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Des mesures d’adaptation pour une gestion efficiente de l’eau face au changement climatique en Afrique

Avec le changement climatique, les problèmes liés à l’eau se sont exacerbée en Afrique. De plus en plus les populations sont confrontées à des pénuries et des inondations récurrentes. Il devient donc nécessaire de mettre en place des mécanismes de gestion plus rationnelle de l’eau dans l’agriculture, principale consommatrice de la ressource. Cet article présente ainsi les différentes catégories de mesure pour une adaptation pour faire face au déficit hydrique et aux inondations.

Le problème de pénurie d’eau pour l’agriculture est très déterminant en tant que conséquence du phénomène de changement climatique auquel le monde entier est désormais confronté. Les inondations et les sécheresses devraient se produire le plus souvent, du fait notamment du bouleversement des cycles de répartition des pluies connus jusque là. A cela s’ajoute l’intrusion marine engendrée par l’élévation du niveau de la mer observée suite au réchauffement atmosphérique. En effet, au cours des 30 dernières années, la terre s’est réchauffée de 0,75 °C (IPCC, 2007). Les records de température ont tous eu lieu à partir des années 1990. L’automne/hiver 2006-2007 a été le plus chaud depuis 1500. La région arctique est particulièrement frappée par l’augmentation de la température : au cours du siècle passé, la température moyenne a doublé dans cette zone par rapport aux autres régions du monde. Le niveau de la mer a augmenté en moyenne de 1,8 mm par année entre 1961 et 2003. Cette augmentation s’est accélérée entre 1993 et 2003 (3,1 mm par an). Le territoire couvert par la neige s’est rétracté d’environ 10% depuis les années 1960 (Burgenmeier, 2008). La conséquence est l’absence de pluies au moment où le besoin pour l’agriculture est crucial (sécheresse) ou le regroupement d’une quantité abondante de pluies sur une période plus courte, engendrant des inondations. Il se fait que c’est l’agriculture qui va le plus souffrir de cette situation, étant la principale source des prélèvements d’eau. En 2000 l’agriculture, l’industrie et les collectivités ont employées respectivement 69%, 21% et 10% de l’eau douce dans le monde (FAO, 2002).

L’agriculture sera donc l’une des activités sur lesquelles le changement climatique aura le plus d’influence. Il se manifestera en effet par une augmentation des températures, des sécheresses de plus en plus fréquentes et des inondations, ce qui menacera les récoltes et le bien-être des communautés qui vivent principalement de l’agriculture. En Afrique, les zones arides et semi-arides deviendront encore plus sèches, tandis que le climat des régions équatoriales ou de certaines parties du sud deviendra plus humide.

Il se pose dès lors un besoin de gestion plus rationnelle de l’eau dans l’agriculture. Il faut en effet prendre des dispositions pour une exploitation judicieuse de la situation. Celle-ci appelle des mesures d’adaptation coût-efficaces en fonction des zones agro-climatiques. Ainsi, on pourrait adopter des mesures diverses que l’on peut catégoriser en mesures d’adaptation transversales et mesures d’adaptation spécifiques.

Les mesures d’adaptation transversales

Les deux mesures d’adaptation transversales qui s’imposent sont l’adoption de cultivars traditionnels dans les systèmes de culture et la diversification des cultures. En effet, l’expérience a montré que les cultivars traditionnels sont acclimatés aux régions où ils se trouvent. Ils ont donc un pouvoir élevé d’adaptation aux variabilités climatiques, car ils ont pu résister aux stress abiotiques et biotiques à travers le temps. Ainsi, ces cultivars ont traversé par le passé des périodes d’inondation, de sécheresse et même d’attaque biologique auxquelles ils ont résisté. Ils sont donc à même de faire face favorablement au changement climatique. Les cultivars traditionnels pourront donc donner le meilleur de leur potentiel sur le territoire auquel ils se sont acclimatés au cours des siècles grâce au travail de l’homme. C’est pour cela qu’ils sont plus résistants et qu’ils demandent moins d’interventions extérieures (engrais et pesticides). Elles sont donc plus durables, pour l’environnement comme sur le plan économique. De plus, ils ont un rôle important pour la sauvegarde de la biodiversité et pour la valorisation de la culture et des traditions alimentaires de la communauté.

La diversification des cultures s’impose aussi du fait qu’elle améliore en effet la résilience des systèmes de production qu’elle engendre et concoure ainsi à une exploitation plus judicieuse des ressources de l’environnement en présence ; les ressources en eau notamment. Afin de bien économiser l’eau, il importe de tenir compte du comportement des plantes vis-à-vis de la photosynthèse et de la photo-respiration. L’association des plantes en C3, des plantes en C4 et des plantes CAM (Crassulacean Acid Metabolism) serait donc bénéfique du point de vue consommation d’eau. En effet, pendant que les plantes en C3 comme le blé, le soja et la tomate sont enclins à gaspiller l’eau, les plantes C4 comme le maïs, la canne à sucre et le sorgho et les plantes CAM comme l’ananas en utilisent moins. Les plantes C4 donnent de meilleures performances en conditions de déficit hydrique (stomates plus fermés) et à température élevée (pas de photo-respiration) et les plantes CAM ouvrent leurs stomates la nuit, limitant ainsi les pertes d’eau et entrainant une importante absorption de rosée.

Les mesures d’adaptation spécifiques

L’adaptation des systèmes de culture au changement climatique pour une gestion efficiente de l’eau doit ensuite se faire en fonction des zones agro-climatiques de production. A cet effet, on peut distinguer quatre zones agro-climatiques : les zones perturbées par la sécheresse, les zones perturbées par des inondations, les zones victimes de l’intrusion marine et les zones sèches traditionnelles. En réalité, il existe une diversité de pratiques qui peuvent être utilisées parmi lesquelles nous retenons principalement six : l’agroforesterie, l’irrigation goutte à goutte, l’agriculture de conservation, le développement des cultures de bas-fond, le recyclage des eaux usées et l’adoption de cultures tolérantes au sel. Le tableau 1 indique les pratiques agricoles jugées nécessaires en fonction des catégories de zones agro-climatiques.

Tableau 1 : Adaptation au changement climatique pour une utilisation efficiente de l’eau


* : Pratique agricole nécessaire à adopter

Les pratiques agricoles indiquées dans le tableau 1 auront des potentialités spécifiques dans les zones. En effet, l’agroforesterie permettra de combiner la culture des plantes annuelles et les arbres qui pourront non seulement réduire l’impact de la chaleur, mais aussi et surtout exploiter les eaux des horizons profondes et les mettre à la disposition des cultures annuelles. L’agriculture de conservation s’avère importante pour minimiser les pertes d’eau par évaporation. L’adoption des pratiques de non labour ou de semi-labour réduiront les pertes de matière organique et d’eau par évaporation. Le développement des cultures de bas-fond comme le riz serait un moyen pertinent de valoriser les inondations engendrées par les changements climatiques. Le recyclage des eaux usées permettra d’augmenter la quantité d’eau disponible pour les divers usages ; les usages agricoles notamment. Cette pratique est tangible dans des pays comme l’Israël et le Maroc. L’irrigation goutte à goutte qui fait la fierté de ces deux pays est un exemple réussi de gestion bien rationnelle de l’eau. Elle permet d’éviter le gaspillage de l’eau pour la destiner uniquement aux cultures, et au moment où celles-ci en ont besoin. L’adoption de cultures tolérantes au sel comme le palmier dattier et le blé pourrait être une solution contre l’intrusion marine dans les eaux douces et les nappes. Il y a certitude que l’irrigation goutte à goutte et l’adoption de cultures tolérantes au sel soient judicieusement exploitées au Maroc et en Israël que nous avons visités respectivement en 2013 et en 1999. La figure 1 présente un système d’irrigation goutte à goutte sur sol salin au Maroc.

Conclusion

En définitive, on peut remarquer que l’adaptation au changement climatique impose de s’orienter davantage vers des pratiques agricoles plus écologiques. En cela, on peut même dire que le changement climatique est une opportunité pour l’Afrique, puisqu’il induira l’adoption de pratiques agricoles basées sur les écosystèmes. Les pratiques agricoles conventionnelles qui engendrent des conséquences néfastes sur l’environnement devront donc régresser nécessairement pour que la sécurité alimentaire et le développement durable soient une réalité en Afrique. Nous n’avons d’ailleurs pas le choix.

Emile N. HOUNGBO

Agroéconomiste,

Université d’Agriculture de Kétou,

05 BP 774 Cotonou (République du Bénin),

Tél. (229) 95246102/67763722,

E-mail : enomh2@yahoo.fr

Références bibliographiques

Burgenmeier, B. (2008) : Politiques économiques du développement durable, Bruxelles : Edition De Boeck Université, 280 p.

FAO (2002) : Déverrouiller le potentiel de l’eau en agriculture, accessible en ligne ftp://ftp.fao.org/agl/aglw/docs/kyotofactsheet_f.pdf (site consulté ce 19/09/2015)

IPCC (2007) : Summary for Policymakers. In Parry, ML, Canziani, OF, Palutikof, JP, van der Linden, PJ et Hanson, CE (eds.) : Climate Change 2007 : Impacts, Adaptation and Vulnerability.

Contribution of Working Group II to the Fourth Assessment Report of the Intergovernmental Panel on Climate Change, Cambridge University Press, Cambridge, UK, 7-22