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Togo : la valeur nutritive de quelques légumineuses mineures

Selon la FAO, plus de 850 millions de personnes souffrent de sous-alimentation dans le monde en 2002. En Afrique subsaharienne, le problème de l’alimentation se pose en termes de quantité et de qualité pour plus du tiers de la population. Face à cette situation, il a été suggéré que la diversité des plantes alimentaires dont regorgent les pays africains soit une source de solutions. D’où la pertinence d’étudier des espèces aux valeurs nutritives importantes au Togo.

On remarque malheureusement qu’une grande part des légumineuses est sous-exploitée, voire négligée (Padulosi & Hoeschle-Zeledon, 2004). C’est le cas au Togo où beaucoup de plantes alimentaires sont progressivement abandonnées sans que leur potentialité nutritive soit évaluée (Batawila et al., 2005 ; Akpagana, 2006).
Ces ressources utilisées dans l’alimentation humaine sont ainsi menacées de disparition (Padulosi, 2006).Les études de Bilabina (1991) et de Amouzou et al. (2006) ont montré que le potentiel nutritionnel des plantes négligées peut permettre de résoudre les carences alimentaires et la malnutrition. Elles peuvent ainsi servir de ressources inestimables pour l’industrie agroalimentaire et pharmaceutique.

Pour contribuer à une meilleure valorisation des plantes alimentaires mineures, le potentiel nutrition/santé de quelques espèces de légumineuses a été évalué sur la base de leur composition protéique et de leur teneur en polyphénols totaux. L’intérêt porté à ces deux composants trouve sa place dans un contexte actuel marqué par l’émergence et la persistance de maladies difficiles à soigner. Carbonaro (2006), travaillant sur Phaseolus vulgaris, a prouvé que les sous-unités protéiques globulines sont très riches en acides aminés essentiels. Certains de ces acides aminés essentiels, notamment la phaséoline, sont utilisés comme compléments alimentaires qui bloquent certains glucides tout en étant complètement absorbés par l’organisme (Bo-Linn et Al, 1982 ; Moreno & Chrispeels, 2006).

Les polyphénols sont aussi reconnus pour leur pouvoir anti-oxydant nécessaire pour lutter contre la destruction prématurée des cellules de l’organisme humain. Les graines des « variétés locales » (l’appellation variété locale est fondée sur les noms de ces plantes en langues locales et sur leurs caractéristiques morphologiques) de légumineuses alimentaires mineures du Togo contiendraient-elles ces substances ? C’est à cette question que tente de répondre la présente étude. Ainsi, dans un contexte global où très peu d’études existent sur l’approche biochimique et nutritionnel de ces genres d’espèces, on pourra ainsi essayer de combler cette lacune et permettre une meilleure connaissance de ces espèces qualifiées de mineures, rares ou menacées de disparition.

Méthodes et matériels

Treize variétés locales de graines de légumineuses alimentaires mineures ont été utilisées dans cette étude. Elles ont été récoltées dans les zones écologiques I, II, III et V du pays (Ern, 1979).
La zone I est celle des plaines du Nord. Elle est essentiellement couverte de savanes à Acacia. Son climat est de type soudanien à deux saisons avec 800 à 1 000 mm de pluie par an sur six mois. Les Moba y forment
le groupe ethnique dominant. On y cultive surtout le mil et le niébé. La zone II des montagnes du Nord est influencée par un climat soudanien de montagnes plus humide.
Elle est peuplée de Kabyè et de Kotokoli et est caractérisée par des savanes et des forêts sèches à Isoberlinia spp. L’agriculture dans cette zone reste semblable à celle de la zone I avec cependant la dominance de la production du fonio.
La zone III des plaines de l’Est représente le sanctuaire d’une agriculture fondée essentiellement sur le maïs et l’igname. C’est une zone de savanes guinéennes traversée par des galeries forestières et peuplée essentiellement par les Ifè et les Adja. Dans cette zone comme dans les autres, on cultive encore dans les champs quelques pieds de Cajanus cajan.

La zone V des plaines côtières du Sud Togo correspond à une mosaïque de cultures, de jachères, de savanes dans laquelle sont parsemées des reliques de forêts qui sont en majorité des bois sacrés. Le climat est de type guinéen . Les Ewé y sont dominants. C’est une population essentiellement rurale ayant un taux de croissance annuel d’environ 3%. Deux autres variétés de niébé (Vigna unguiculata L.), l’une achetée sur le marché local et l’autre sur le marché occidental, ont été retenues comme témoin.
Les graines ont été réduites en farine à l’aide d’un vibro-broyeur MM301 (Tissulyser
Retsch QiagenTM) à raison de 30 vibrations/seconde pendant 2 x 1 min.
La teneur totale en azote des échantillons a été dosée avec un analyseur d’azote. Une gamme de calibration a été faite avec le dl-dithiothreitol electrophoresis (DDT) et le saccharose. Des quantités de farine d’échantillon sont pesées à l’aide d’une balance ultrasensible avec transmission des poids sur un ordinateur. La farine pesée est ensuite introduite dans l’analyseur d’azote.

Après combustion, les teneurs en protéines totales sont données sous forme de pourcentage de protéines et d’azote. Toutes les valeurs sont données par rapport au facteur protéique 5.7 des céréales. Ces valeurs de protéines sont ensuite corrigées par le facteur 6.25 par rapport aux légumineuses.
Une solution d’extraction constituée de 1 g de sodium n-dodecylsulfate et 0.5 g de dldithiothreitol electrophoresis dans 50 ml de la solution tampon [H2NaO4P (0.2 M) + HNa2O4P ; pH 6.9] a été d’abord préparée. 500 µl de la solution ont été ajoutés à 20 mg de farine d’échantillon et le mélange placé au bain-marie à 60 °C pendant 1 heure, tout en assurant une homogénéisation au vortex, toutes les 15 min. La solubilisation des échantillons est achevée par des ultrasons pendant 15 secondes. Le contenu des tubes est alors centrifugé à 12 500 rpm pendant 15 mn à 25 °C et le surnageant qui contient les protéines solubilisées est prélevé pour l’analyse des fractions protéiques.

L’extraction de la phaséoline a été réalisée suivant le protocole décrit par Vargas et al, (2000). C’est-à-dire à partir de 200 mg de farine dispersée dans 1 ml de la solution d’extraction constituée de NaCl (0.5M) et d’acide ascorbique (0.25M), au pH 2,4. Le mélange est incubé à l’obscurité en agitation pendant 1 heure. Après centrifugation (20 mn à 17 000 rpm) du lysat, le surnageant est recueilli dans un tube de 10 ml et le culot soumis à une nouvelle extraction. Après la dernière centrifugation, un volume d’eau (5 x volume de l’extrait) à 4 °C est ajouté au tube. Les tubes sont incubés à l’obscurité pendant 30 mn à 4 °C. Après centrifugation (17 000 rpm, 20 mn), 100 µl de NaCl 0.5 M sont ajoutés au culot (phaséoline). La phaséoline ainsi extraite est alors solubilisée et une aliquote est prélevée pour le dosage colorimétrique à l’aide du coffret BC Essay Kit. La méthode de Folin Ciocalteu modifiée (Kleiber, 1990) a été mise à contribution.
Les différents résultats obtenus ont été traités manuellement et par Microsoft Excel. Les valeurs présentées représentent les moyennes des mesures réalisées en triplicata contre écart type. Les analyses statistiques ont été réalisées à l’aide du logiciel JMP.

Richesse des plantes

Outre les études antérieures qui ont montré la richesse de certaines plantes alimentaires mineures du Togo en oligoéléments, en sels minéraux et en vitamines (Amouzou et Al, 2006), la présente montre que certaines autres sont riches en phaséoline et en polyphénols. Ces composés sont utiles non seulement sur le plan alimentaire, mais aussi pour prévenir certaines maladies.

Certes, les teneurs de ces composés sont hétérogènes. En ce qui est de la phaséoline, les observations confirment ainsi celles de Vargas et al. (2000) et de Baudoin et al. (2004) qui ont montré que la teneur en phaséoline des échantillons varie suivant les espèces, voire les zones de récoltes.

La détermination de protéines (notamment la phaséoline) et de polyphénols est un argument en faveur de la préservation de ces espèces alimentaires locales mineures. Gepts (1990) a montré que les globulines constituent l’essentiel des protéines de réserves chez les légumes secs. Or, la phaséoline est la composante principale des globulines (Staswick et Al, 1986 ; Pusztai & Watt, 1970 ; Gepts et al., 1992 ; Alli et al., 1993).

Toutes les variétés locales étudiées sont riches en protéines diverses. À cet égard, on peut donc s’interroger sur l’abandon de ces espèces par les consommateurs et les producteurs (Akpavi, 2006). Les variétés riches en sous-unités lourdes (protéines collantes) donnent des pâtes difficiles à digérer, alors que celles qui sont riches en sous-unités légères (protéines gonflantes donnant des pâtes floconneuses) sont très appréciées pour la consommation.
Les deux variétés de M. geocarpa, les trois variétés de S. stenocarpa et les variétés 1 et 2 de C. cajan contiennent une fraction importante de sous-unités lourdes, ce qui explique le fait que la consommation des galettes faites à base de M. geocarpa ou de S. stenocarpa permette aux populations consommatrices de supporter les périodes de soudure (Akpagana, 2006).

Consommation

Cependant, au regard de leur composition en sous-unités lourdes, ces galettes sont moins digestes réduisant ainsi l’appréciation des populations. Leur consommation est de moins en moins appréciée surtout en milieu urbain et par les jeunes ruraux. Des techniques culinaires améliorées pourraient permettre de lever cet obstacle. La phaséoline est connue pour ses effets amaigrissants.

En effet, elle inhibe l’amylase, minimisant ainsi le stockage d’énergie issue de l’hydrolyse de l’amidon (Marshall & Lauda, 1975 ; Layer et al., 1985 ; Layer et al., 1986 ; Boivin et al., 1987 ; Kotaru et al.,1987 ; Moreno et al., 1990 ; Grossi de Sa et al., 1997). Cette énergie supplémentaire serait à l’origine de prédispositions à l’obésité et au diabète (Boivin et Al, 1987). Par ailleurs, les sous-unités protéiques globulines des légumes secs sont très riches en acides aminés essentiels (Carbonaro, 2006).

Toutes les valeurs obtenues dans le cadre de cette étude, restent
certes inférieures à celles de Ma & Bliss (1978) (93,3 à 129,4 mg/g) ; mais elles sont significativement supérieures à celles de Vargas et al. (2000) (3.2 ± 0.9 mg/g pour P. lunatus). L’exploitation des polyphénols contenus dans ces échantillons peut aussi assurer leur maintien et leur promotion au niveau des consommateurs.

En effet, les polyphénols sont des anti-oxydants qui protègent les cellules humaines contre les oxydations en minimisant ainsi leur destruction prématurée et les rides corporels (Oomah et Al, 2006).
L’implication de ces plantes alimentaires dans les recettes alimentaires est à encourager. Toutefois des travaux complémentaires seraient nécessaires pour déterminer les constituants de ce groupe chimique ainsi que le pouvoir anti-oxydant de chaque variété locale.


Seêmihinva Akpavi , Abalo Chango , Koffi Tozo , Kou’santa Amouzou ,
Komlan Batawila , Kpéikouma Wala , Koffi Apeti Gbogbo , Majouma Kanda , Komi
Kossi-Titrikou , Hadyatou Dantsey-Barry , Lydia Talleux , Innocent Butaré , Philippe

Bouchet & Koffi Akpagana (2008) Valeur nutrition/santé de quelques espèces de
Légumineuses alimentaires mineures au Togo, Acta Botanica Gallica, 155:3, 403-414, DOI :
10.1080/12538078.2008.1051612
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