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Editorial : Négligence coupable

Des statistiques récentes publiées par le Programme Alimentaire Mondial montrent que 794 millions de personnes souffrent de la faim dans le monde. Le quart de cette population vit en Afrique.

Ce tableau alarmant incite certes les pouvoirs publics à mobiliser des ressources pour des actions d’urgence ou des politiques agricoles orientées vers le tout production, mais il devrait pousser davantage à une remise en cause des options relatives à la promotion de l’agriculture.

De quoi ont-elles faim ? La question parait triviale mais mérite d’être posée ! La réponse fait germer une brève énumération de céréales : le riz, le blé, le maïs, le mil, le sorgho et diverses autres céréales constituant une infime partie de l’énorme potentiel d’aliments accessibles à l’homme. Ceci est le résultat d’habitudes alimentaires presque uniformisées et réductrices. De facto, plusieurs autres sources de nourriture sont négligées. Certaines sont méconnues par conséquent sous-utilisées, parce qu’elles n’ont pas intéressé les chercheurs d’aujourd’hui.

Il s’y ajoute qu’assez souvent, les gouvernements ne cherchent pas loin lorsqu’il s’agit de trouver des vivres de soudure pour palier l’insécurité alimentaire. Le Programme de Développement Durable de l’Agriculture en Afrique n’accorde guère une place à la diversification de la production agricole à partir des espèces locales susceptibles de contribuer à la satisfaction de la demande alimentaire.

De même, la Banque Africaine de Développement vient d’adopter une « stratégie de transformation de l’agriculture africaine » avec l’objectif d’arriver à un « secteur agroalimentaire compétitif et inclusif », sans indiquer la moindre orientation pour profiter des espèces encore sous-utilisées parce que négligées. Comme on le voit, on s’accommode de l’uniformisation des habitudes alimentaires à l’échelle globale. Et cela fait les choux gras des industries de production agricole et réduit les petits exploitants et les communautés de base à une dépendance alimentaire.

Production agricole et résilience

Des organisations qui œuvrent pour le développement endogène en Afrique n’ont cessé de sensibiliser sur l’intérêt du consommer local parce que les vertus des produits locaux sont si méconnues qu’ils ne trouvent pas assez de producteurs et de consommateurs. Malgré les succès notés dans les boissons ces dernières années, le consommer local reste encore plus qu’un slogan qu’une réalité.

Dans le contexte du changement climatique, les stratégies de résilience devraient prendre en compte la nécessité d’approfondir les connaissances des espèces négligées et sous-utilisées. Les multiples inconnus qui caractérisent de telles variétés devraient justifier un déploiement ambitieux de ressources vers la recherche et leur valorisation. Il y va la sécurité alimentaire durable des communautés et l’alimentation des populations sera plus équilibrée. Cela engendrerait également moins de pression sur les terres et les espèces déjà surutilisées. A ce propos, la piste des légumineuses ne devrait pas être ignorée.

En dépit de leur valeur nutritionnelle, les légumineuses sont souvent méconnues et peu consommées par endroits. Pourtant, elles constituent une forte et réelle opportunité d’élargir l’offre alimentaire et d’enrichir les assiettes. Et puis leurs conditions de production sont moins exigeantes. Selon les écosystèmes et les habitudes de consommation en vigueur dans une région, il existe toujours une variété endogène adaptée et apte à contribuer à la sécurité alimentaire si elle est bien valorisée. Malheureusement, peu d’entre elles le sont et à des degrés très différents.

2016 : Année Internationale des Légumineuses

Le Fonds Mondial pour l’Alimentation et l’Agriculture (FAO) a fait de 2016 l’Année Internationale des Légumineuses. L’objectif recherché est de sensibiliser la population mondiale de l’intérêt de ces espèces. Ainsi, tous les acteurs se mobilisent pour expliquer au consommateur les vertus de telles variétés.

A travers ce numéro de la revue AGRIDAPE, nous contribuons à la campagne de plaidoyer pour la valorisation de ces variétés lancée au niveau international. Cette édition du magazine met en relief plusieurs espèces végétales négligées et ou sous-utilisées en Afrique. En la matière, le potentiel est énorme mais les politiques de promotion ne suivent pas.
A titre d’exemple, il est prouvé au Sénégal et dans certains pays ouest-africains que le fonio peut réduire la grande consommation de riz. L’alimentation des populations en serait plus diversifiée et les balances des paiements de nos Etats s’en porteraient mieux. Des chercheurs en appellent ainsi à une production et à une consommation à grande échelle.

La zone sahélienne de l’Afrique occidentale peut promouvoir la culture du niébé pour enrichir l’alimentation des populations vulnérables. Le Burkina Faso est dans cette dynamique. Par ailleurs, la FAO a minutieusement étudié la situation de cette légumineuse sèche traditionnellement cultivée au Sénégal et dans les pays limitrophes. D’ailleurs, une enquête sur la production alimentaire en zone semi-aride a poussé des chercheurs à recommander la consommation des légumineuses comme le niébé.
De son côté, le Bénin découvre une panoplie d’espèces aux potentialités nutritionnelles particulières mais qui sont négligées par les acteurs.

Au Togo voisin, des chercheurs ont prouvé des capacités de certaines espèces non ou sous-utilisées à renforcer le système alimentaire local. L’engagement des chercheurs en faveur de ces espèces est aussi visible en Afrique centrale. Au Cameroun, ils nous font découvrir les secrets du haricot-tubercule. Dans ce pays, des produits comme le taro et le macabo pourraient aussi stimuler la croissance agricole.
Les travaux relativement anciens montrent que la recherche n’a pas toujours été indifférente aux légumineuses et autres variétés riches en nutriments et peu consommées.

Les documents électroniques et les organisations internationales en ont fait également une préoccupation. Encore une fois, leur objectif est d’attirer une attention particulière des décideurs par rapport à ces espèces. Leur inertie et leur indifférence les culpabilisent davantage au regard de la situation de la sécurité alimentaire qui interpelle plus que jamais les Etats et la communauté internationale. Surtout que les options stratégiques prises il y a des décennies ont fini de prouver leurs limites, car l’autosuffisance alimentaire qui est visée demeure toujours un grand défi.
Aujourd’hui, les découvertes des chercheurs offrent une réelle opportunité de changer de cap. Et durablement !