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Variabilité du lac Tchad, changement climatique et mobilités des populations vers les zones exondées

Cette étude s’intéresse aux mouvements des personnes autour des opportunités qu’offre le recul des eaux du lac Tchad dans un contexte marqué par le changement climatique. Précisément, il s’agit de montrer en quoi la variabilité du lac Tchad causée par le changement climatique est un atout pour les populations de cette région. Autrement dit, en quoi les migrations des populations vers les zones exondées du lac Tchad peuvent être une opportunité de développement ? Ce travail s’appui sur des entretiens, l’observation des activités autour du lac Tchad et l’exploitation des données écrites (archives, rapports des structures techniques, journaux, travaux scientifiques, etc.). Il en ressort que, suite au recul des eaux induit par le changement climatique, ces terres exondées ont attiré de nombreux migrants de toutes origines pratiquant à la fois la pêche, l’agriculture et l’élevage. Les populations suivent l’eau, les poissons et les terres fertiles sans tenir compte des délimitations frontalières. Toute fois, cette forte concentration des populations autour du lac Tchad pose progressivement d’autres problèmes parmi lesquels la course et la pression sur les ressources, les tensions communautaires, les conflits d’usage, etc. Il serait important dans ce contexte d’organiser l’occupation et la gestion des zones exondées afin d’en tirer les profits nécessaires des effets du changement climatique.

Situé à la jonction du désert saharien et de la savane, le lac Tchad, principal point d’eau douce au cœur du continent africain est partagé par quatre pays riverains à savoir le Cameroun, le Nigéria, le Tchad et le Niger (confère carte de localisation). C’est le plus grand point d’eau du bassin tchadien.

C’est un lac endoréique, puisqu’il n’a pas d’ouverture vers la mer libre. Il est situé dans une zone semi- aride. Le lac Tchad joue un rôle prépondérant dans l’organisation de la vie économique, sociale et culturelle des populations du bassin. Il offre de ce fait des opportunités importantes sur le plan de l’agriculture, de la pêche et de l’élevage – autant d’atouts pour une région à l’économie essentiellement rurale. Cependant, le lac est en voie de disparition.

La dégradation de l’environnement observée dans le Sahel en général influence progressivement sur l’évolution des ressources en eau de ce lac Tchad.

D’environ 24 000 km2 dans les années 1960, le lac Tchad partagé par le Cameroun, le Niger, le Tchad et le Nigeria oscille depuis les années 1990 entre 2000 et 17 000 km2 (Magrin G.et al., 2015). Toutefois, cette variabilité a été influencée aussi ces dernières années par le réchauffement climatique. Cette diminution des eaux du lac Tchad fait de cette région un des exemples des conséquences des changements climatiques.

Carte : Localisation du lac Tchad et les zones de marécages

Source : Magrin G., Lemoalle J., et Pourtier R. (dir), 2015, Atlas du Lac Tchad, Passages, Paris, p.24.

Les rapports du Groupe d’Experts Intergouvernemental sur l’Evolution du Climat (GIEC) indiquent que la région du lac Tchad compte parmi les zones les plus affectées par le changement climatique (GIEC, 2007). Cette étude s’intéresse donc aux mouvements des personnes autour des opportunités qu’offre le recul des eaux du lac Tchad dans un contexte marqué par le changement climatique. Ces nouvelles terres émergées constituent de ce fait une aubaine pour ces populations en proie aux caprices écologiques de toutes sortes (sécheresses, dégradation de l’environnement, etc.) L’accent est mis ici sur l’espace : le lac Tchad qui connait une forte concentration de populations à ses abords immédiats et sur ses îles. Cette concentration résulte des mouvements des populations dans le souci d’avoir accès à l’eau, aux terres fertiles, aux poissons etc. En plus de ces facteurs environnementaux depuis 2015, la situation sécuritaire liée aux exactions de Boko Haram a poussé les populations à se refugier dans la zone du lac Tchad.
Le changement climatique s’avère être une opportunité car les mobilités vers le lac sont indissociables de la valorisation des opportunités économiques qu’offre par le recul des eaux. Précisément, en quoi la variabilité du lac Tchad causé par le réchauffement climatique est un atout pour les migrants de cette région ? Autrement dit, en quoi les mobilités des populations vers les zones exondées du lac Tchad peuvent être une opportunité de développement ? Cette étude vise donc à montrer que les migrations des populations vers les zones exondées du lac Tchad relèvent de la résilience au changement climatique.

Méthodes

La phase de collecte des données a mobilisé des sources écrites, orales et iconographiques, étayées par des observations et des entretiens de terrain. Les sources écrites constituées des ouvrages, articles, mémoires, archives et rapports ont été collectées dans plusieurs centres de documentation et dans plusieurs dépôts d’archives (Maroua, Yaoundé, Ndjamena, etc.).

Ils nous ont permis de disposer des informations spécifiques sur la variabilité du lac Tchad, les effets et les stratégies d’adaptation au changement climatique dans la région et les contraintes liés à l’exploitation économique des zones exondées.

Les sources orales sont les résultats des enquêtes que nous avions menées dans la zone d’étude avec plusieurs personnes (éleveurs, agriculteurs, pêcheurs, migrants, etc.). Ainsi, nous avons décidé, pour des raisons de précision, de bien circonscrire notre terrain d’étude et de ne retenir les localités de Blangoua, Darak, Goré Tchandi, Bouaram, Hilé Wanzam Katikimé, Nimeri, Kofia qui sont respectivement situées sur les rives et les îles du lac Tchad.

Les entretiens ont également concerné des experts, des scientifiques et des responsables des ONG (Organisations Non Gouvernementales) qui maîtrisent la gestion, l’exploitation du lac et les conflits y afférents.

A ces éléments s’ajoute l’observation (des activités sur les zones exondées du lac Tchad) et la collecte des sources iconographiques disponibles sur l’évolution du lac Tchad. Les approches synchronique , systémique , ont été mobilisées pour analyser les données collectées, les interpréter et les recouper. Ces approches ont nécessité une lecture pluridisciplinaire des situations, mobilisant des éléments d’histoire sociale, de géographie politique, d’écologie, d’hydrologie, etc.

Résultats & discussions

-* Le lac Tchad : riche en ressources mais à l’environnement fluctuant suite au Changement Climatique

Les rapports du GIEC indiquent que la région du lac Tchad compte parmi les zones les plus affectées par le changement climatique (GIEC, 2007). L’on peut observer ce phénomène à travers la baisse de la pluviosité, l’assèchement du lac Tchad et la raréfaction des ressources en eau. Les populations riveraines sont de plus en plus vulnérables à ces modifications survenant dans leur environnement.
Au cours des derniers siècles, on a constaté une variation de sa superficie en eau libre (confère figure ci -dessous). Depuis le XIXe et le XXe siècle, le bassin du lac Tchad a connu plusieurs épisodes de sécheresse (Sambo, 2010). Les variations de la pluviométrie se sont répercutées sur les écoulements des fleuves contributeurs (Logone, Chari) et donc sur le volume en eau du lac.
Les dernières périodes de sécheresses (1905/1908, 1912/1914, 1940/1944, 1972/1984) ont été très sévères et longues. La décrue de 1905, qui a été importante, a conduit le lac Tchad à se scinder en deux parties séparées par l’exondation de la Grande Barrière (Beauvilain, 1989, T 1 : 96). Cette séparation a donné naissance à un lac Nord et à un lac Sud. Au début de 1908, on a assisté à un assèchement de la partie Nord du lac au niveau du parallèle de Bosso (Saibou Issa, 2001 : 50). En 1914, le lac s’est coupé en deux cuvettes. Ces phénomènes se sont reproduits partiellement en 1916. Après une période de stabilité relative, l’on a observé un relèvement du niveau d’eau dans les années 1950-1960. Pendant, les décennies 1970 et 1980 furent catastrophiques. Le lac sud, actuel lac, continue de se rétrécir et la surface des deltas est en augmentation.

Le lac Tchad avait en 1963 une superficie d’environ 25 000 km2. Suite à la sécheresse de 1973, sa superficie en juillet n’était que de 9000 km2 et le volume de ses eaux d’environ 30 milliards de m3 (Beauvilain, 1989 : 92). Cette baisse du niveau d’eau a abouti en novembre 1975 et 1976 à l’assèchement de la cuvette nord .
Depuis lors, cette cuvette n’est alimentée que de façon épisodique et le lac se retrouve réduit à la seule partie Sud. Le constat qui se dégage est que, d’environ 24 000 km2 dans les années 1960, le lac Tchad oscille de nos jours entre 2000 et 1700 km2. Il est peu profond (1,5 mètre en moyenne) avec un volume d’eau variant entre 30 milliards et 20 milliards de mètres cubes (Sambo, 2010).

Figure 1 : Evolution de la superficie du lac Tchad de 1963 à 2007


Source : Documentation de la CBLT (Cette série de cartes a été dessinée à partir d’une sélection d’images satellites fournies par le Centre de la NASA Goddars Space Flight.)

Depuis 2014, l’on observe une augmentation légère de sa superficie en eau libre. Il varie entre 2000 km2 et 2500 Km2 en superficie en eau libre. Depuis 2013, l’on constate que le lac a atteint une superficie inondée de 14 800 km2 (Lemoalle, J., 2015). Des chercheurs à l’instar de Magrin et Lemoalle pensent que c’est la variabilité bien connue de la superficie en eau du lac qui crée ces modifications, sans que l’on puisse invoquer avec certitude un effet du changement climatique (Magrin G.et al., 2015).

Dans tous les cas, au moment où le besoin en eau se fait sentir, l’on note plutôt sa diminution. Il en ressort que le lac Tchad subit les effets du changement climatique. Les populations établissent une relation entre ces transformations environnementales et la baisse des ressources en eau, et partant de la production agro-sylvo-pastorale (Sambo, 2013).

Toutefois, la présence du lac a permis le développement de plusieurs activités à savoir l’agriculture, la pêche et l’élevage (Sambo, 2011 : 117-120). Ainsi, le recul d’eau du lac Tchad présente un écosystème qui offre des opportunités aux populations.
Les mobilités vers les rives et les îles se présentent non pas seulement comme une stratégie d’adaptation mais un atout qu’offre le changement climatique dans cette région.

-* Les zones exondées du lac Tchad ont attiré de nombreux migrants de toutes origines

L’eau en se retirant laisse derrière elle des terres exondées, très fertiles et riches en pâturages. Ces espaces, une fois libérés, sont immédiatement occupés par les populations. Plus de 80% des riverains du lac Tchad reconnaissent son importance selon nos enquêtes de terrain. Dans une situation où les populations migrent vers les zones fertiles, l’espace que laisse le retrait des eaux du lac Tchad est une zone privilégiée.

C’est ainsi que depuis des siècles, les populations suivent ces berges et les îles qui émergent. C’est dans ce sens qu’Alain Beauvilain affirme que « c’est à proximité du lac Tchad que les déplacements des populations engendrés par les situations de sécheresse sont les plus importants en raison du dessèchement progressif du Delta du Chari et des potentialités offertes par le recul des eaux du lac » (Beauvilain, T2, 1989 : 545).

Plusieurs villages à cet effet ont été créés à la suite du recul des eaux du lac Tchad. Blangoua par exemple au Cameroun est créé en 1953 et il est même postérieur à celui de Koutela qui est situé à quelques kilomètres au nord. 40 villages, selon Alain Beauvilain, du côté nigérian existaient sur la zone exondée du lac en 1975 ; 100 en 1985, avec des villages comptant plus de 40000 habitants (Beauvilain, T2, 1989 : 551-553).

Les grandes sécheresses des années 1973-1974 et 1984-1985 ont contraint les populations à migrer. C’est pendant cette période que l’on a observé la plupart des migrations de masse dans le bassin. C’est ce qui fait dire à Seignobos que « les rives méridionales du lac attirent de plus en plus de cultivateurs, de pêcheurs, de pêcheurs- cultivateurs et tous ceux vivant du commerce du poisson et des surplus de l’agriculture… les agriculteurs peuvent se livrer à plusieurs cultures successives de maïs, de niébé et de patate douce » (Seignobos C., 2017 :181).

Aux abords immédiats du lac, la plupart des villages sont essentiellement construits en matériaux provisoires (paille, argiles, etc.) . Ce sont des villages constitués majoritairement de pêcheurs et de piroguiers.

La particularité de ces villages est qu’ils se déplacent aussi en fonction des eaux du lac . Au fur et à mesure que les eaux se retirent, les populations suivent ces ressources, et au moment où le lac s’agrandit, ces derniers reculent aussi progressivement. Tel est le cas de Katikémé situé à quelques encablures de Darak. C’est le point d’échanges et de rencontres entre les insulaires et les populations riveraines (Sambo A, 2011).

Créé au début des années 1970 suite à l’assèchement du lac par les agro pasteurs, le transport par pirogue demeure l’une des activités essentielles de ce village. L’on peut citer plusieurs autres villages créés dans les années 1980 grâce au rétrécissement du niveau du lac. Il s’agit de Goré Tchandi, Bouaram et Hilé Wanzam.

Ces villages sont essentiellement habités par des populations constituées de Haoussas, d’Arabes Choa, de Mousgoum, de Foulbé et de Djoukoun. De ce fait, l’on constate de plus en plus une forte concentration des populations autour du lac. Ainsi, les hommes vaquent à plusieurs activités autour d’un lac qui devient de plus en plus petit. Ces mouvements à proximité des berges du lac Tchad ne tiennent pas compte des frontières d’Etats.

Sur le lac Tchad, les pasteurs migrent du nord du Nigeria vers le sud du lac quand la saison sèche s’approche et repartent aussitôt quand les pluies commencent. Leurs mouvements les entraînent sur les berges camerounaises et tchadiennes du lac.

Avec le retour des eaux sur les berges nigériennes du lac, l’on observe non seulement la présence des Nigérians mais aussi des Homamidines, qui viennent du Soudan, attirés par les pâturages de cette localité (Bdliya, H., Bloxom M., 2012). Les éleveurs se déplacent d’une île à une autre en fonction de la disponibilité des pâturages.

Dès le retour des eaux, ils se retirent totalement du lac. A Darak, Naga, Doré Liman et à Kofia, l’essentiel des transhumants sont les Peuls, les Kanuri et les Arabes Choa. Ils sont de différentes nationalités. La direction privilégiée pour les éleveurs est la zone de yaérés du Logone et les plaines alluviales autour du lac Tchad.

Cette recherche du pâturage a débouché sur la transhumance internationale, car les bergers se déplacent au-delà des frontières nationales. Ces mouvements des éleveurs aux abords du lac Tchad existent depuis des siècles.

Seulement, depuis les années 1970, avec la réduction des espaces pastoraux, la concentration des éleveurs dans cette région est une source de tensions, surtout lorsque ces migrations ne tiennent pas compte du respect des frontières.

-* Forte concentration des populations autour du lac Tchad, pression sur les ressources en eau et les conflits d’usage

Au fur et à mesure que les ressources s’amenuisent, les relations entre les différentes communautés se compliquent. La complication provient du fait que l’on enregistre désormais une pression sur les ressources.

La croissance de la population dans le bassin du lac Tchad est un élément déterminant : en 2000, plus de 30 millions des personnes dépendent directement des ressources du lac Tchad (Hodge, S, 2005) alors que, dans le même temps, il régresse. Le lac Tchad constitue aujourd’hui un pôle de concentration humaine important au sein du Sahel central.

Il fait partie des espaces ruraux qui ont connu une forte croissance démographique au cours des dernières décennies. Certains endroits ont pu atteindre localement 60 habitants au km2. Les populations s’y installent, motivées par le potentiel piscicole, agricole et pastoral, auquel contribue en partie le retrait des eaux, générateur de surface utile supplémentaire (Sambo, A., 2011 : 117).

Désormais dans ce contexte, les populations suivent donc l’eau, les poissons et les terres fertiles. Ce comportement est leur réponse à la sécheresse : l’installation s’opère là où les ressources naturelles sont disponibles (Saïbou Issa, 2001 : 71). De ce fait, on constate une forte concentration des populations autour du lac. Les eaux du lac sont exploitées comme des eaux internationales.

La présence des ressources ne se soumet pas aux frontières tracées par l’homme. Dans un contexte de rareté de ressources, de plus en plus, l’idée de frontière qui était illusoire dans la mentalité surgit, ce qui rend complexe le déroulement de la pêche et de l’élevage.

Ainsi, la baisse de certaines ressources (eau, poissons, terres fertiles, etc.) et services écosystémiques est une source de compétition entre les différents usagers, ceci dans un contexte où l’on observe une forte concentration des populations autour de ce lac. Cette pression sur les ressources entraine progressivement à la déforestation, à la désertification et la dégradation de l’environnement (Ombiono Kitoto P. A., 2016).

La cohabitation est difficile, entre les différentes communautés vivant aux abords et sur les îles du lac Tchad. Tensions et conflits sont la traduction directe de ces pressions croissantes sur les ressources.

La pression humaine croissante sur les ressources « est jusqu’ici régulée par des systèmes coutumiers qui permettent d’éviter des conflits graves » (Lemoalle J., Magrin G. (dir.), 2014 :42). L’action collective, la répartition des responsabilités et le partage des bénéfices pourtant une tradition dans cette localité deviennent de plus en plus bouleversée.

-* Des conflits liés à l’accès aux ressources en eau

La cohabitation est difficile, entre les différentes communautés vivant aux abords et sur les îles du lac Tchad. Tensions et conflits sont la traduction directe de ces pressions croissantes sur les ressources. Cette géopolitique met en présence différentes communautés locales, des migrants issus de différents Etats proches, ainsi que différents types d’usagers à l’intérieur d’un même secteur d’activité ainsi qu’entre secteurs (agriculture, élevage, pêche).

Il importe de préciser que les conflits les plus récurrents sur le lac Tchad opposent les pêcheurs de différentes communautés. Cela relève non seulement du caractère instable des pêcheurs suite à la variabilité du lac mais aussi c’est le secteur d’activité qui a connu le nombre les plus élevés des migrants étrangers (Maliens, Sénégalais, Béninois, etc.) du fait de l’attractivité du lac. En 2008 à Darak par exemple, l’on estime la communauté malienne à plus de 600 personnes (Sambo A., 2010 :187). Ils sont venus s’installer pour la plupart à cause du caractère très poissonneux du lac.

D’ ailleurs suite à nos résultats de terrain leur effectif tend à diminuer ces dix dernières années à cause selon ceux-ci de l’hostilité de l’environnement puisque la pêche n’est plus fructueuse. La cohabitation suite à la raréfaction des ressources halieutiques entre les pêcheurs locaux et les pêcheurs étrangers débouche généralement sur des conflits. D’ autres se sont reconvertis dans l’agriculture, l’élevage et le petit commerce .

Les migrants étrangers sont pour la plupart accusés d’utiliser pour la pêche du matériel prohibé comme le filet à petites mailles. Les pêcheurs tchadiens par exemple accusent les pêcheurs des autres pays d’utiliser des techniques de pêche peu respectueuses.

C’est ainsi que les autorités tchadiennes saisissent et détruisent les filets à maille des Camerounais et Nigérians (Saïbou Issa, 2010). En 1983, le souci de contrôler certaines îles poissonneuses du lac débouche sur un affrontement qui oppose pêcheurs nigérians et tchadiens sur le lac Tchad. Cette dispute, à la différence des autres, voit l’intervention militaire, d’où l’affrontement des troupes des deux pays (Saibou Issa, 2002,72).

Au Nord du lac Tchad, des conflits réguliers ont été également observés entre février et avril 2012 et ont surtout opposé les pêcheurs locaux et étrangers migrants à cause de l’utilisation des motopompes devenue de plus en plus une forme de pratique de pêche permettant l’exploitation des portions du lac afin de capturer des grosses quantités de poisson par jour.

Dans la cuvette sud du lac Tchad, les conflits les plus réguliers opposent généralement les pêcheurs tchadiens et nigérians.
Par ailleurs les conflits d’usage oppose sur le lac Tchad les éleveurs et les pêcheurs sur les rives. De tels conflits opposent aussi lesdits éleveurs aux pêcheurs sur certaines îles. En saison sèche, le bétail en quête de point d’eau pour s’abreuver envahit, très souvent, les zones riches en poissons.

Ce faisant, ils chassent les poissons entrainant ainsi la colère des pêcheurs. Pour résoudre ces conflits, les autorités des villages tels que Bagaram, Torroya et Bol ont demandé aux pêcheurs d’éviter de fixer les filets dans les zones où les éleveurs viennent abreuver leurs troupeaux. Dans d’autres villages, on leur demande de pêcher dans la nuit, car à cette heure les animaux se sont déjà retirés.

L’occupation progressive des abords immédiats des berges du Lac Tchad par les éleveurs et les agriculteurs entraîne aussi souvent des oppositions entre ces groupes.

Ces conflits naissent du fait que les éleveurs utilisent l’eau pour l’agriculture et la végétation environnante comme pâture. En saison sèche à Darak par exemple, l’exondation du lac libère des espaces qui sont rapidement occupés par les agriculteurs. Les pâturages du coup se réduisent et au même moment les voies de transhumance se raréfient. Les plantations sont tellement serrées que les pistes de transhumance forment un labyrinthe (Sambo 2011).

Les éleveurs accusent les agriculteurs de les empêcher de circuler librement dans cette région. Et de l’autre côté, en réaction les paysans se plaignent que les éleveurs détruisent leurs plantations. C’est ainsi que l’on assiste régulièrement à des disputes et à des bagarres entre les deux groupes. Selon le responsable de l’élevage de la CBLT, la zone de Darak demeure dans le bassin l’un des plus grands espaces de transhumance.

Les animaux viennent de partout : Cameroun, Niger, Nigeria, Tchad, et aucun système de gestion et de contrôle de ces mouvements n’est coordonné. L’on ne peut dans ce cas qu’aboutir à des malentendus et à des rixes entre éleveurs et agriculteurs.

Conclusion

En conclusion, la variabilité du lac Tchad est influencée ces dernières années par le changement climatique. Cependant, le recul du lac Tchad laisse un espace, confronté aux migrations massives, qui fort heureusement contribue grandement à la production agro-sylvo-pastorale dans la région.

Il serait important dans ce contexte d’organiser l’occupation et la gestion des zones exondées afin d’en tirer les profits nécessaires des effets du changement climatique, ce d’autant plus que même les zones exondées sont entrain de se dégrader. Mais déjà les populations ont développé des stratégies endogènes pour s’adapter à cet environnement.

La prise en compte de ces pratiques dans un cadre stratégique sera un atout énorme pour améliorer la résilience des populations du bassin du lac Tchad au changement climatique. C’est ainsi qu’il importe pour les Etats d’intégrer ces savoirs faire par la mise en place des projets de développement.

Les pratiques les plus courantes observées dans la région et qui sont au centre des activités des ONG sont : la construction des mares d’eau, des infrastructures de rétention d’eau, l’organisation de la transhumance, l’irrigation, etc.

Ainsi, ces pratiques et connaissances endogènes peuvent servir de mécanismes de gestion rationnelle et durables des ressources en eau, en partant des stratégies d’adaptation aux changements climatiques dans cette partie de l’Afrique.

Sambo Armel
Historien, Enseignant/ Chercheur, Université de Maroua, au Cameroun

Contact : samboarmel@yahoo.fr

Références bibliographiques

-  Bdliya, H., Bloxom M., 2012, Analyse diagnostique transfrontalière du Bassin du Lac Tchad, Programme CBLT-FEM relatif à l’Inversion de la tendance à la dégradation des ressources en terre et en eau, N’Djaména, CBLT, 153 p.
-  Beauvilain, A., 1989, Nord Cameroun : crises et peuplement, T. 1 et T. 2, thèse de Doctorat es Lettres et Sciences humaines, Université de Rouen.
-  GIEC, 2017, Climate change 2007 : The physical science basis, Cambridge University Press, Cambridge, p.996
-  Hodge, S, 2005, « Audit des besoins de renforcement des capacités de la Commission du Bassin du lac Tchad » (CBLT), Audit de la politique environnementale et de la capacité institutionnelle, Cambridge Ma, 02135, USA.
-  Lemoalle J., Magrin G. (dir.), 2014, Le développement du lac Tchad : situation actuelle et futurs possibles, Marseille, IRD Editions, coll. Expertise collégiale, bilingue français-anglais.
-  Magrin G., Lemoalle J., et Pourtier R. (dir), 2015, Atlas du Lac Tchad, Passages, Paris.
-  Magrin, G., 1996, « Crise climatique et mutation de l’agriculture. L’émergence d’un grenier céréalier entre Tchad et Chari » in Annales de Géographie, n° 592, novembre-décembre 1996, pp. 620-644.
-  Ombiono Kitoto P. A., 2016, « Réchauffement climatique et migration vers les rives du lac Tchad », Migrations Société, 2016/1 (N° 163), p. 149-166.
-  Saïbou Issa, 2001, « Conflits et problèmes de sécurité aux abords sud du Lac Tchad : dimension historique (XIVè-XXè siècles) », Thèse pour le Doctorat/Ph.D, Université de Yaoundé I.
-  Saïbou Issa, 2002, « Access to lake Chad and Cameroon-Nigeria border conflict : a historical perspectives », Castelein, S. and Otte, A., (eds), Conflict and cooperation related to International water resources : historical perspective, International Hydrological Program, n° 62, UNESCO, Paris.
-  Saïbou Issa, 2004, « Le mécanisme multilatéral de la CBLT pour la résolution des conflits frontaliers et la sécurité dans le bassin du lac Tchad », Enjeux, n° 22.
-  Sambo A., 2010, « Les cours d’eau transfrontaliers dans le bassin du lac Tchad : accès, gestion et conflits (XXe et XIXe siècles), Thèse pour le Doctorat/ Ph.D. d’Histoire, Université de Ngaoundéré.
-  Sambo A., 2013, « Perceptions locales et pratiques d’adaptation au changement climatique dans la gestion rationnelle des ressources en eau du Lac Tchad » in Geo- Eco- Trop (Revue internationale de géologie, de géographie et d’écologie tropicales), N° 37, Tome 2, pp. 293-302.
-  Sambo, A., 2011, « Entre zones exondées, Conflits intercommunautaires et pression sur les ressources » in Passages, N° 166, actes du 8eme Forum Mondial du Développement Durable, pp. 117-120.
-  Seignobos C., 2017, Des mondes oubliés. Carnets d’Afrique, IRD Editions/Parenthèses, France.

NB : Cet article a fait l’objet d’une présentation par l’auteur lors de la conférence régionale organisée par IED Afrique, les 10,11 et 12 septembre 2018, Dakar.