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L’irrigation de complément à partir de petits bassins individuels : Synthèse des travaux réalisés au Burkina Faso
Les petits bassins de cent à trois cent mètre-cubes collectent de l’eau de ruissellement et la stockent pendant quelques semaines afin de pouvoir irriguer les cultures lors des poches de sécheresses durant la saison des pluies. C’est une pratique ancienne en Asie, mais encore très peu répandue en zone soudanienne et sahélienne d’Afrique de l’Ouest. Elle permettrait de soutenir la production pluviale et sécuriser le revenu des agriculteurs familiaux soumis à une très grande variabilité des pluies. Mais, son coût et l’insuffisance de sensibilisation constitue les contrainte majeures à sa vulgarisation. Les actions de formation et d’information des paysans restent prioritaires en vue d’améliorer l’adoption de cette pratique.
A l’instar des pays sahéliens, les technologies agricoles adoptées par les paysans du Burkina Faso sont insuffisantes pour stabiliser la production agricole lorsqu’il advient des séquences sèches de 2 à 3 semaines (Roose, 1993). Le recours à l’irrigation de complément pourrait devenir une intéressante solution pour réduire le déficit hydrique des cultures pluviales dans les zones semi-arides (Dialla, 2002 ; Fox et Rockström, 2003 ; Pathak et al., 2009). L’irrigation de complément (suplemental irrigation en anglais) à partir de petits bassins individuels rencontre un certain succès en Asie (Oweis et Hachum 2004) mais la question de cette étude est de savoir si cette méthode peut réussir dans les zones soudano-sahéliennes d’Afrique de l’Ouest là où la majorité des autres méthodes d’intensification de la production se sont révélées insuffisantes jusque-là.
Selon cette pratique, les eaux de ruissellement sont collectées et stockées dans des petits bassins (Goyal, 2009). L’eau ruisselle de terrains situés en amont du petit bassin, qui sont soit des champs, des zones cuirassées, des chemins ou des toits d’habitation. Dans les pays sahéliens, il existe de vaste zones dénudées, incultivables où les coefficients de ruissellement sont élevés (Mahe et al., 2001). Cette eau est ensuite utilisée pour irriguer les cultures pendant les séquences sèches de la saison des pluies, quand les précipitations ne fournissent pas suffisamment d’humidité pour la croissance normale des plantes. Le terme irrigation de complément désigne l’addition de petites quantités d’eau aux cultures pluviales, afin de réduire les pertes de récolte et de stabiliser les rendements (Dugue 1986). Elle est basée sur trois principes (ICARDA , 2011) : (i) L’eau est appliquée à une culture pluviale qui devrait normalement produire des rendements sans irrigation, (ii) les pluies sont la principale source d’humidité pour les cultures pluviales, l’irrigation de complément est appliquée uniquement lorsque les précipitations ne parviennent pas à fournir l’humidité nécessaire pour que la production soit améliorée et stabilisée (iii) La quantité d’eau et le calendrier d’irrigation ne sont pas vues pour fournir l’humidité pour des conditions de non stress tout au long de la campagne, mais pour assurer la quantité minimum d’eau pour un rendement optimal (et non maximal) pendant les phases critiques de croissance des cultures.
Les questions particulières de cette étude sont les suivantes : Y-a-t-il un développement endogène de cette méthode au Burkina Faso ? Quelles sont les expériences de recherche développement dans le domaine ? Quelles sont les avantages de la méthode sur les autres méthodes actuellement proposées sur le terrain ? La méthode est-elle coûteuse ? Quelles sont les limites de la méthode ? Y-t-il un frein sociologique ? Quelles méthodes d’exhaure et d’arrosage employer ? La méthode demande-t-un travail supplémentaire ? Comment gérer les dégâts des animaux ? Quels sont les possibles impacts environnementaux ?
Des résultats contrastés et des pistes d’interventions
Pour répondre à ces questions nous avons réalisé un inventaire des réalisations au Burkina Faso. Nous n’avons pas trouvé de tels bassins en Afrique de l’Ouest, en tout cas pas d’irrigation de complément à partir de petits bassins ou de puits, mais nous ne prétendons pas être exhaustifs. Les investigations ont été menées auprès des experts du ministère de l’agriculture et de l’eau, la Fédération Nationale des Groupements Naam (FNGN), l’Association Zood-Nooma (AZN), l’Association des irrigants (ARID), l’Institut National de l’Environnement et de Recherches Agricoles (INERA), l’Institut International de l’Eau et de l’Environnement (2IE), du Centre de Coopération Internationale pour la Recherche et le Développement (CIRAD), de l’Université de Stockholm et de l’IWMI (International Water Management Institute). Les résultats sont contrastés mais ils permettent d’identifier des pistes d’intervention opérationnelles.
Les premières expériences initiées par la recherche et les ONG…
Des chercheurs ont réalisé des essais d’irrigation de complément à partir de petits bassins en station et en milieu paysan au Burkina Faso. Dugué (1986) du CIRAD a comparé trois modes de collecte de l’eau au Yatenga, à savoir un petit barrage, une marre artificielle et un petit bassin individuel, tous en terre et réalisés par les agriculteurs. Les cultures testées incluent sorgho, maïs, piment, gombo et aubergine locale. Les résultats étaient plutôt concluants pour le petit bassin mais l’expérience n’a pas été durable ni reproduite.
Fox et Rockström (2000) de l’Université de Stockholm a réalisé des essais de petits bassins durant 3 années dans les années 1990 à Tougou près de Ouahigouya au Burkina Faso. Un bassin cimenté de 400 m3 collectait l’eau de ruissellement et une pompe à pédale permettait d’arroser 0,1 hectare de sorgho. Le sorgho amélioré et arrosé, a produit 1,6 tonne, trois fois plus que le témoin pluvial, mais le gain ne couvrait pas le coût du bassin. Selon les auteurs, le dispositif devient rentable si le paysan peut réaliser une culture maraîchère après le sorgho en contre saison. Les agriculteurs bénéficiaires n’ont pas pérennisé le dispositif car trouvaient l’expérimentation trop petite et l’arrosage du sorgho peu intéressant.
L’AZN de Guiè, entre Ouagadougou et Kongoussi, s’intéresse depuis plus de 20 ans à l’irrigation de complément à partie de petits bassins individuels. L’ONG construit des bassins individuels cimentés en forme d’assiette et installe des clôtures grillagées autour de la parcelle. Le coût du dispositif est élevé et sur la vingtaine de bassins réalisés seule la moitié est exploitée, mais quelques agriculteurs réalisent des bénéfices conséquents en produisant, entre autre, du maïs précoce suivi d’un piment récolté en contre saison. La raison pour laquelle une bonne moitié des agriculteurs ne cultivent pas à l’intérieur de la clôture et n’utilise pas le bassin n’est pas résolue. Les uns évoquent le manque de temps ou de moyens, d’autres la qualité des terres. Une autre hypothèse est que la zone de Guié dispose encore de réserves de jachères et que les agriculteurs préfèrent s’investir dans le défrichement et l’occupation des terres en dehors des périmètres plutôt que dans les parcelles clôturées qu’ils réservent à un usage ultérieur quand les terres se feront rares ou seront épuisées.
Une ONG a élaboré trois citernes cylindriques, enterrées et hermétiques en ciment de 1000 m3 et de 5 mètres de profondeurs à Loumbila près de Ouagadougou. Les citernes collectent l’eau de ruissellement en aval d’une grande parcelle non cultivée. L’eau était ensuite pompée pour irriguer des parcelles de maïs pendant deux années. Aujourd’hui les citernes profondes de 5 mètres sont percées et perdent rapidement l’eau stockée, et l’expérience n’a pas été poursuivie.
Le Comité National des Irrigations et du Drainage du Burkina Faso a réalisé des essais de maïs de 2008 à 2010 dans la vallée du Sourou sur environ 200 hectares sous un pivot asperseur (CNIDB, 2009). Les rendements dépassaient 4 tonnes et le retour sur investissement a été significatif. Ceux qui n’ont pas irrigué n’ont pratiquement rien récolté. Le coût d’amortissement du pivot n’a pas été inclus dans les calculs car le pivot était déjà amorti. L’eau provenait d’un grand réservoir crée par la retenue de Leri.
L’INERA en 2005 a étudié l’irrigation de complément sur des cultures de sorgho à Saria sous climat soudanien (750 mm) et à Sabouna sous climat sahélien (400 mm) (Somé et Ouattara, 2005). Comparé à une culture en zaï l’essai a montré que l’irrigation de complément était plus rentable au Sahel alors que les billons cloisonnés étaient plus rentables sous climat soudanien. Les deux techniques d’économie en eau appliquées aux cultures pluviales étaient le labour suivi de buttage cloisonné et les semis sur des billons cloisonnés. La pluviométrie actuelle au Sahel ne semble pas permettre aux techniques d’économie de l’eau d’être plus performantes que l’irrigation de complément. Au cours de l’année 1987, à Saria en zone plus humide, les techniques d’économie d’eau ont permis des rendements en sorgho significativement supérieurs à ceux obtenus avec l’apport d’une irrigation de complément de 53 mm pendant les séquences sèches (Somé, 1989). Par contre, dans le sahel l’irrigation de complément s’est avérée supérieure aux techniques d’économie d’eau pratiquées en cultures pluviales.
Quelques Organismes Non-Gouvernementaux (ONG) ont récemment tenté de promouvoir l’utilisation des boulis pour l’irrigation. La Direction Générale des Aménagements et du Développement de l’Irrigation (DGADI, 2010) a réalisé une évaluation économique de l’irrigation de complément du maïs pour les zones sahéliennes à partir de ces marres réalisées au bulldozer. La rentabilité a été considérée faible, à moins de réaliser une culture de contre saison après le maïs de saison des pluies.
Un projet de recherche a démarré en 2011 au Burkina Faso sur financement de l’Agence Canadienne pour le Développement International (ACDI), piloté par l’Institut International de l’Eau et de l’Environnement (2iE) et impliquant aussi la Direction des Aménagements et du Développement de l’Irrigation (DGADI) du ministère de l’Agriculture burkinabè, l’Institut National de Recherche Agronomique (INERA), l’Association Régionale pour l’Irrigation et le Drainage (ARID), les groupements NAAM de Ouahigouya et l’Association AZN de Kongoussi. Les chercheurs et les agriculteurs ont installé vingt petits bassins de 150 mètre cubes. Certains bassins retiennent l’eau sans imperméabilisation mais les autres bassins ont tendance à perdre l’eau. Outre l’information, les autres contraintes sont notamment l’insuffisance de main d’œuvre et de matériel pour l’excavation des bassins mais de sensiblisation des agriculteurs (Zongo et al 2015).
Le ministère de l’agriculture burkinabè a lancé un projet de développement dénommé maïs de case en 1012 en s’inspirant de l’expérience du projet de rechercher du 2iE, à laquelle il a participé. Plusieurs milliers d’agriculteurs ont été subventionnés à raison de 100 000 F CFA pour creuser des bassins de 300 mètres cubes. Quelques 3000 bassins ont été creusés à la main dans tout le pays. L’évaluation du projet reste à faire mais beaucoup d’agriculteurs ont creusé les bassins dans des sols filtrants.
Une réponse pertinente au du changement climatiques, mais des défis persistent…
L’irrigation de complément à partir de petits bassins individuels semble être une pratique prometteuse qui pourrait contribuer significativement au problème d’insécurité alimentaire et d’adaptation au changement climatique dans les zones soudaniennes et sahéliennes d’Afrique de l’Ouest. Une analyse des essais réalisés au Burkina Faso par des paysans, des ONGs et des centres de recherche, permet de formuler les conclusions suivantes.
La petite irrigation dite privée est en pleine expansion dans toute la région. Réalisée à partir d’arrosoirs, de petites pompes à pédale ou de motopompes à partir de sources d’eau de surface ou des aquifères peu profonds. Ce type d’irrigation demande moins d’investissements publics et moins d’actions collectives. Mais il nécessite un accès à des sources d’eau pérenne, ce qui reste difficile pour la majorité des producteurs de la région. L’irrigation de complément constitue une forme de petite irrigation privée mais qui se pratique à partir de petites bassins de collecte de l’eau situés dans les champs et qui ne permettent qu’une irrigation de complément pendant les séquences sèches de la saison des pluies. La taille de ces petits bassins les situent donc entre les petits barrages collectifs et les techniques de collecte de l‘eau à la parcelle de type demi-lune.
Les petits bassins existent déjà autour des villages et des habitations. Ils ne sont pas utilisés pour l’irrigation, mais pour l’eau potable, l’abreuvement des animaux et la fabrication de briques. Ceux qui veulent utiliser cette eau pour l’irrigation rencontrent souvent des problèmes avec les voisins.
Les premières expériences de recherche développement ou celles des ONG observées au Burkina Faso depuis le début des années quatre-vingt ont été peu concluantes. Trop chères, elles n’ont pas été suivies ou l’objet d’une adoption spontanée par les voisins. Les essais de Dugué et Fox montrent un retour limité à l’investissement. Les essais de l’ONG AZN, bien que techniquement fiables ont entrainé une réponse mitigée des paysans bénéficiaires. Les essais du 2iE ont montré quelques pistes, comme le potentiel du maïs et la double culture, mais ils ont aussi identifiés un certain nombre de contraintes comme les dégâts d’animaux.
La méthode a été promue par le gouvernement du Burkina Faso qui a financé des milliers de bassins à moindre cout dans le projet « maïs de case ». Elle a fait l’objet d’une vaste publicité mais l’adoption spontanée par les voisins est restée faible. Le projet suggère que les paysans sont près à creuser les bassins pour un très faible financement, mais soulève le problème de la perméabilité des bassins et du choix des cultures. De même des enquêtes réalisées à grande échelle au Burkina Faso montrent un intérêt pour la méthode. La barrière « sociologique » est contournable si une organisation extérieure invite les agriculteurs à arroser leurs cultures pluviales.
L’irrigation de complément à partir de petits bassins a un coût financier très faible puisqu’il ne s’agit que de creuser un trou dans un endroit bien choisi. Quant à l’exhaure et l’arrosage, les agriculteurs peuvent démarrer à partir d’un système très simple et peu couteux et passer progressivement à un système plus intensif, plus intégrateur et rémunérateur.
Les petits bassins doivent être étanches. Les bassins peu étanches ont un faible intérêt. Il faut privilégier la construction des bassins dans les sols argileux ou éventuellement dans la latérite. L’utilisation de bâche peut résoudre ce problème mais les bâches solides sont couteuses et les bâches bon marché plus fragiles. L’utilisation d’argile pour imperméabiliser les bassins est techniquement intéressante mais nécessite un investissement en travail conséquent.
Les perspectives géographiques d’adoption sont très étendues. Les surfaces potentielles pour l’irrigation classique estimées par les experts se limitent à des zones basses et proches des points d’eau. Pour l’irrigation de complément des céréales sèches ce type de contrainte est moins fort. Le bassin doit être creusé dans un sol argileux ou latéritique en aval d’une zone d’écoulement pas nécessairement très étendue. Éventuellement dans les sols perméables il faut envisager une bâche ou un revêtement d’argile ou de ciment. Les cultures irriguées comme le maïs nécessitent de préférence des sols de qualité mais pas forcément argileux.
Le contexte des pays sahéliens d’Afrique de l’ouest est favorable à ce type d’investissement. A mesure que la population augmente, que la fertilité des sols s’épuise, que le ruissellement augmente, que le coût du matériel de petite irrigation diminue et que le climat devient plus variable, l’intérêt de techniques d’intensification comme l’irrigation de complément à partir de petits bassins va probablement augmenter.
Bruno Barbier (Cirad),
UMR Geau - CIRAD
Centre de Recherche en Economie Appliquée,
Faculté des Sciences Economiques et de Gestion
UCAD-Dakar
Email : bbarbier@cirad.fr
Beteo Zongo
Institut International d’Ingénierie de l’Eau et de l’Environnement (2iE)
Email : beteo.zongo@2ie-edu.org
Patrick Dugué
UMR INNOVATION - CIRAD
Email : patrick.dugue@cirad.fr
Adolphe Zangré
Ministère de l’Agriculture Burkina Faso
Remerciements
La présente étude a été réalisée avec le soutien du Centre de Recherches pour le Développement International (CRDI) dans le cadre du Projet Irrigation de Complément et Information Climatique. Le contenu de la publication relève de la seule responsabilité des auteurs et ne peut aucunement être considéré comme reflétant le point de vue du CRDI.