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Relations campagne et la ville : deux réalités complémentaires et interdépendantes
Dr. Houngbo contribue à la réflexion sur les réalités qui animent les villes et les campagnes, son analyse est axée sur la nécessité de la coexistence de ces deux entités pour la satisfaction des besoins des populations. Il s’appui sur une étude régionale qui analyse la pratique de l’agriculture périurbaine dans différentes villes d’Afrique de l’Ouest et qui considère celle-ci comme un moyen d’exploitation de l’espace urbain et d’aménagement du territoire.
La campagne et la ville sont deux facettes d’une même réalité spatiale et socio-temporelle mue par l’accroissement de la population. Elles ne s’opposent donc pas. Dans le processus, tout se passe comme si « la ville chasse la campagne ». Au départ, l’homme a toujours souhaité vivre dans un milieu qui lui procure à la fois habitat et vivres. La campagne, espace à faible densité de population, constitue de ce fait le cadre propice à ce mode de vie pour la population. Elle est l’espace cultivé, de production de vivres et de matières premières pour les villes, le siège de la demande de produits manufacturés et d’équipements agricoles et artisanaux. Mais, à mesure que la population augmente, des besoins sociocommunautaires notamment augmentent et obligent à repousser la campagne pour que prenne place la ville, espace habité. Car, avec l’élévation de la densité de la population, il faut plus d’habitations et d’infrastructures sociocommunautaires (écoles, centres de santé, police, justice, adduction d’eau, éclairage public, …).
La ville pour induire la transition agricole
La ville est indispensable pour la promotion de la campagne au regard de la thèse industrio-centriste de développement agricole. Les tenants de cette thèse tels que List, Kautsky et Préobrajensky, pensent que l’agriculture ne peut se développer sans l’industrie qui serait le secteur moteur pendant que l’agriculture le secteur mû. Ainsi, la ville est le siège de l’industrie qui meut l’agriculture, surtout lorsque celle-ci a déjà évolué de façon autonome jusqu’à l’atteinte de l’autosuffisance alimentaire. C’est dire que sans la ville, l’agriculture ne peut se développer de façon soutenue. L’agro-industrie dans la ville permet la transition agricole, nécessaire à la transition économique et au développement. L’agro-industrie devient ainsi le siège de la création d’emplois nouveaux, productifs et plus rémunérateurs pour les différentes couches de la société, y compris les femmes et les jeunes. La transition agricole se traduit donc par la réduction de la proportion de la population active s’adonnant à l’agriculture et de la contribution de l’agriculture au produit intérieur brut (PIB). Cette transition agricole encore lointaine en Afrique, est déjà une réalité en Amérique latine. Le poids de l’agriculture en Afrique sub-saharienne représente encore 30% du PIB et 70% de la population active, contre respectivement 10 et 29% en Amérique latine.
Nécessité de coexistence ville-campagne
La ville, espace plus peuplé, est naturellement le siège de la forte demande de vivres, et donc le principal marché pour les produits agricoles issus de la campagne. La ville et la campagne sont si importantes pour la satisfaction des besoins des populations que tant que faire se peut, et selon les communautés en présence, elles s’entremêlent. L’interdépendance campagne-ville est vitale. La coexistence de la présence du rural (campagne) et de l’urbain (ville) est indispensable pour les populations. C’est ce qui justifie l’exercice de l’agriculture périurbaine (juxtaposition du rural et de l’urbain) et de l’agriculture urbaine (imbrication du rural et de l’urbain) qui contribuent significativement à la sécurité alimentaire et nutritionnelle des populations. La possibilité de la pratique d’agriculture urbaine serait d’ailleurs un moyen pour faciliter l’accès des citadins à l’alimentation. Une étude régionale que nous avons réalisée en janvier-mars 2014 en Afrique de l’Ouest a permis de constater particulièrement la pratique développée de l’agriculture urbaine à Ibadan (Nigeria) et à Abidjan (Côte d’Ivoire). La culture de la banane plantain est étonnamment bien développée à Abidjan et à Ibadan. En plus de ce que des exploitations de banane plantain sont fréquemment observables dans les deux villes, la plupart des maisons d’Abidjan sont plantées de banane plantain.
Les villes d’Ibadan et d’Abidjan développent ainsi une stratégie de bonne exploitation de l’espace urbain. Car, le bon aménagement du terroir urbain devrait pouvoir inclure des espaces agricoles, des espaces verts et des forêts. En revanche, l’agriculture urbaine est très faible, voire négligeable, à Cotonou (Bénin).
Éviter une urbanisation qui ne sert pas la campagne
Il convient toutefois de souligner que le développement de la ville ne doit pas se faire au détriment de la campagne. C’est le cas lorsque les besoins des campagnes ne sont pas satisfaits. Une telle situation engendre l’exode rural, la délinquance juvénile, la criminalité et autres vices à caractère urbain. D’où, la nécessité de développer des stratégies et actions qui permettent aux ruraux de se sentir à l’aise dans leur milieu pour continuer à être les fournisseurs de matières premières pour le développement industriel et agro-industriel des villes. La promotion de l’agriculture durable en est certainement l’un des moyens (Houngbo, 2008) [1] . Les conditions de vie et de travail en campagne doivent être en sorte que le motif du déplacement des populations vers la ville soit d’aller saisir des opportunités d’emploi en tant que main-d’œuvre qualifiée pour l’agro-industrie et autres métiers urbains. Ce qui n’est souvent pas le cas en Afrique où la dégradation de la vie en campagne fait que la ville est malheureusement et illusoirement perçue comme l’endroit unique où il peut faire bon vivre. Au Bénin par exemple, Biaou (2005) [2] avançait que les plus grandes villes du Bénin où l’expansion spatiale a pris des allures assez préoccupantes de par les implications qu’elle suscite, sont Cotonou et Parakou et dans une moindre mesure Porto-Novo. Cette évolution des villes béninoises crée pour le développement durable des distorsions telles que l’apparition de quartiers spontanés à la périphérie sans aucun plan de développement foncier, l’abondance de main-d’œuvre non qualifiée reconvertie en conducteurs de taxi-motos sans aucune formation préalable au code de la route, l’insuffisance de réseaux routiers qui créent des problèmes de circulation à l’intérieur et aux sorties des villes, la spéculation sur le foncier et le développement de la délinquance, de la criminalité et de la prostitution. Cette situation est probablement celle de plusieurs villes africaines où les plus grandes villes disposent de presque toutes les infrastructures socio-communautaires, pendant que les campagnes en sont quasiment privées.
Dr Emile N. Houngbo
Agroéconomiste
Université d’Agriculture de Kétou
05 BP 774 Cotonou (Rép. du Bénin)
Tél. (229) 95246102 / 67763722
E-Mail : enomh2@yahoo.fr