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Le rôle des organisations interprofessionnelles (OIP) dans la régulation du secteur laitier au Sénégal
Le développement du secteur laitier est
affiché comme une priorité du gouvernement
sénégalais. Le Sénégal fait partie
des pays dont le déséquilibre de l’offre
par rapport à la demande en lait est très
important.
Face à une demande de plus en plus importante liée à l’accroissement démographique et à la forte urbanisation, les besoins en lait et produits laitiers ont été essentiellement couvert par les importations durant ces trente dernières années (Dièye et al., 2005).
La production laitière locale est estimée à 143 000 tonnes (FAO stat) et les races bovines locales ont de faibles niveaux de productivité laitière. Les sorties de devises liées à ces importations sont passées de 15 milliards de francs c F a en 1994 à 47 milliards depuis 2006 (ministère de l’Élevage, 2007). La réduction des importations de lait et produits laitiers par l’amélioration de la production locale constitue ainsi un des objectifs majeurs assignés au sous-secteur élevage.
Le secteur laitier au Sénégal depuis 1994 est caractérisé par deux évolutions :
La reprise des importations de produits laitiers et le développement d’un tissu de PME /PMI évoluant dans le reconditionnement et la transformation du lait en poudre (Dieye et al., 2005). Parallèlement, des dynamiques localisées de développement de la production laitière locale ont émergé dans différentes zones agro-écologiques. Ces dynamiques sont centrées sur des innovations techniques mais également institutionnelles pour améliorer l’accès aux marchés des producteurs.
Dans le cadre de ces filières, plusieurs organisations professionnelles et interprofessionnelles ont émergé (Dia, 2004a, 2004b ; Broutin, 2005)
Le présent article propose d’analyser le rôle des organisations interprofessionnelles dans la régulation du secteur laitier au Sénégal.
Historique de la structuration de la filière lait local
Pour comprendre les processus historique d’émergence des organisations professionnelles et interprofessionnelles, il convient d’abord de décrire rapidement les filières concernées.
Caractéristiques de la filière
Les marchés laitiers locaux au Sénégal sont structurés autour des pôles urbains et ruraux approvisionnés pour une grande partie par les systèmes pastoraux et agropastoraux selon trois circuits (Dièye, 2006).
Le circuit de vente directe est un circuit court portant en majorité sur la vente de lait caillé par les femmes mais également de lait frais. La proximité d’un centre urbain ou d’un marché en zone rurale est un facteur prépondérant dans le fonctionnement de ce circuit. Les produits laitiers sont vendus ou font l’objet de troc notamment dans les zones rurales où ils sont échangés contre des produits céréaliers.
Le circuit des colporteurs-collecteurs est un circuit long avec l’implication de divers acteurs. Il comprend une composante de commercialisation directe des produits auprès des consommateurs par le collecteur, après achat du lait sans transformation. Certains collecteurs transforment les produits, notamment le lait frais en lait caillé, ce qui leur permet ainsi d’élargir le rayon de collecte mais également de cibler des marchés d’approvisionnement plus éloignés.
Le troisième circuit est celui des laiteries, approvisionnées directement par des éleveurs et par leur propre production dans le cas d’une intégration ou bien par des collecteurs livreurs. Ce circuit porte sur l’utilisation du lait frais qui est ensuite transformé en caillé, fromages, beurre liquide, crème fraîche, produits lactés.
Historique et éléments déclencheurs
L’environnement institutionnel des filières laitières locales est caractérisé par la présence d’une diversité d’acteurs : ONG, projets de développement, entreprises privés, recherche. Les actions dominantes concernent l’amont de la filière, notamment l’amélioration de la production. La forte concurrence des importations et l’absence de politiques nationales cohérentes d’appui à la production et à la commercialisation du lait local ont contribué à la naissance des organisations professionnelles d’éleveurs, puis d’organisations interprofessionnelles. Cette dynamique suivit un développement en trois temps.
La première génération d’organisations professionnelles d’éleveurs a bénéficié d’un appui des services de l’Élevage. Cette structuration visait à accompagner l’expérience de la mise en place de fermes laitières dans la zone périurbaine de Dakar. De 1976 à 1982, le GIE COPLAIT fut mis en place dans le cadre d’un système de coopérative pour le développement de la production laitière dans la zone des Niayes.
La seconde génération de dynamiques organisationnelles fut initiée par des associations locales sous l’impulsion de la société civile. Cette structuration s’inscrivit dans le cadre d’actions de développement local incluant l’élevage et plus spécifiquement la production laitière. Ce fut le cas dans la zone sylvopastorale avec la mise en place de la Fédération des associations d’éleveurs du Djoloff (FBAJ) en 1992 appuyée par l’église luthérienne, l’Association pour le développement de Yang Yang et de Dodji (ADYD) en 1995, les femmes d’épicentre de Dahra appuyées par Hunger Project.
La troisième génération de structuration concerne la création d’organisations interprofessionnelles à partir 1997. Trois interprofessions furent mises en place avec l’appui de projets, de structures étatiques ou paraétatiques.
La Fédération des éleveurs indépendants et des transformateurs laitiers du Sénégal (FEITLS), mise en place en 1997, regroupe en majorité des transformateurs impliqués dans la valorisation du lait en poudre à Dakar. La Fédération nationale des acteurs de la filière lait local du Sénégal (FENAFILS), mise en place en 2002 avec l’appui de DYNA-Entreprises, regroupe les producteurs de l’Union des producteurs et préposés au rayon laitier (UPPRAL) de Dahra et des transformateurs de lait des autres régions.
Le comité interprofessionnel des acteurs de la filière lait local (CINAFIL) est la dernière-née des organisations interprofessionnelles laitières ; elle fut fondée en 2004 dans la zone cotonnière avec l’appui de la SODEFITEX.
Enfin, une dynamique nationale fut enclenchée autour de la mise en place dans chaque région des Maisons des éleveurs (MDE) et des Directoires régionaux des femmes en élevage (DIRFEL). Certaines de ces organisations jouent aujourd’hui un rôle dans la structuration de la filière laitière.
Typologie des organisations interprofessionnelles
Les organisations interprofessionnelles dans la filière lait peuvent être classées en trois groupes selon leur origine et la base de leur structuration.
Les actions collectives autour de la collecte Les dynamiques organisationnelles sectorielles et localisées dans les zones rurales.
C’est le cas des Groupements d’intérêt économique (GIE) et unions de GIE laitiers dans le cas des ceintures laitières périurbaines de la zone cotonnière mais également les fédérations et associations villageoises dans la zone de Dahra et de Linguère.
D’une action collective autour de la collecte, les organisations ont évolué vers la mise en place de cadres de concertation puis d’organisations interprofessionnelles.
Ces cadres sont des instances de négociation sur le prix mais également d’échanges sur les contraintes de la filière et les différentes solutions.
Une démarche locale de concertation : le cas du CINAFIL Dans le cas des ceintures laitières périurbaines en zone cotonnière, la structuration repose sur une importante dynamique d’action collective avec la coordination horizontale à travers les GIE et unions de GIE regroupant respectivement les producteurs des mêmes villages et des villages de la même zone géographique, l’intégration par la mise en place de cadres de concertation départementaux et d’une interprofession le CINAFIL.
Ces démarches locales d’organisation et de concertation se sont développées pour la plupart avec l’impulsion des structures d’encadrement (ONG, recherche, projets étatiques, sociétés de développement rural). Les stratégies mises en place concernent le développement de pôles de compétences en partenariat regroupant la recherche, la vulgarisation et les producteurs pour mieux appréhender la demande des acteurs et proposer des services pour le développement de la filière. L’expérience la plus originale est celle entreprise depuis 2000 en zone Sud du Sénégal dans les régions de Tambacounda et Kolda avec le pôle de services regroupant l’ISRA /CRZ Kolda, la SODEFITEX /Bamtaare, l’ONG VSF et les acteurs de la filière (producteurs, collecteurs/transporteurs, transformateurs).
Un positionnement national : le cas de la FENAFILS
Dans le cas de la Fédération nationale des acteurs de la filière lait local du Sénégal (FENAFILS), la stratégie organisationnelle a reposé sur le regroupement des acteurs de la filière local dans une structure fédératrice au niveau national.
La FENAFILS a ainsi été dans un premier temps mis en place par des acteurs individuels et des groupements avec un poids prépondérant des deux pôles constitués par l’UPPRAL et les transformateurs de lait de Kolda et Tambacounda.
Cette organisation s’est ensuite structurée par la mise en place des Fédérations régionales des acteurs de la filière lait local (FERAFIL).
Les dynamiques d’action collective dans la vente
Dans le cas du la FEITLS l’organisation a été impulsée par des acteurs de l’aval notamment les importateurs et les transformateurs de lait en poudre. Cette organisation prône des stratégies de complémentarité entre la filière lait local et la filière lait et produits laitiers importés.
Le positionnement de proximité par rapport aux marchés urbains et sur la commercialisation du lait en poudre donne à cette organisation une position de sensibilité de ses revendications par les pouvoirs publics.
Cependant, cette capacité de lobbying est plus renforcée du fait des convergences d’intérêt avec le secteur industriel plus présent dans la transformation du lait en poudre et les importations des produits laitiers.
Les actions collectives sectorielles
L’État a accompagné la structuration des producteurs avec la création des maisons des éleveurs (MDE) au niveau des différentes régions ainsi le Directoire national des femmes en élevage (DINFEL) et ses démembrements avec les 11 Directoires régionaux des femmes en élevage.
Dans le secteur laitier, le DINFEL intervient dans la promotion de la filière, l’intermédiation pour la recherche de financement, mais également dans la recherche de débouchés pour les produits à travers la contractualisation avec les producteurs.
Fonctionnement des interprofessions et rôle dans la régulation de la filière
Dans le secteur laitier, l’intermédiation privée plus récente fait suite à la libéralisation des services avec les politiques d’ajustement structurel. Les organisations interprofessionnelles abordent les questions de régulation des filières suivant quatre angles : la gestion de l’offre, la négociation des prix, la gestion de la qualité, le lobbying et le plaidoyer. Les interventions sont très fortement concentrées sur le plaidoyer pour des politiques de développement de la filière.
La gestion de l’offre
La gestion de l’offre est traitée du point de vue de la sécurisation des approvisionnements et des débouchés. Cette question abordée par les organisations interprofessionnelles laitières à travers l’accès aux intrants, l’accès aux différents marchés, l’accès aux crédits et les investissements à mettre en place par l’État pour le développement de la filière. La question de la gestion de l’offre est au cœur de la problématique d’élaboration du plan national de développement laitier. En effet, du point de vue des mécanismes de régulation, les OIP comme la FENAFILS s et le CINAFIL posent le problème en termes de taxation ou non des filières importées pour protéger la filière lait local. Tandis que pour une organisation comme la FEITLS, la gestion de l’offre doit être basée sur la complémentarité entre les filières d’importation et les filières locales.
Le cas du lait est l’exemple qui pose le plus la complexité des questions de régulation. La problématique réside ici entre la protection d’un secteur domestique ou favoriser l’approvisionnement des consommateurs. Les mécanismes de régulation par la gestion de l’offre en faveur de la production locale, bien que posés par les OIP, sont difficiles à mettre en œuvre du fait de l’importance du déficit structurel de l’offre.
La négociation sur les prix
Les négociations sur le prix du lait local se font surtout à un niveau local. Dans le cas de la CINAFIL, les cadres départementaux de concertation servent d’instances de fixation des prix en saison sèche et en hivernage. Au niveau national, le recours à des mécanismes de régulation par les prix est récent. Elle concerne les produits laitiers importés et fait suite à la hausse des prix à la consommation. Les mesures qui ont été mises en place à travers le conseil de la consommation concernent la suspension temporaire de la tv a sur les produits laitiers importés en vue d’atténuer la répercussion sur les prix intérieurs. Il faut noter que cette mesure est plus conjoncturelle et ne s’inscrit pas dans le cadre de politiques de régulation visant un approvisionnement du marché sur le long terme. Ces mesures émanant de l’État au moment de l’élaboration du programme national de développement laitier traduisent ainsi la complexité des enjeux ainsi des types d’arbitrages concernant le fonctionnement des filières. Les politiques de régulation font intervenir des jeux d’acteurs qui peuvent certes obéir à des logiques économiques mais également sociopolitiques. Dans le cas des filières laitières locales, les organisations interprofessionnelles ne sont pas cependant outillées pour appréhender le fonctionnement de ces marchés surtout du point de vue de la collecte et de la gestion de l’information.
La gestion de la qualité
Les questions de qualité ne sont pas abordées du point de vue des normes et réglementations en vigueur mais beaucoup plus du point de vue de l’amélioration des conditions de production, de collecte, de transformation et de commercialisation. Ainsi, dans leurs axes d’intervention, les différentes OIP insistent plus sur le renforcement des capacités des membres à travers la formation et l’amélioration des conditions de travail par l’accès à des équipements.
Une démarche originale qui a été portée par la FENAFILS sous l’impulsion du gr e t et en partenariat avec les différentes structures intervenant dans la filière a été l’élaboration d’un guide de bonnes pratiques en matière d’hygiène. Pour les OIP comme le CINAFIL et la FENAFILS, cette étape est préliminaire à une démarche de construction collective de la qualité et de labellisation des produits laitiers locaux (Broutin et al., 2005 et 2006).
Le lobbying et le plaidoyer
Le plaidoyer occupe une place importante dans les actions des différentes organisations. Les instances de concertation regroupant les OIP, les structures d’appui conseil, les on g et la recherche ont fortement contribué à la production d’argumentaires sur le rôle de l’État dans le développement de la filière. Les plaidoyers sont relatifs à l’application de la législation sanitaire et la réglementation sur la qualité du lait et des produits laitiers, la prise en compte de la spécificité des produits laitiers locaux, les incitations pour l’appui à l’investissement et au financement de la filière, la régulation des prix pour réduire la forte concurrence par les produits laitiers importés.
Conclusion : quelles perspectives avec la LOASP ?
Les organisations interprofessionnelles laitières dans leurs objectifs et leurs axes stratégiques sont fortement préoccupées par les questions de régulation de la filière. Ces structures organisationnelles sont cependant limitées par le faible niveau d’intervention au niveau des marchés tant du point de vue de la connaissance des marchés, des informations sur les produits et les prix, des stratégies de vente et de promotion des produits. En effet, les organisations ne disposent pas d’autonomie financière mais également des ressources humaines permettant de réaliser les différents objectifs prévus dans leur plan stratégique. Les activités réalisées sont ainsi fortement influencées par les opportunités de financement.
Une autre limite est liée à la composition de ces organisations. Les organisationnelles interprofessionnelles regroupent essentiellement les producteurs et les petites entreprises de transformation artisanale. La non présence des structures industrielles constituent une limité importante du fait de leur poids économique mais également de leur capacité de lobbying. D’autres acteurs, notamment les provendiers ainsi que les vendeurs de matériels et d’équipements, jouent également un rôle déterminant dans le fonctionnement de la filière.
Dans le cas du lait, la consolidation des organisations interprofessionnelles ne peut se substituer entièrement aux interventions de l’État dans la consolidation de la structuration de la filière. Les OIP ne peuvent pas au stade actuel de leur niveau d’organisation et de structuration prendre en charge des questions aussi stratégiques que la gestion de la qualité, la gestion de l’offre ainsi que la génération de l’information et sa transmission aux acteurs de la filière. Le transfert de compétences doit être accompagné par la mise en place d’un cadre d’accès à des services pour les acteurs de la filière. La stratégie devrait porter sur la mise en place d’un cadre national de concertation comme instances d’échanges sur les orientations politiques, les questions d’intérêt national comme let des cadres de concertation locaux.
Papa Nouhine Dièye
Docteur vétérinaire, Docteur en agroéconomie et
ancien chef de l’ISRA –BAME
pndieye@yahoo.fr ; pdieye@usaid.gov
Source : Duteurtre G. et Dieye P.N. (coord.), 2008 : « Les
organisations interprofessionnelles agricoles au Sénégal :
de nouveaux outils de régulation des marchés ? », Bureau
d’analyses macro-économiques de l’Institut sénégalais de
recherches agricoles (ISRA -BAME), Dakar, 192 p.