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Le fonio, une céréale africaine de demain

Les espèces alimentaires négligées et sous-utilisées jouent un rôle crucial dans la lutte contre la faim et la sécurité alimentaire de millions d’êtres humains à travers le monde. Elles représentent une ressource essentielle pour le développement agricole et la lutte contre la pauvreté, surtout dans les régions rurales. C’est le cas du fonio (Digitaria exilis, Staff), une céréale africaine de la famille des graminées qui, malgré son potentiel tant sur le plan agronomique que nutritionnel, reste très peu connu et exploité.

Le fonio est une céréale dite « vêtue » dont le grain, après battage, reste entouré de glumes et de glumelles comme le riz. Ce produit est appelé « fonio paddy » ou « fonio brut ». Le fonio est bien plus petit que les autres céréales habituellement cultivées. Le grain paddy, de forme ovoïde, ne mesure en effet que 1 à 1,5 mm de longueur. La masse de 1000 grains de fonio est d’environ 0,5 g. A titre de comparaison, 1000 grains de maïs, de sorgho ou de riz peuvent peser respectivement 330 g, 27 g et 22 g (Affokpe, 2013).

Cette très petite taille du grain rendait autrefois les opérations de transformation longues et pénibles pour les femmes. Cette difficulté de transformation a longtemps réduit le fonio à l’état de céréale marginale. Mais aujourd’hui, des recherches ont permis de mécaniser plusieurs étapes de sa transformation pour mieux le valoriser sur les marchés urbains, où il est particulièrement apprécié. Ces améliorations portent notamment sur le vannage et le décorticage du fonio.

L’aire de culture du fonio s’étend du Sénégal au Lac Tchad, mais c’est surtout en Guinée, dans les régions montagneuses du Fouta Djalon, qu’il constitue l’une des bases de l’alimentation des populations. On le rencontre également au Mali, au Burkina Faso, en Côte d’Ivoire, au Nigeria, au Sénégal, au Niger, au Bénin, au Togo et en Guinée- Bissau.

En 2012, la production du fonio avoisinait 600 000 tonnes (FAOSTAT, 2012), ce qui permettait d’assurer l’alimentation de plusieurs millions d’êtres humains durant les mois les plus difficiles du point de vue des ressources alimentaires. Les rendements sont relativement faibles (600 à 700 kg/ha) en comparaison avec les autres céréales. Cependant, l’application suffisante de fumure organique et un désherbage plus récurrent accroissent le rendement moyen du fonio à 700-800 kg/ha voire 1t/ha (Vall et al, 2011).

Une céréale adaptée aux défis climatiques

Le fonio est généralement cultivé sur des terres légères, sableuses ou caillouteuses, car il est peu exigeant et s’accommode de sols pauvres ou des mauvais terrains notamment pour les variétés tardives (Cruz, 2004). Cette petite plante est très rustique et résiste bien à la sécheresse et aux fortes pluies et de ce fait est parfaitement adaptée au contexte du changement climatique et des défis environnementaux.

Selon les variétés, le cycle cultural varie de 70 à 150 jours et celles à cycle très court (70 à 85 jours) permettent des récoltes précoces assurant ainsi la soudure jusqu’à la récolte d’autres productions (Cruz 2004). Ainsi, pendant les quelques mois critiques de « soudure », le fonio devient alors « la graine de vie », et permet d’assurer une transition alimentaire vitale pour les populations lorsque les autres céréales sont encore immatures et que les réserves de l’année précédente sont épuisées. Le changement climatique affecte le rendement et donc la disponibilité des céréales majeures pour assurer la sécurité alimentaire.

Richesse de la céréale

Le fonio, qui a longtemps été considéré comme une céréale mineure, la « céréale du pauvre », connaît aujourd’hui un regain d’intérêt en zone urbaine en raison des qualités gustatives et nutritionnelles que lui reconnaissent les consommateurs.
La composition du fonio est globalement voisine de celle des autres céréales et plus particulièrement du riz. Des études histologiques ont montré que le grain de fonio, comme celui de toutes les autres céréales, possède un germe qui contient l’essentiel des réserves lipidiques et un albumen riche en réserves amylacées ; les protéines étant surtout concentrées à la périphérie au niveau de la couche à aleurone avec un gradient de concentration décroissant vers le centre.

Par rapport aux autres céréales, le fonio est moins riche en protéines, mais il est réputé pour ses fortes teneurs en acides aminés indispensables comme la méthionine et la cystine. Le fonio est habituellement consommé sous forme de couscous ou de bouillie, mais de nombreuses autres préparations culinaires sont possibles (salades, gâteaux, beignets…).

Le fonio est une denrée très appréciée au plan culinaire et diététique. Réputée comme une céréale très savoureuse, sa finesse et ses qualités gustatives en font un mets de choix toujours servi lors de fêtes ou de cérémonies importantes.
Très digeste, il est traditionnellement recommandé pour l’alimentation des enfants, des personnes âgées et des personnes souffrant de diabète ou d’ulcère. En pharmacopée locale, il est également utilisé dans les régimes amaigrissants pour traiter les cas d’obésité.

Céréale de demain

Selon le dernier rapport de la FAO sur « L’état de l’insécurité alimentaire dans le monde (SOFI, 2015) », 795 millions de personnes dans le monde, soit près d’une personne sur huit, souffraient et souffriraient de faim chronique entre 2014-2016, c’est-à-dire qu’elles ne recevaient pas assez de nourriture de façon régulière pour mener une vie active.
Pour la grande majorité, ces personnes vivent dans des régions en développement notamment en Afrique subsaharienne où la prévalence de la sous-alimentation est estimée à 23, 2 % de la population, soit plus de 220 millions de personnes. L’insécurité alimentaire est l’un des principaux risques associés aux effets pervers des changements climatiques.

La perturbation ou le déclin des approvisionnements alimentaires aux niveaux mondial et local dus aux changements climatiques peuvent être compensés par le développement de variétés de plantes adaptées à des conditions climatiques changeantes. En cette Année internationale des sols (IYS), les stratégies d’adaptation aux changements climatiques impliquent sans doute la valorisation des espèces culturales négligées, surtout quand elles présentent des potentialités agronomiques, technologiques et nutritionnelles avérées. Dans ce contexte, une culture comme le fonio devrait compter pour l’Afrique de demain.

Le décorticage du fonio : de l’ombre à la lumière !

Le décorticage du fonio se faisait autrefois (et même dans certaines régions aujourd’hui encore, exemple de la région de Korontière au Bénin) au mortier et au pilon. Les femmes devraient procéder à trois ou quatre pilages successifs avant de disposer du fonio pour leur préparation.
Il ne faut pas oublier l’étape tout aussi harassante du lavage compte tenu de la présence inéluctable de sable dans les grains ; certaines femmes ajoutant même, au cours du pilage, le sable comme abrasif pour faciliter l’élimination des enveloppes protectrices. C’est cette pénibilité de la transformation artisanale qui a longtemps freiné la valorisation du fonio, qui pourtant est la plus ancienne céréale connue en Afrique de l’Ouest.

Heureusement les chercheurs veillaient au « grain » et opinaient sur les améliorations techniques et technologiques en vue de faciliter la transformation du fonio. Et le premier éclair de génie est venu du Sénégal. En 1993, le professeur Sanoussi Diakité a mis au point la première décortiqueuse spéciale pour le fonio.
Cette décortiqueuse nommée du nom de son concepteur (Décortiqueuse SANOUSSI) a permis de réduire de façon considérable le temps de travail des femmes car elle était capable de traiter 5 kg de fonio en 8 minutes (comparé au décorticage manuel 2h de temps pour 2.5 kg) avec un taux de décorticage-blanchiment de 99%, un rendement moyen de 65% et un taux de brisure de 1%. Cela permit alors d’améliorer le niveau de transformation et de mise en marché du fonio.
Cette innovation a valu à son créateur plusieurs récompenses tant nationales qu’internationales dont voici quelques-unes :
• le Grand prix du Salon africain et de l’innovation, en 1997
• Tech Awards des Etats-Unis en 2008
• Prix de l’innovation sociale à l’occasion de l’édition 2013 du Prix de l’innovation pour l’Afrique (PIA)

Notons par ailleurs que l’invention est actuellement brevetée à l’Organisation Africaine de la Propriété intellectuelle (OAPI).
Dans cette même dynamique, un projet d’amélioration des technologies post-récolte du fonio a été financé par le Common Fund for Commodities de 1999 à 2004. Placé sous l’égide de la FAO, ce projet régional a associé les instituts nationaux de recherche du Mali, de la Guinée, du Burkina (IRSAT, et le CIRAD qui a été l’agence d’exécution.

Les études techniques ont abouti à la mise au point d’une décortiqueuse-blanchisseuse « GMBF » (Guinée, Mali, Burkina Faso, France), de type « engelberg » adaptée aux dimensions et aux particularités du grain de fonio.
Cette décortiqueuse est équipée d’un canal de vannage qui permet l’aspiration des sons à la sortie des grains. Les performances obtenues sont encore meilleures, tant en matière de débit (100-120 kg/h), qu’en terme de rendement au décorticage (66-72%) et de qualité de décorticage. Le taux de paddy ne dépasse pas 0,5%, le taux de brisures 5% et le taux de dégermage est voisin de celui obtenu avec le pilon.

Pour accompagner cette décortiqueuse, il a été également mis au point un crible rotatif manuel court (CRMC) afin d’éliminer les impuretés plus grosses ou plus petites que les grains à calibrer avant le décorticage. Le débit de cette cible est de 150 kg de fonio par heure.

Autrefois très fastidieuse, le décorticage du fonio est largement facilité par les nombreux équipements mis au point par la recherche. Il est progressivement passé de l’ombre à la lumière et le fonio pourra dorénavant tenir toute la place qui lui revient dans le quotidien des peuples Ouest-africains.

Christian Affokpe

Ingénieur de conception en technologie alimentaire au Bénin
Articles publiés le 31 août 2015 et le 10 septembre 2015
http://sovide.mondoblog.org/2015/08/31/fonio-cereale-afrique/

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