Accueil / Publications / AGRIDAPE / L’eau pour l’agriculture / La collecte des eaux : nourrir la terre, le corps et l’esprit
La collecte des eaux : nourrir la terre, le corps et l’esprit
Bouwas Mawara et son épouse Nyengeterai sont de petits exploitants agricoles dans le district semi-aride de Zvishavane au Zimbabwe. Ils sont réputés pour leurs innovations dans la collecte de l’eau pour la production agricole et animale, ainsi que pour la mise en place de structures et de systèmes locaux pour diffuser les innovations chez d’autres personnes, agriculteurs comme eux. Aujourd’hui, au moins 160 familles d’agriculteurs de leur communauté sont plus résilientes face aux vagues de sécheresse et à la longue saisons sèche.
Bouwas Mawara a reçu une éducation formelle limitée et a été officiellement employé pendant six ans avant de rentrer chez lui dans la zone communale de Mazvihwa pour y devenir un agriculteur à temps plein en 1976. Son épouse, Nyengeterai, a terminé l’école primaire et a travaillé en tant que boutiquière avant de devenir également agricultrice à temps plein. Mazvihwa se situe dans une région chaude, semi-aride qui reçoit entre 450 et 650 mm de précipitations par an. Des périodes de sécheresse grave même pendant la saison des pluies y sont fréquentes.
L’eau est insuffisante pour la production de maïs, la culture de base, mais ce manque d’eau ne pose pas de problèmes pour les cultures tolérantes à la sécheresse, telles que le sorgho et le mil, et pour la croissance de l’herbe de pâturage. « Avant le processus de collecte de l’eau, nos produits ne duraient pas l’année et nos bêtes étaient trop faibles pour fournir la puissance de traction avant et au début de la saison des pluies », explique Nyengeterai.
Ils produisent des cultures d’hiver comme d’été ainsi qu’une gamme d’arbres fruitiers sur quatre hectares. Leur bétail se nourrit sur des pâturages appartenant à la communauté. En 1976, Bouwas se concentre sur la production horticole à faible risque, qui dépendait alors de l’arrosage manuel. Mais la sécheresse de 1976 a mis à sec le puits avant le début des pluies suivantes. La solution initiale de Bouwas qui consistait à creuser un puits plus grand s’est révélée sans succès. Il s’est rendu compte que le véritable défi n’était pas d’exploiter le peu d’eaux souterraines qui restait, mais de trouver comment augmenter son volume.
Plus de recharge, moins de ruissellement
Il a fait la découverte de cette technique entre 1976 et 1980 lorsqu’il a expérimenté l’idée d’utiliser une courbe de niveau à plat au-dessus du puits pour le recharger. Ces courbes de niveau à plat sont différents des billons longtemps privilégiés par le gouvernement et qui ne retenaient pas du tout l’eau. Une courbe de niveau à plat est un canal creusé dans le champ avec un gradient nul. L’eau est stockée dans le canal, puis s’infiltre lentement dans le sol. Bouwas a utilisé un niveau à bulle pour marquer la courbe, laquelle piégeait et retenait l’eau de sorte que la source était efficacement rechargée. Cette technique a motivé sa famille à transformer les autres courbes de niveau de leurs champs en courbes de niveau à plat pour augmenter la recharge des nappes phréatiques et créer davantage d’humidité pour les cultures au niveau de l’exploitation pendant la saison des pluies. Vers 1986, la plupart de leurs courbes avaient été nivelées. Aujourd’hui, ils ont neuf courbes de niveau à plat d’une longueur de 85 à 320 m et d’une largeur et profondeur moyenne de deux mètres sur deux.
Au fil des années, les courbes sont devenues de véritables cours d’eau, d’où ils tirent l’eau pour l’irrigation pendant la saison sèche. Ils ont procédé aux améliorations suivantes :
• Élargissement et approfondissement des courbes afin qu’elles puissent retenir plus d’eau
• Construction de petits barrages dans les courbes afin de retenir plus d’eau
• Introduction de poissons dans les courbes remplies d’eau
• Installation de tuyaux en terre fabriqués localement dans les champs entre les courbes pour transférer l’eau vers les parties du champ qui en ont le plus besoin.
L’eau est pour le sol ce que le sang est pour une personne.
Sécurité alimentaire et nutritionnelle
Pour Bouwas, « l’eau est pour le sol ce que le sang est pour une personne ». La famille a intégré la collecte de l’eau dans leur système de production pour créer une exploitation saine et productive. La collecte de l’eau leur a permis d’atteindre l’autosuffisance alimentaire et nutritionnelle depuis le début des années quatre-vingt, un exploit à Zvishavane. Même en 1992, lors de la pire sécheresse de mémoire d’homme au Zimbabwe, la famille de Bouwas a produit un surplus de nourriture. Les revenus de la production agricole leur ont permis d’acheter 70 têtes de bétail, de construire une maison décente et d’envoyer leurs enfants à l’école. Nyengeterai aime faire pousser des arachides et du petit mil, dont elle contrôle la vente et les revenus. Elle a utilisé une partie de ses revenus pour acheter des poulets, des chèvres et des bovins.
Bouwas a introduit la rotation des cultures, ce qui leur permet de cultiver toute l’année et de récolter deux ou trois fois par an sur la même parcelle. Il cultive du fourrage pour son bétail et s’assure que son sol a assez de fumier, que son bétail et les matières organiques de l’exploitation agricole lui procurent. Leur production moyenne de maïs est de cinq tonnes par hectare, là où la plupart des petits exploitants des zones similaires obtiennent moins d’une tonne par hectare. Vers 1986, la famille avait tellement d’eau dans les courbes de niveau que Bouwas a introduit trois types de poissons, à savoir la dorade, le poisson chat et le genre Barbus. « Nous avions l’habitude d’avoir du poisson dans le puits et nous sommes partis de cette idée », confie-t-il. C’est une source importante de revenus et d’alimentation pour la famille. Cette activité exige moins de main d’œuvre que l’agriculture et bénéficie d’un bon marché local.
Les voisins bénéficient également de l’accès à l’eau dans l’exploitation de Bouwas et Nyengeterai pendant les années de sécheresse. Une partie de l’eau qu’ils recueillent se déverse dans le cours d’eau local et recharge les eaux souterraines.
Apprentissage mutuel
Bouwas a beaucoup appris des agents de vulgarisation agricole du gouvernement, d’ENDA-Zimbabwe et d’autres agriculteurs. Il a voyagé au Zimbabwe à Bukwa dans les districts orientaux de Chimanimani pour découvrir les pratiques agricoles locales, et c’est de là que lui est venue l’inspiration de cultiver des arbres fruitiers de manière efficace. Lors d’une visite au programme Land Care en Australie en 2000, il a découvert la lutte contre l’érosion des sols à l’aide de l’herbe bana (Pennisetum purpureum).
Il travaille sans relâche pour partager les connaissances acquises avec sa communauté et se fait le chantre de ce qui est devenu une stratégie clé pour la résilience des familles agricoles dans la région de Mazvihwa. Il a collaboré avec Zephaniah Phiri, un autre agriculteur innovateur surnommé le « collecteur d’eau », pour créer, en 1989, le Hupenyu Ivhu (le sol est la vie), un groupement des agriculteurs innovateurs. Le Zvishavane Water Project leur apporté du soutien en termes de transport, de réseautage et de communication. Aujourd’hui, Muonde, une organisation communautaire, fournit une plate-forme à travers laquelle l’utilisation des courbes de niveau à plat sont mises à l’échelle. « Muonde organise également des ateliers et des activités de démonstration sur le terrain pour les agriculteurs sur l’utilisation de charpentes en « A » pour la création des courbes de niveau à plat », renseigne Abraham Mawere, directeur de Muonde.
Les femmes ont activement adopté la collecte de l’eau.
Lorsqu’il fonctionnait à plein régime, Hupenyu Ivhu comptait environ 550 membres dans trois districts, à savoir Zvishavane, Chivi et Mberengwa. Les membres ont appris et pratiqué la collecte de l’eau et l’utilisation de celle-ci pour accroître la productivité agricole. Le groupe est toujours fonctionnel à Zvishavane, avec quelques 160 membres. La réduction du nombre de membres peut s’expliquer par les difficultés économiques de 2000 à 2008, période durant laquelle les agriculteurs avaient du mal à épargner pour les activités de groupe, sans compter la baisse du budget du Zvishavane Water Project venue aggraver la situation. Le groupe Hupenyu Ivhu a mieux fonctionné à Zvishavane, car « il existe depuis plus longtemps, est profondément enraciné dans le district et compte plus de leaders. Cependant, il a également produit des innovateurs remarquables dans les autres districts », informe Bouwas. Les membres actuels sont organisés en groupes d’environ 20 personnes. Ils organisent des réunions et accueillent des visites d’apprentissage sur le terrain pour promouvoir et adapter l’innovation à différents environnements écologiques. D’après Mme Maggie Mukando, membre de Hupenyu Ivhu depuis 1992, « les femmes ont activement adopté la collecte de l’eau. L’eau nous a permis de développer un plus large éventail de cultures, en particulier les petites céréales et les cultures horticoles. Je cultive des tomates, des légumes à feuilles et des haricots sur les billons de mes courbes de niveau. Cela améliore la nutrition et la sécurité des revenus du ménages ».
Mise à l’échelle difficile
La mise à l’échelle de l’innovation est rendue difficile par un manque de ressources, d’équipement et de capacité à compiler les ressources de formation. Des plans sont en place pour relier les groupes et réviser les structures de quartiers et de district et former des structures régionales qui facilitent la diffusion et le renforcement de l’agriculture innovante, durable et productive. Toutefois, ils connaissent des problèmes de transport et de communication, car les distances entre les agriculteurs sont longues.
Intérêt des femmes
Les tuyaux en terre utilisés par Bouwas et Nyengeterai ont été fabriqués localement par une potière. Nyengeterai est préoccupée par l’absence de participation des jeunes femmes dans les cultures traditionnelles et nutritives, qui sont tolérantes à la sécheresse, notant que « les jeunes femmes sont découragées par le caractère intensif de la main d’œuvre nécessaire à la croissance et au traitement du sorgho et du mil ». Pour surmonter certains de ces défis, la stratégie locale des membres du groupement Hupenyu Ivhu consiste à utiliser leurs exploitations à des fins de démonstration. L’on peut également, comme stratégie connexe, renforcer chaque groupe local par le biais d’une production commune pour le marché et organiser des réunions de formation sur la production avec les agents de vulgarisation du gouvernement. « Nous venons d’avoir une réunion dans notre zone, informe à ce sujet Maggie Mukando. La réunion a enregistré la présence de 39 agriculteurs, dont 22 femmes, et nous avons convenu de produire des haricots doux pour le marché en tant que groupe ».
Bouwas a remporté le Prix Phiri 2014 pour les innovateurs dans l’agriculture et l’alimentation, et il a été élu membre exécutif du Zimbabwe Small Scale Organic Farmers’ Forum (ZIMSOFF). Cette reconnaissance formelle rend son travail plus visible, accessible et apprécié, et cette notoriété soutient, à son tour, l’innovation et la promotion collectives impliquant chercheurs, universitaires, décideurs et partenaires financiers. En juillet dernier, Bouwas a dirigé une équipe de huit agriculteurs pour leur enseigner les techniques de collecte de l’eau au Mlezi Agricultural Training College. Ces occasions, quoique rares, contribuent à la reconnaissance de la pertinence de la sagesse traditionnelle, des connaissances locales et de l’innovation.
Mutizwa Mukute
Consultant en recherche et développement
Assistant de recherche à l’Université de Rhodes
Email : mmukute@gmail.com