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« Let’s Be a Farmer – Soyons un Agriculteur » : une initiative pour encourager les jeunes du Bénin à pratiquer l’agriculture
A l’instar d’autres pays en Afrique de l’Ouest, le Bénin connait le problème récurrent de la migration des jeunes des milieux ruraux vers les zones urbaines. Si ces déplacements humains importants sont désignés sous l’exode rural, c’est plus le terme « exode agricole » que nous lui préférons. Car dans la pratique, c’est essentiellement de leur main-d’œuvre agricole potentielle que sont dépourvues les campagnes. Dans le contexte actuel du chômage des jeunes, l’ONG Youth Partnership and Agricultural Development (YPAD) œuvre pour faire émerger des confrontations villes-campagnes pouvant favoriser l’engagement en agriculture des jeunes et des femmes.
Migrations rurales et agricoles, un phénomène dû l’influence des villes sur les campagnes
En Afrique subsaharienne, le rôle important des paysans dans la réduction de la pauvreté et l’amélioration de la sécurité alimentaire n’est plus a démontré. Au Bénin, ils représentent près de 70% de la population active, contribuent à 35% du PIB (AGVSA, 2014) [1] et fournissent la quasi-totalité des aliments (importations exclues). Malgré cela, les paysans et leurs familles, pris ici pour ceux qui vivent de l’activité agricole, sont et demeurent les communautés les plus pauvres du pays. Leurs outils de travail, encore manuels, et leurs difficultés d’accès à plusieurs ressources productives dont la terre, l’eau et le capital, rendent difficile l’appréciation à sa juste valeur de leur activité. Les paysans sont donc souvent très peu valorisés. Traiter par exemple un étudiant ou un « intellectuel » de paysan, parait parfois péjoratif. Sous ces clichés, le problème du chômage s’accentue. En effet, le secteur agricole est le plus grand pourvoyeur d’emplois au Bénin. Or d’une part, les milliers de jeunes diplômés dans les villes à statut particulier [2] qui chaque année s’ajoute au nombre de chômeurs au Bénin n’explorent ni l’un ni l’autre les opportunités de travail dans l’agriculture. D’autre part, de nombreux jeunes ruraux des zones à fortes productions du nord- du centre- et du sud-Bénin nourrissent toujours l’ambition de venir à Cotonou, Porto-Novo ou Abomey-Calavi pour exercer dans le secteur informel ou en tant que conducteurs de taxi-moto. Parmi eux, de potentiels jeunes agriculteurs en provenance des villages frontaliers comme Modogan dans le sud-Bénin ou Kabo dans le centre du Bénin, migrent avec leur petit colis en main vers le géant de l’Est, le Nigéria [3] pour paradoxalement exercer en tant qu’ouvriers agricoles. On note ainsi un désintéressement progressif de la jeunesse pour l’agriculture et pour le métier d’agriculteur. C’est dans ce triple contexte de faible valorisation du paysan, de chômage des jeunes et femmes et d’exode agricole que l’ONG Youth Partnership and Agricultural Development (YPAD) en collaboration avec ses partenaires a initié en 2014 l’initiative « Let’s Be a Farmer – Soyons un Agriculteur ».
Let’s Be a Farmer – Soyons un Agriculteur, pour renforcer les interactions entre ruraux et citadins.
Let’s Be a Farmer est une initiative portée par YPAD, en partenariat avec les ONG locales Young Leaders Corporation, Give1Project et Young Pioneers for Development, et soutenue par l’Ambassade des Etats-Unis au Bénin. Elle constitue une réponse à la faible attractivité du secteur agricole pour les jeunes par la valorisation du métier d’agriculteur. Son objectif global est de valoriser l’image sociale du paysan afin de favoriser et renforcer l’engagement des jeunes en agriculture. Plus spécifiquement, il s’agit de :
promouvoir les petits agriculteurs et les organisations paysannes ;
soutenir les jeunes entrepreneurs agricoles ; et
favoriser le marketing de services et produits agricoles.
Pour atteindre ces objectifs, l’initiative a été déclinée en trois étapes :
Etape 1 – Rencontres jeunes-paysans : il s’agit de mobiliser une centaine de jeunes et femmes citadins dans des milieux ruraux afin de leur faire découvrir l’activité agricole tout en leur permettant d’avoir une image représentative de la réalité paysanne grâce aux communautés paysannes elles-mêmes.
Etape 2 – Appui technique et financier aux jeunes entrepreneurs agricoles : YPAD envisage nouer divers partenariats pour apporter un appui technique et/ou financier à deux catégories de jeunes. D’une part, des jeunes qui parmi ceux mobilisés en première étape aspirent à s’engager dans la production agricole. Et d’autre part, des jeunes entreprenant dans le secteur agricole ou agro-alimentaire et qui ont besoin de renforcer leurs capacités managériales.
Etape 3 – Mise en place d’une plateforme web communautaire : ceci pour faciliter les échanges et interactions commerciales entre acteurs du monde agricole et rural.
Pour les jeunes citadins, les paysans ont du talent !
La première étape a été lancée en 2014 et a permis de mobiliser 120 jeunes et femmes citadins auprès de 20 paysans, dont 13 femmes transformatrices de produits agro-alimentaires, dans quatre localités différentes des communes de Bohicon, Porto-Novo, Parakou et Tchaourou. Les paysans ont formé les jeunes aux réalités du monde agricole et en retour les jeunes ont informé les paysans sur des innovations liant les technologies de l’information et de la communication à l’agriculture. Cette première étape constitue la base de l’initiative et lui confère son caractère innovant.
L’innovation réside dans le fait qu’elle ait mobilisé des jeunes « citadins » pour des activités champêtres et purement agricoles en milieu rural dépourvu de technologies et de confort des villes auxquels ces derniers étaient habitués. Aussi, l’initiative a suscité la collaboration entre ces jeunes et les petits agriculteurs, ce qui a fait ressortir la notion d’Apprentissage Socio-culturel Agricole Dynamique (AScAD). En effet, bien que nous soyons dans un même contexte socio-culturel, il s’est agi d’une collaboration entre deux catégories d’acteurs n’ayant pas la même perception des réalités sociologiques qui se posent à elles. Les uns étant de tout temps marginalisés aussi bien en matière d’accès aux ressources productives qu’au niveau des marchés d’écoulement en passant par les défis liés à la production agricole ; les autres carrément influencés par les préjugés et représentations urbaines, et ignorant tout de la valorisation du facteur « terre » pour créer de la richesse. Au terme de cette expérience, 9 jeunes citadins sur 10 affirment avoir apprécié cette découverte de l’activité agricole dans le monde rural et avoir une perception améliorée ou positive de l’image du paysan à travers le rôle capital qu’il joue dans l’approvisionnement des villes, et le talent dont il fait preuve malgré l’environnement contraignant dans lequel il mène son activité.
Impacts socio-économiques relevés.
Au terme de l’expérience, une évaluation participative a été réalisée afin de mesurer le niveau d’atteinte des résultats au travers des indicateurs prédéfinis. Des impacts socio-économiques ont été observés. Sur le plan social, il s’est révélé une interaction fructueuse entres les différentes parties prenantes du projet. Les échanges de connaissances entres les deux catégories d’acteurs ont permis non seulement de faire découvrir aux jeunes les réalités du milieu rural et les techniques de production agricole mais également d’initier les agriculteurs TIC pour un accès facile aux informations relatives aux calendriers agricoles dans un contexte de changements climatiques, aux marchés d’écoulements et aux prix des denrées. Aussi, il a été noté un renforcement du capital social au niveau des localités rurales ayant accueilli les jeunes. Sur le plan économique, il est à noter une amélioration de la production des exploitations familiales qui ont accueillit les jeunes citadins. En effet, ces exploitations ont bénéficié de la force de travail des jeunes dans leurs activités quotidiennes pendant une période de l’année où la main-d’œuvre salariée est très demandée. Ce qui leur a permis de réaliser des économies dans la production notamment au niveau de la mobilisation de cette main d’œuvre salariée saisonnière qui est d’ailleurs onéreuse du fait de l’exode agricole. En outre, une dizaine de jeunes s’est rapprochée de YPAD pour avoir un appui dans l’élaboration de plans d’affaires pour la mise en œuvre de démarches de mobilisation de ressources afin de s’intégrer au tissu agricole local.
Les communautés paysannes fortement impliquées.
L’initiative est conçue sur la base d’un diagnostic participatif et mise en œuvre suivant les principes de l’approche participative. Ainsi dans un premier temps, il a été question d’identifier de façon exhaustive, toutes les catégories d’acteurs pour lesquelles la question de valorisation de la position des petits producteurs et de l’emploi des jeunes constitue un enjeu de développement. Suite à cela, les communautés paysannes, notamment les agriculteurs familiaux des zones de production agricole du Bénin, ont été identifiés comme des partenaires stratégiques pour la réalisation du projet. Elles ont alors été associées aussi bien au diagnostic de la situation d’insuffisance de départ qu’à la proposition de stratégies pour la résorber. Ainsi, elles ont défini leur degré d’implication au projet en mettant un accent particulier sur la principale ressource dont elles disposent et qui pourrait être mise à la disposition du projet. Un cadre d’apprentissage en milieu réel pour les jeunes citadins a été ainsi mis en place suivant les intérêts de ces derniers. Les communautés paysannes ont défini leur capacité d’accueil des jeunes citadins, et des modules de formations pratiques devant être dispensés afin d’harmoniser les pratiques d’enseignement sur les différents sites.
Une expérience à encourager… mais des obstacles restent à surmonter
Les premiers résultats obtenus dans cette expérience ont été encouragés lors du 1er Forum de l’innovation sociale et de l’éthique mondiale (SIGEF 2014) tenue en Octobre 2014 à Genève, Suisse ; et dans le cadre du Concours « Les Paysans ont du Talent ! » lancé en marge du Livelihoods Camp 2015 en Février 2015 à Ouagadougou, Burkina-Faso.
Ces résultats encourageants obtenus à la première étape sont rendus possibles par la forte implication des communautés paysannes elles-mêmes, la motivation des jeunes citadins et des ONG partenaires au regard du caractère innovation, la facilité de la réplicabilité à toute échelle et l’efficacité de l’investissement réalisé (à peu près 1 350 000 FCFA, soit moins de 2 060 Euros).
Cependant, YPAD doit encore surmonter de nombreux obstacles afin d’atteindre d’autres résultats probants non seulement sur les autres étapes de l’initiative mais également en améliorant certains aspects de la première étape. Parmi ces obstacles, se trouvent :
la formation pratique des jeunes qui aspirent s’engager l’activité agricole et selon leurs intérêts ;
l’appui technique et le suivi à apporter à ces jeunes en vue de leur installation ;
le financement nécessaire au développement de la plateforme web communautaire.
Le souhait de la YPAD est que les jeunes à appuyer en agriculture puissent s’installer en milieu rural pour ne pas aussitôt être confronté au problème du foncier.
Ariel Djomakon,
E-mail : ar.djomakon@ypadong.org
Moubarakatou Tassou,
E-mail : mb.tassou@ypadong.org
Pierre-Marie Kakpohoué,
E-mail : pm.sewedo@ypadong.org
Yvon Saroumi,
E-mail : yv.saroumi@ypadong.org
Youth Partnership and Agricultural Development (YPAD)
Tel : +229 96 84 69 59