dr. Mamadou Diop

Chercheur associé

IED Afrique

Email : mamadoudiop@iedafrique.org