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Le taro et le macabo : une production entre les mains des femmes

L’Afrique est l’un des plus grands producteurs d’aracées, bien qu’il ne soit pas facile d’établir des chiffres fiables. La production de taro était en 1998 de 8,5 millions de tonnes. A l’instar de la patate douce, les aracées jouent en Afrique un rôle important dans la sécurité alimentaire en tant qu’aliment de réserve.

Les aracées ou aroïdées sont une famille de plantes qui rassemble divers tubercules comestibles tels que Colocasia esculenta, Xanthosoma sagittifolium et d’autres tubercules d’importance mineure. Il n’y a pas ici de terminologie vulgaire sans équivoque. Souvent, le terme « taro » est utilisé, soit pour désigner n’importe quelle aracée, soit uniquement pour désigner Colocasia.

Xanthosoma est appelé macabo et, surtout dans la littérature anglophone, cocoyam ou tannia. Parfois, cocoyam est utilisé pour Colocasia qui est également appelée dasheen. Afin d’éviter toute confusion, le nom « taro » sera exclusivement utilisé dans ce chapitre pour Colocasia esculenta, et « macabo » pour Xanthosoma sagittifolium.

Le taro, qui vient de Polynésie, a été introduit sur le continent africain via l’Egypte, où il est déjà mentionné aux environs de la naissance de Jésus-Christ. Le macabo a été introduit à partir des Antilles au début du 19e siècle. Les tubercules et - à un moindre degré - les feuilles du taro et du macabo sont surtout consommés à l’état frais. Dans les conditions de température élevée des zones de production, les tubercules sont assez périssables et ne peuvent être conservées que pour une période d’environ un mois.

Les pertes physiologiques et diverses pourritures constituent les principaux facteurs de perte d’après-récolte des tubercules d’aracées. En dehors du séchage très peu pratiqué, il n’y a pas de transformation du taro ou du macabo en Afrique. Le potentiel futur de ces tubercules est difficile à prévoir, mais selon certains indicateurs, ils resteront dans un proche avenir des aliments de réserve.

Eléments distinctifs

A première vue, le taro et le macabo sont assez semblables. Pourtant, il y a des caractéristiques nettement visibles qui permettent de les distinguer facilement. Le taro atteint une hauteur d’un à deux mètres et possède des feuilles larges, avec de longues pétioles sortant d’un verticille.

Les feuilles sont longues de 20 à 50 cm, peltées, oblong-ovées avec des lobes basaux arrondis. Le tubercule a une forme cylindrique d’une longueur d’environ 30 cm et un diamètre d’environ 15 cm. Les tubercules latéraux sont petits et peu nombreux.

Le macabo est une plante plus forte que le taro et elle peut dépasser 2 m de haut. Elle possède une tige relativement courte, laquelle porte des feuilles larges sur des pétioles fortes d’un mètre ou plus. Les feuilles, sagittées ou hastées, sont fixées à la base de leur sinus profond et ont entre 50 et 75 cm de long. Les lobes basaux sont triangulaires. Le tubercule, qui a une longueur d’environ 15 à 25 cm, est plus large vers l’apex (côté tourné vers le sol). Les tubercules latéraux sont produits par quantités de 10 ou plus (d’après Onwueme, 1978 et Purseglove, 1985)

Production

Le taro est cultivé dans 30 pays environ, qui sont tous des pays en voie de développement, à l’exception du Japon qui produit environ 4 % du total. Selon la FAO, la quantité totale de « taro » (ou d’aracées en général) produite en Afrique en 1998 s’élevait à 6,5 millions de tonnes environ, ce qui correspond à 75 % de la production mondiale estimée à 8,5 millions de tonnes.

Le Nigeria est le plus grand producteur mondial avec près de 4 millions de tonnes (44 % de la production mondiale). Autres producteurs importants en Afrique subsaharienne :
• le Ghana avec 1,5 million de tonnes ;
• la Côte d’Ivoire avec plus de 350 000 tonnes ;
• Madagascar avec plus de 150 000 tonnes ;
• la République Centrafricaine avec 100 000 tonnes.

En Egypte, où le taro a été cultivé pour la première fois en Afrique, la production actuelle est d’environ 140 000 tonnes. Comparés à ceux d’autres pays ou régions, les rendements du taro en Afrique subsaharienne sont faibles. Il est difficile de trouver des données fiables concernant le macabo.

Les rendements en Amérique latine représentent parfois le double, le triple, voire davantage que ceux enregistrés en Afrique. La production d’aracées est souvent aux mains des femmes. Au Cameroun, par exemple, certaines estimations indiquent que 90 à 95 % des producteurs sont des femmes.

Exigences écologiques

Le taro, qui pousse aussi bien dans les régions de haute altitude bien arrosées par les pluies que dans les bas-fonds mal drainés, requiert plus de 2 000 mm de pluie par an. Certaines cultures sont adaptées aux sols à haute salinité. Le macabo préfère en revanche les zones d’altitude bien alimentées en eau, où le drainage est bon et la pluviométrie bien répartie sur l’année.

Ces deux cultures sont des plantes d’ombre très souvent cultivées en association avec des cultures pérennes telles que le plantain, le palmier à huile, le cacaoyer, etc. D’une manière générale, le macabo est plus grand, plus hâtif et plus productif (d’un facteur de 150 %) que le taro.

La principale contrainte à la production du macabo est la pourriture racinaire causée par le champignon Pythium myriotylum. Cette maladie a provoqué des baisses drastiques de production (de 1,8 million de tonnes par exemple entre 1970/75 à 600 000 tonnes entre 1984/85 au Cameroun).

Dans le département de Fako, toujours au Cameroun, les pertes au champ causées par la pourriture racinaire sont passées de 0,7 % au début des années soixante à 50 % en 1990. A la suite de cela, la production du macabo a été, de façon tendancielle, remplacée par celle du taro, sur lequel cette maladie a des effets moindres. Des recherches sont en cours en vue de trouver une solution au problème.

La production des aracées en Afrique implique d’autres problèmes qui ont été largement négligés par la recherche agronomique. Ce sont :
• la pénibilité du travail de plantation et de récolte ;
• les exigences élevées en eau durant tout le développement de la plante ;
• la difficulté de sélection due au manque de fiabilité de la reproduction sexuelle ;
• la pénurie de matériel de reproduction (cf. le cas des ignames).
Consommation d’aracées en Afrique
L’amidon contenu dans les tubercules de taro consiste en des granules très petits (1 à 4 _m). L’amidon du taro est par conséquent très digeste, mais d’une utilité limitée pour l’industrie. Le macabo, au contraire, a des granules d’amidon relativement gros. La teneur des aracées en protéines (2 % env. des tubercules frais) est relativement haute. Le macabo est plus riche en éléments minéraux que le taro.

Le pourcentage d’oxalate dans les tubercules de taro et de macabo varie entre 0,1 et 0,4 % du poids frais. Il ne pose pas de problème car il se décompose lors de la cuisson. Il en est de même pour les traces d’acide cyanhydrique également présentes.

Les tubercules des aracées sont consommés à l’état frais et peuvent être bouillis, grillés ou frits. En Afrique de l’Ouest, on prépare aussi un aliment de type « fufu » (macabo ou taro pilé) à base de tubercules cuits. Les consommateurs ouest-africains ont une préférence pour le macabo du fait que le fufu ainsi obtenu rappelle l’igname pilée. La recette suivante présente une variante intéressante de macabo pilé.

Tout comme les feuilles de manioc, les jeunes feuilles de macabo jouent un rôle alimentaire important chez les populations du Sud-Ouest du Cameroun. Elles contiennent une moyenne d’environ 20 % de protéines contre 4 % environ dans les tubercules. On les associe à la pâte de niébé et au gâteau de maïs, ou bien on les mélange aux arachides ou au soja. Inconvénient majeur : la forte teneur de certaines variétés en oxalate de calcium, dont la consommation provoque des irritations des muqueuses. Les feuilles et les pétioles du taro sont parfois elles aussi consommées.

L’utilisation des aracées comme aliment pour animaux est uniquement occasionnelle. Bien qu’il s’agisse d’applications peu exploitées jusqu’ici en Afrique, les aracées offrent des perspectives prometteuses en tant qu’aliments destinés à des personnes souffrant d’allergies, sans compter leurs vertus médicinales pour les maladies gastro-intestinales.

Importance des aracées en Afrique

En ce qui concerne l’importance de la production, l’Afrique est le leader mondial avec les trois quarts environ du total produit (Onwueme, 1978). Dans certaines régions du Pacifique, comme aux îles Hawaii, cependant, la production de taro par unité de surface est beaucoup plus élevée.
Partout où elle est produite, la valeur sociale de cette culture est considérable. Pourtant, le taro est uniquement considéré comme un aliment de substitution que l’on mange faute de mieux. Sur le continent africain, le macabo est d’une importance régionale comparable à celle du taro.

Du fait de facteurs physiologiques et de risques de pourriture, les tubercules des aracées se conservent très mal, surtout par des températures élevées. Les pertes physiologiques incluent la perte en eau causée par la respiration et la transpiration, le flétrissement, le bourgeonnement, le durcissement et la décoloration.
Les pourritures sont provoquées par divers agents pathogènes (bactéries et champignons). Ces deux types de détérioration peuvent être accentués par la présence sur les tubercules de dégâts mécaniques de récolte ou de transport (blessures, entailles, fragmentation, meurtrissures). Les rongeurs, dont la voracité est énorme, n’épargnent pas non plus les tubercules des aracées.

Récolte des aracées

La récolte peut commencer dès que les feuilles les plus âgées dépérissent et que la plupart d’entre elles prennent une couleur jaune (3 à 5 mois après plantation pour le macabo et 6 à 7 mois pour le taro). Toutefois, des récoltes plus tardives donnent des tubercules plus développés. La récolte peut se dérouler de façon échelonnée, à intervalles de trois semaines au moins. Le taro d’altitude et le macabo doivent être récoltés pendant la saison sèche, ou du moins en temps sec.
A ce moment-là, la plupart des racines sont mortes et il est très facile d’arracher les tubercules. En cas de pluie après maturité, ou si l’on retarde trop la récolte, de nouvelles racines se développent au détriment des tubercules, ce qui complique la récolte. Le risque de pourritures est là encore élevé.

Dans la production paysanne des aracées en Afrique, la récolte est exclusivement manuelle. Elle est facilitée par des outils tels que la machette, la houe ou la pelle. On enlève la terre autour des tubercules avant de les extirper, surtout s’il s’agit de grosses unités. Dans le cas du macabo surtout, on peut pratiquer la récolte échelonnée (appelée aussi récolte par castration).
On enlève d’abord les tubercules secondaires en laissant au moins une partie du tubercule principal. Après cela, la terre est ramenée et tassée à la base des tiges pour permettre le développement des tubercules plus jeunes et immatures.

Le macabo est traité dans ce cas comme une culture pérenne. La récolte mécanique, qui est environ 12 fois plus rapide que la récolte manuelle, provoque d’importants dégâts sur les tubercules. Pendant la récolte, les tubercules doivent être disposés sous abri pour les préserver d’une chaleur solaire excessive. Les blessures sont à éviter, car ces dégâts constituent des pertes résultant de l’accentuation de phénomènes physiologiques ou de l’infection par des agents pathogènes.

Stockage des aracées

La conservation des tubercules d’aracées est délicate. Sans précautions spéciales et dans les conditions environnementales de l’Afrique tropicale, la moitié de la récolte peut déjà être perdue au bout d’une semaine à un mois. Les tubercules brisés, blessés, rongés ou pourris sont identifiés et éliminés, de même que ceux qui sont trop petits ou immatures.

Il faut également éliminer tous les débris étrangers (cailloux, morceaux de tiges, etc.). Les tubercules sont ensuite nettoyés (de préférence sans eau) et, en cas de besoin, séchés au soleil. Pour induire le phénomène de subérisation (la transformation en liège de certains tissus dont la cellulose s’imprègne de subérine), qui contribue à la cicatrisation des blessures, les tubercules sont soumis pendant 5 à 7 jours à une température de 30 à 35 °C et à une humidité relative de 95 à 100 %.

Afin de faciliter leur manutention et de les protéger des dommages physiques durant le transport, les tubercules sont ensuite regroupés, en quantité raisonnable, dans des conteneurs. Au-delà des considérations à caractère technique, le type d’emballage utilisé pour le transport, et en partie aussi pour le stockage, dépend de la disponibilité locale et du coût.

On utilise couramment des frondes de palme tissées, du rotin tissé, du bambou tressé, des sacs de fil tressé, des sacs de jute, des sacs plastique perforés ou non, des caisses en bois ou des boîtes de carton.
Les tubercules sont transportés du champ vers le lieu de stockage (mais aussi vers le lieu de commercialisation ou de consommation) dans un emballage traditionnel ou des sacs, caisses, boîtes, etc. Lors du chargement des véhicules de transport, on doit prendre en considération :
• l’impact de compression verticale et horizontale de l’emballage et du chargement ;
• l’impact d’abrasion, suivant la souplesse de l’emballage et des mouvements du chargement en cours de transport, lesquels sont fonction de l’état des routes ;
• l’impact de choc des opérations de chargement et de déchargement des tubercules.
Il va de soi qu’un soin particulier s’impose pendant le transport afin de réduire les blessures des tubercules au minimum absolu.

Traitements chimiques

La désinfection (trempage dans une solution d’eau chlorinée pendant 2 minutes) destinée à neutraliser les agents pathogènes est peu pratiquée en milieu paysan africain. Il en est de même pour les fongicides et inhibiteurs de bourgeonnement. Ces traitements sont rarement rentables dans les conditions de subsistance dans lesquelles les aracées sont généralement produites. Il existe également une possibilité de traitement préventif du brunissement enzymatique, mais ce traitement est peu courant en raison du coût et de la disponibilité du matériel nécessaire.

Les tubercules doivent être placés à l’abri de l’oxygène par emballage en film plastique ou par application d’antioxydants (par exemple acide citrique à 5 % ou dioxyde de soufre à 200 ppm) afin d’éviter l’action de la phénolase sur les composés phénoliques présents dans les tissus des tubercules. En présence de l’oxygène contenu dans l’air, ce procédé engendre un brunissement des tissus dû à l’obtention de composés du groupe des mélanines.

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