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Indisponibilité spatiotemporelle de l’eau pour l’élevage dans le Grand-Nord Cameroun : Conséquences et stratégies d’adaptation

La région septentrionale du Cameroun est caractérisée par des saisons de pluies allant de 30 à 180 jours par an et un climat très favorable. Ce qui la prédisposent à des pratiques agricoles aussi nombreuses que diverses et en font une zone d’élevage par excellence des ruminants (Gros et petits) et volailles villageoises au Cameroun. Cependant, avec la réduction du nombre de jours de pluie, il n’en demeure pas moins que cette activité rencontre de sérieux obstacles parmi lesquelles l’indisponibilité temporelle en eau.

Contraste inondation et extrême sècheresse

Divisée en deux grandes zones agroécologiques à savoir les hautes savanes guinéennes qui couvrent la quasi-totalité de la région de l’Adamaoua et la zone Soudano Sahélienne qui s’étend sur une petite partie de l’Adamaoua et sur toutes les régions du Nord et de l’Extrême Nord. Cette segmentation de la région septentrionale du Cameroun fait de cette région une zone idéale pour une agriculture diversifiée, mais aussi l’élevage. Elle se caractérise souvent par une variabilité pluviométrique entre le nord et le sud. Menaçant ainsi les activités agricoles et pastorales.

Malgré le nombre de jours de pluies considérablement faible dans le Nord et l’Extrême Nord, on assiste dans certaines zones à des crues et inondations qui dans certains cas détruisent les cultures, noient les troupeaux et forcent les habitants à quitter temporairement ces zones. Ces inondations sont dues aux débordements des cours d’eau présents dans ces zones qui pourtant tarissent pour la plus part en saison sèche. Cette situation contraste ainsi avec l’extrême sècheresse qui caractérise cette zone après les pluies. Le tarissement des cours d’eau et la réduction considérable du débit des fleuves tels que la Bénoué, le Logone, le Chari et dans une certaine mesure la Vina à la deuxième partie de la saison sèche entraine une baisse drastique des quantités d’eau disponible pour l’agriculture.

L’élevage s’adapte à l’indisponibilité temporelle en eau

Depuis des dizaines d’années, les saisons qui conditionnent la végétation et les pâturages ont amené les populations autochtones à adapter des stratégies diverses pour contourner l’indisponibilité spatiotemporelle en eau. Dans la zone septentrionale qui possède à elle seule 83% du cheptel bovin du pays, les éleveurs purs que sont les Mbororo s’organisent et se dispersent en petits groupes pour pratiquer le nomadisme qui consiste à des déplacements continuels à la recherche des pâturages et points d’eau pour leurs animaux, généralement des bovins et ovins.

Pour la majorité des éleveurs, la transhumance pratique la plus courante. C’est un mouvement saisonnier des animaux et des pasteurs qui concerne la quasi-totalité du cheptel bovins camerounais. On distingue des déplacements de 3 à 4 km autour des villages des bergers et qui sont qualifiés de petite transhumance. Dans ce cas, les animaux reviennent passer la nuit au village. La transhumance de saison sèche ou grande transhumance est un mouvement de va et vient des animaux et des bergers en direction des cours d’eau et des points d’eau permanents. Les animaux de la zone Soudano Sahélienne sont pour la majorité, les plus adaptés à ce mode de vie. C’est le cas des zébus red et white fulani dont la conformation les prédispose à être de bons marcheurs contrairement aux zébus goudali de l’Adamaoua.

Dans le cas des peuples sédentaires, de réels déplacements ne s’imposent pas puisqu’ils sont généralement autour des cours d’eau et des zones relativement affranchies de l’indisponibilité en eau. Pour remédier aux éventuels tarissements ou réductions considérables des niveaux d’eau en saison sèche, ils créent des points d’eau pour les animaux. C’est d’ici qu’est né au Cameroun l’élevage en ranching qui vise à rationaliser l’élevage transhumant. Il est présent dans l’Adamaoua depuis quelques années et on assiste ainsi à la création des fermes modernes par des hauts fonctionnaires et hommes d’affaires. Ces derniers ont des moyens qui leur permettent de mettre en place des bâtiments et enclos, d’aménager des points d’eau, de cultiver et de conserver les fourrages.

Les buts du nomadisme et de la transhumance sont essentiellement la recherche de l’eau et de bons pâturages. Le vrai nomadisme qui tend à disparaître dans le septentrion est l’initiative des groupes de Mbororo qui pour la plupart, sont depuis au moins dix ans sur les mêmes zones propices à l’élevage et à l’agriculture en générale. Il y a dès lors, une volonté massive et manifeste de se fixer de la part de ces populations qui se mettent majoritairement à cultiver. Par contre, la transhumance qui est un mouvement saisonnier à partir d’une base fixe, est toujours pratiquée à grande échelle. Elle permet l’exploitation de pâturages qui ne peuvent être occupés toute l’année du fait de la présence de glossines, du manque de point d’eau pour le bétail, de leur inondation en saison des pluies ou tout simplement parce qu’il n’y a plus d’herbe.

Inefficacité des mesures et ses conséquences sur le cheptel

Malgré tous les efforts consentis, il n’est pas toujours facile pour les éleveurs de subvenir aux besoins des animaux en saisons sèche en plus lorsqu’elle se prolonge comme c’est le cas depuis quelques années déjà. Les fleuves et rivières permanents dont les niveaux baissent considérablement, n’arrivent plus à satisfaire les besoins des cheptels atteignant des milliers dans la plupart des cas. Chez les grands éleveurs comme chez les petits, cette situation a une incidence très fâcheuse sur les animaux. En effet, elle entraine la sous-nutrition consécutive à la pauvreté des pâturages, le ralentissement de la croissance, le retard de puberté, les avortements, les mises-bas prématurées et même la mort dans les cas les plus sévères. Des investigations faites auprès de quelques éleveurs de l’Adamaoua en février de cette année 2015, les pertes s’élèverait chez certains jusqu’à 800 têtes de bovins suite au manque d’eau résultant d’une saison sèche plus longue. Cette situation les a amené certains d’eux à vendre leurs animaux parfois 30% moins chers qu’en temps normal. Les volailles en élevage traditionnel reçoivent rarement de l’eau pendant la saison des pluies. Cependant en saison sèche lorsque l’environnement est totalement dépourvu d’eau, les propriétaires mettent de l’eau dans des abreuvoirs adaptés ou de fortune et arrivent à satisfaire les besoins de ces dernières. Si cela peut relativement être le cas pour les ovins et caprins, il n’est pas possible de satisfaire les besoins d’un cheptel de bovins qui sont plus importants, d’où les pertes couramment enregistrées.

Quelques voies de solution

L’incidence de la sécheresse n’est pas seulement limitée à l’agriculture. Elle affaiblit et tue les animaux sauvages et domestiques. Il est certain que les surcharges pastorales plus marquées lors de la sècheresse aggravent le problème de l’alimentation et de l’abreuvement des animaux. Ces surcharges pastorales font peser des risques d’hécatombes en cas d’une éventuelle sécheresse comme le montre les signes précurseurs dans l’Adamaoua. Le phénomène de sécheresse et suivant, d’indisponibilité en eau demeure un grand obstacle à l’amélioration de l’agriculture en générale et de l’élevage en particulier. Celles-ci impacte tant directement qu’indirectement sur l’élevage puisque, les sous-produits de l’agriculture constituent des disponibilités alimentaires qui peuvent constituer une base de l’association agriculture-élevage. Il devient donc urgent que dans le secteur de l’élevage, des mesures soient prises pour amoindrir les pertes et anticiper sur d’éventuelles catastrophes. Les méthodes tels que les cultures fourragères, l’ensilage du fourrage, la création point des points d’eau plus profonds pour une disponibilité permanente pourraient entres autres être des voies de solution à ce problème qui freine l’essor de cette activité.

François Djitie Kouatcho

Biotechnologies et Productions Animales,

Département des Sciences Biologiques,

Faculté des Sciences, Université de Ngaoundéré- Cameroun.

Email : franckdjitie@gmail.com

Anne Solange Katchouang Nguepkap

Ingénieur Agronome,

Conseillée Technique Spécialisée en Productions Animales,

ACEFA-MINEPIA Ngaoundéré- Cameroun

Remerciements

Les auteurs remercient les élèves de l’IAA 1 (Promotion 2014/2015) de l’Ecole Nationale Supérieure des Sciences Agro-Industrielles de l’Université de Ngaoundéré pour leur contribution

Références

CIRAD-TERA, BCEOM, 1998 : Étude de faisabilité d’un projet de réhabilitation des points d’eau pour le bétail dans les provinces du Nord et de l’Extrême-Nord au Cameroun. Montpellier, France, CIRAD-TERA n° 2/98, rapport principal, 84 p.

Djitie F K, Megueni C, Teguia A et Bitom D L 2015 : Enquête socioéconomique et technique sur l’aviculture familiale dans la région de l’Adamaoua, Cameroun. Livestock Research for Rural Development. Volume 27, Article #20. Retrieved June 29, 2015, from http://www.lrrd.org/lrrd27/2/djit27020.htm

Etienne Tendonkeng Pamo & Bénît Boukila, 2009 : Hydraulique pastorale en Afrique Subsahérienne. Dschang University Press

Gesep, 1999 : L’utilisation des pâturages de décrue du Mayo-Kebi. Garoua, Cameroun, Projet Gestion Sécurisée des Espaces Pastoraux, Minépia/FSD, 3 p.
Landais E., Lhoste P., 1990 : L’association agriculture-élevage en Afrique intertropicale, un mythe techniciste confronté aux réalités du terrain. » In : Sociétés pastorales et développement, op. cit., pp. 217-235.

Moïse Labonne, Paul Magrong, Yvan Oustalet 2003 : Le secteur de l’élevage au Cameroun et dans les provinces du grand Nord : situation actuelle, contraintes, enjeux et défis. Jean-Yves Jamin, Lamine Seiny Boukar, Christian Floret. 2003, Cirad, Prasac, 12 p.