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Zone des Niayes du Sénégal : l’ impact de la lutte anti-érosive sur la biodiversité et les revenus des paysans
Des techniques de protection des pépinières et des semis ont été testées dans la zone agroécologique des Niayes (Ouest-Nord du pays) pour contrecarrer le phénomène de la salinisation des terres du lac Tamna. Des actions de reboisement très significatives ont été également engagées, permettant la récupération de 110 ha, entre 2014 et 2016. Ces actions combinées ont contribué à la revitalisation des écosystèmes et à l’augmentation des revenus des paysans.
ENDA Pronat et Woobin mettent en œuvre, depuis une dizaine d’années, un programme de renforcement de capacité pour une meilleure sécurité alimentaire des populations de Keur Moussa. Cette commune est localisée à l’Est de la bande côtière des Niayes, à 50 km environ de Dakar. Elle est composée de 36 villages avec une population de 40.000 habitants.
La zone est caractérisée par l’arboriculture et le maraichage principalement, surtout dans le centre et le nord de la commune où l’eau d’irrigation est accessible. La zone Sud est soumise à une forte érosion hydrique, les terres sont dégradées et les nappes d’eau profondes.
L’agriculture y est pratiquée uniquement pendant l’hivernage. La plupart des hommes sont partis à Dakar à la recherche de travail, laissant les femmes, les enfants et les vieux au village. Les terres agricoles sont également fortement menacées par les projets de l’Etat (AIBD, autoroute,…) et par l’avancée du front d’urbanisation.
Dans la commune de Keur Moussa, les premiers diagnostics menés par les populations ont montré que les terres situées sur le plateau de Thiès sont affectées par l’érosion hydrique qui emporte les couches fertiles et menace les villages.
Il a d’abord fallu organiser des formations auprès des populations (principalement des femmes qui sont restées au village) sur la récupération des terres avec des ouvrages antiérosifs (diguettes, fascines, demi-lunes et d’autres ouvrages). Elles ont contribué à la réduction du ruissellement, au retour de la végétation et à la récupération de 114,47 ha de terres dégradées dans sept villages. La superficie récupérée a été mesurée au GPS par Enda Pronat, en 2016.
Enda Pronat a appuyé la structuration d’une fédération paysanne dénommée Woobin qui couvre les 36 villages de la commune avec près de 1000 membres, dont les objectifs sont de régénérer les ressources naturelles, sécuriser le foncier et de promouvoir l’agriculture saine et durable.
Après avoir mis l’accent sur la lutte anti-érosive (zaï, demi-lunes, fosses d’infiltration, ponts filtrants, cordons pierreux,…) pendant plus de 6 ans, les populations ont travaillé sur la mise en valeur des terres récupérées à partir des techniques de production agroécologiques (reboisement, fertilisation organique, association de cultures, etc.).
Ces dernières années, la commercialisation des fruits et légumes sains est devenue le principal levier pour susciter l’engagement des producteurs. Enda Pronat a appuyé la mise en place d’une coopérative paysanne appelée Sell Sellal, qui organise des marchés hebdomadaires à Dakar, permettant ainsi de rémunérer les efforts des producteurs et de productrices engagés- dans l’agroécologie.
Retour de la biodiversité et de l’humidité
L’aménagement des ouvrages antiérosifs a eu des impacts positifs sur les activités socioéconomiques. Ces ouvrages ont favorisé l’infiltration de l’eau, la rétention des particules des sables et des sédiments qui ont amélioré la texture du sol.
Ainsi, les terres récupérées sont aujourd’hui valorisées par les exploitants familiaux à travers une agriculture saine et durable accompagnée par Enda Pronat et Woobin. Ainsi, les cultures de l’arachide et du niébé ont été réintroduites dans les villages de Landou et Touly.
L’observation de la capacité de rétention d’eau des ouvrages a conduit certains exploitants agricoles à aménager des ouvrages dans leur champ dans le village de Gapp et de Lene. Dans ces champs, une humidité constante du sol et une amélioration de la production agricole et principalement du maraîchage sont constatées par les producteurs et les productrices.
" C’est grâce aux ouvrages de lutte antiérosive que son champ a connu une nette amélioration dans la production agricole. Car il y a six ans, certaines espèces n’arrivaient même pas au stade de floraison dans son champ »- Aby Sène, productrice"
A Landou, le champ de Aby Sène constitue un exemple assez illustratif de l’étendue des impacts liés au projet de lutte anti érosive. Lors d’une visite guidée par la propriétaire, nous avons constaté que le sol était humide, les espèces végétales étaient à un niveau important de développement. Selon Madame Aby Sène, c’est grâce aux ouvrages de lutte antiérosive que son champ a connu une nette amélioration dans la production agricole. Car il y a six ans, certaines espèces n’arrivaient même pas au stade de floraison dans son champ. Aujourd’hui, le rônier, le manguier et le jujubier arrive à se développer et des espèces telles que le mbania, le kinkéliba sont régénérées.
La restauration des sols a favorisé la régénération des espèces végétales. Grace aux aménagements pour la lutte antiérosive, sur les terres récupérées le retour du couvert végétal se fait progressivement (voir tableau ci-dessous des espèces végétales régénérées).
Le retour du couvert végétal est bénéfique pour l’élevage domestique. La divagation des animaux est décriée par les paysans et reconnue comme infraction au regard de la convention locale. Ce phénomène est lié à la disparition progressive des parcours du bétail et à la sédentarisation des éleveurs.
Le reboisement et la régénération des espèces végétales dans le cadre de la défense et restauration des sols (DRS) constituent une opportunité de fourrage. En outre, durant l’hivernage, les ouvrages de retenus d’eau tels que les demi-lunes et les fosses d’infiltration sont des points d’eau où les animaux viennent pour s’abreuver. Les aménages antiérosifs sont importants pour lutter contre l’érosion et ont des impacts positifs sur l’environnement et les activités socioéconomiques.
Espèces végétales régénérées
Le tableau montre les différentes espèces recensées au niveau des sites aménagés et des terres récupérées. Ces plantes permettent la fixation du sol et l’infiltration de l’eau. A côté de ces avantages, certaines plantes comme Nger, Mbatamar ou encore le Kel sont utilisées pour la médecine traditionnelle. D’autres plantes telles que le Mbania, le Kinkéliba sont cueillies et vendues par les femmes.
Augmentation des revenus
A ce niveau, nous avons enregistré les revenus agricoles des producteurs que nous accompagnons dans les différentes dimensions de la transition agro-écologique : restauration de leur environnement, techniques de production, de commercialisation et de plaidoyer pour la sécurisation foncière.
Une évaluation externe a été réalisée en 2016 auprès des 465 producteurs répartis dans 25 villages de la commune de Keur Moussa parmi lesquels les sept dans lesquels se mène la lutte anti-érosive.
L’évaluation a révélé que les revenus issus des activités d’agriculture saine et durable (ASD) commencent à augmenter à travers le développement d’une stratégie de commercialisation des produits. En effet, 34% des 465 producteurs appuyés ont déclaré que leurs revenus ont augmenté de plus de 20% et 44% d’entre eux, de 5% à 20% en l’espace de trois ans.
Cependant, il est difficile de dire dans quelle mesure la lutte anti-érosive a contribué à l’amélioration des revenus.
Contraintes
Jusqu’en 2016, les aménagements anti-érosifs n’étaient menés que par des femmes (les hommes sont généralement en migration à la recherche de travail) avec des moyens limités et ne concernaient pas les gros ravins, ce qui ne permet pas d’éradiquer totalement le problème d’érosion.
En 2015, Enda Pronat a commandité une étude auprès du cabinet GEODEF qui a réalisé un plan d’aménagement et de gestion durable à l’échelle du bassin. Ce plan prévoyait notamment des aménagements au niveau des gros ravins et est estimé à 239 370 000 FCFA. Cela représente un coût énorme qui n’est pas à la portée des populations. Néanmoins, Enda Pronat continue d’appuyer les dynamiques villageoises dans la mise en œuvre de ce plan.
Une autre contrainte est la tendance actuelle de morcellement des champs pour en faire des parcelles à usage d’habitation dans la commune de Keur Moussa et particulièrement dans les sept villages concernés par la lutte anti-érosive. Ainsi, les villages de Landou, Gapp, Mbirdiam et surtout Thiambokh ont perdu une bonne partie des ouvrages anti-érosifs qui étaient aménagés sur des sites qui sont aujourd’hui morcelés et bornés.
Les villages de Kessoukhat et de Kathiélick qui faisaient partie du programme de déplacement, sont délocalisés. Les ouvrages qu’ils abritaient ont disparus avec les travaux de l’autoroute à péage et de l’Aéroport International Blaise Diagne (AIBD), deux grands projets d’infrastructures de l’Etat du Sénégal.
Face à cette situation, les populations ont décidé de porter un plaidoyer pour la sécurisation foncière des exploitations familiales auprès des populations et des autorités locales. Après 3 ans de sensibilisation, près de 200 exploitations ont obtenu des titres de régularisation de leurs parcelles agricoles.
Nécessité de réaliser 49 ouvrages
Dans le cadre de la lutte anti érosive, un travail important a été abattu par la fédération Woobin avec l’appui d’Enda Pronat durant la phase 2014-2016, avec le traitement des gros ravins qui a démarré dans les villages de Landou et Touly.
L’étude de GEODEF réalisée en 2015 a identifié la nécessité de réaliser 219 nouveaux ouvrages(ponts-filtrants, cordons pierreux, demi-lune, fosses d’infiltration, etc.) et de renforcer ceux existants. Ainsi, l’essentiel des nouveaux ouvrages sera positionné au niveau des gros ravins en vue de ralentir la vitesse de ruissellement, d’améliorer l’infiltration des eaux et la recharge de la nappe d’eau, de réhabiliter le couvert végétal et la fertilité des sols, et à terme faciliter /encourager les activités agricoles.
Le traitement des gros ravins débuté en fin 2015 a permis de réaliser une cinquantaine d’ouvrages (ponts filtrants de franchissement, ponts simples, cordons, demi-lunes). Les ponts filtrants de franchissement réalisés dans les villages de Landou et Touly ont été particulièrement appréciés pour avoir facilité la mobilité de la population pendant la saison des pluies et le déroulement de leurs activités économiques comme la commercialisation de leurs produits dans les marchés ruraux (Pout).
Pronat a prévu de poursuivre l’accompagnement pour la réalisation des ouvrages restants, de renforcer le niveau d’équipement pour alléger les travaux et assurer la sécurité des personnes qui travaillent dans l’exécution (pour 200 personnes environ).
Il faut noter que pour avoir des effets attendus sur cette activité, la fédération Woobin doit :
partager le plan d’aménagement proposé par GEODEF (Géomatique, Développement des Territoires et Formation) avec les gestionnaires de l’Aéroport International Blaise Diagne (AIBD) et de l’Autoroute à péage pour voir dans quelle mesure ils peuvent négocier des appuis pour diminuer les impacts négatifs causés par la réalisation des infrastructures ;
poursuivre les forums villageois sur les lotissements anarchiques pour sensibiliser davantage les populations sur les voies à emprunter légalement pour avoir leur titre de régularisation foncière ;
poursuivre les sensibilisations auprès des autorités administratives et villageoises en vue de sécuriser les aménagements et des ouvrages, notamment en veillant au respect des règles de la convention locale de gestion durable des ressources naturelles qui a été élaborée en 2015.
Tous ces efforts au niveau local ne pourront cependant avoir d’impacts durables que s’ils sont renforcés par des politiques foncières, agricoles et d’aménagement cohérentes, saines et durables au niveau national. Des politiques qui visent à préserver le poumon vert de la zone des Niayes et les exploitations familiales, dans la mesure où elles alimentent le pays en fruits et légumes et qu’elles contribuent fortement à l’emploi des jeunes en milieu rural.
Encadré
Entre 2011 et 2012, Enda Pronat a mené une expérimentation avec un groupe de producteurs de Mbawane, dans un champ d’application, sur un « système éolien/pompage électrique/micro irrigation ». Les résultats agronomiques et économiques ont montré que l’investissement (d’un montant d’environ 13 000 euros soit 8 515 000 F CFA environ) peut être rentable sur le long terme (10 ans), et qu’associé à des pratiques agro-écologiques, il peut améliorer considérablement et durablement les performances des exploitations familiales en :
réduisant de 95% le temps de travail consacré à l’exhaure manuelle de l’eau ;
économisant la consommation d’eau qui est trois fois inférieure à une irrigation avec les seaux ;
améliorant les rendements de 20% en moyenne ;
permettant d’exploiter une superficie au moins 3 fois plus grande qu’avec un système d’exhaure et d’irrigation manuel.
Laure Brun
Chargée du Suivi-Evaluation à Enda Pronat-Sénégal
Contact : lor_brun@yahoo.fr