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Hamidou Diaye Koïta, ex-émigré : la reconversion résiliente

Au cours de son séjour à Diawara, l’équipe de recherche a été à la rencontre de Hamidou Diaye Koïta, un ressortissant de la commune de Diawara et ancien émigré qui, après plusieurs années de séjour en France, a fait le pari jugé fou à l’époque de revenir dans son village pour investir dans l’agriculture. Il est aujourd’hui propriétaire d’une ferme de 3 ha où il pratique l’agriculture, l’élevage, la pisciculture et l’aviculture. Sa ferme est sa principale source de revenus et a permis à plusieurs jeunes de la commune de trouver un emploi. Le PRESA s’est intéressé au parcours de cet ex- émigré reconverti dans l’agriculture, malgré les risques climatiques qui pèsent sur son village natal et environs.

‘’Quand on est revenu, on a dû faire face à beaucoup de critiques de la part des autres habitants. Diawara est une zone où tout le monde émigre et personne ne comprenait pourquoi j’avais décidé de quitter la France pour revenir m’installer au pays. On disait que j’étais fou. Mais je me suis battu et ma famille m’a soutenu. Aujourd’hui, je peux aisément subvenir à mes besoins et à ceux de ma famille. ’’

LE DÉCLIC ET LES DÉFIS

C’est en 1974 que Hamidou Koïta a décidé, à l’image de beaucoup de jeunes à Diawara, d’émigrer en France, à la recherche d’un avenir meilleur ou, tout simplement, pour la satisfaction d’un besoin de reconnaissance sociale. Dans la région de Bakel en effet, la plupart des jeunes ont pour seul rêve de partir en France.

Après cinq années passées dans l’Hexagone, l’immigrant a décidé de revenir travailler au Sénégal dans les années 80, afin de rester près de sa famille et contribuer au développement de sa commune. Durant tout son séjour en France, il a travaillé dans des stations d’essence. La décision de revenir au Sénégal a été motivée par un constat bien amer. En France, il constate que beaucoup de fruits et légumes qui y sont vendus viennent en grande majorité des pays africains comme l’Algérie, le Cameroun, le Burkina Faso. Il comprend alors que si ces produits sont vendus en France, ils ont pourtant été produits en Afrique. Il décide alors d’abandonner l’émigration et de retourner dans son pays, où sa famille possède des terres, pour s’adonner à l’agriculture.

A son retour en 1978, Hamidou a pu compter sur le soutien de son grand frère Boubacar Koïta qui a décidé de l’accompagner dans son initiative. Toutefois, les débuts n’ont pas été faciles. Lui et son frère ont dû faire face à plusieurs difficultés notamment le manque d’eau, le manque de moyens, mais aussi d’appui aussi bien de la part des ONG que du gouvernement. A cela s’ajoutent le manque de formation et d’expérience en matière de production agricole. Il fallait donc compter sur ses propres moyens.

De plus, sans véritable garantie, il n’était pas possible de contracter un prêt à la banque pour l’achat des grillages, la construction des canaux pour la circulation de l’eau, et l’achat d’une grande motopompe capable d’alimenter toute la ferme en eau.

UN DÉBUT DE RÉUSSITE

Malgré les difficultés et avec très peu de moyens à sa disposition, Hamidou Koïta a pu néanmoins compter sur un fort soutien de sa famille. Il débute une activité de maraîchage avec laquelle il produit de nombreuses variétés de légumes habituellement difficiles à trouver à Diawara. Il cultive de l’aubergine africaine ou diakhatou en langue wolof, des courgettes, des tomates, du piment, des concombres, du poivron.

Sur une superficie de près de 2 ha dans sa ferme, il débute une plantation de banane qu’il associe à d’autres arbres fruitiers comme les papayers et les manguiers. Cette ferme fait aujourd’hui sa fierté et celle de sa famille. Toute la production est écoulée sur le marché local, ravitaillant ainsi les villageois en produits frais. « Ce que j’ai fait, je ne le fait pas pour moi, mais pour mes enfants et probablement mes petits-enfants, qui pourront voir ça en exemple », se réjouit M. Koïta.

Un régime de banane qui mûrit dans la plantation de Hamidou Koïta

DIVERSIFICATION SES SOURCES DE REVENUS

En plus de sa plantation de banane, l’exémigré s’est lancé dans la pisciculture. Dans un grand bassin aménagé dans sa ferme, il pratique l’élevage de silures (koler en wolof). Les silures sont vendus sur le marché local et sont très prisées par les populations. Hamidou Koïta pratique également l’aviculture. Il possède un élevage d’une centaine de poulets essentiellement des poules pondeuses. Les oeufs récupérés sont vendus sur le marché local. A quelques mètres de son poulailler, le néo-fermier s’adonne également à l’élevage de pigeons (environ une vingtaine). Il possède également plusieurs vaches qui assurent une production laitière quotidienne destinée à la consommation de sa famille. Le surplus est mis à la disposition de revendeuses qui l’écoulent à Diawara ou dans les villages environnants. Ce qui permet ainsi à des femmes de mener des activités génératrices de revenus.

Pour M. Koïta, la vraie réussite passe nécessairement par des investissements dans des projets communautaires porteurs. Il recommande d’ailleurs aux émigrés souhaitant revenir, d’investir dans l’agriculture (arboriculture fruitière et maraichage), l’élevage et la pisciculture.

S’INVESTIR POUR SON VILLAGE

Sur la base de ses succès professionnels et de son leadership, Hamidou a été élu comme maire de la commune de Diawara de 2009 à 2014. Il s’est investi avec dévouement dans cette exaltante mission en cherchant à résoudre inlassablement les problèmes de la toute nouvelle commune. Cette fonction lui a aussi permis d’effectuer plusieurs voyages en Europe afin de rencontrer les associations d’émigrés installées en France, de mieux organiser leur action pour le développement de la commune. Il a pu ainsi établir de bonnes relations avec l’une premières et des plus dynamiques associations d’émigrés du département, en l’occurrence le COREDIA (Comité pour la rénovation de Diawara). Pourtant, en 2014, il ne se présente pas à un second mandat électif et décide de se consacrer entièrement à la terre. « Être maire ne m’intéressait pas vraiment. Ce qui m’intéressait, c’était le développement de mon village et je pouvais également le faire avec mon exploitation », confie l’ex-émigré.

RENFORCER LE LIEN ENTRE MIGRATIONS, TRANSFERTS DES MIGRANTS ET DÉVELOPPEMENT

Les transferts des migrants et leurs investissements sont très utiles. Cependant, pour l’ancien maire, très peu d’investissement ont été faits dans des projets structurants. Pour lui, en effet, il ne peut y avoir véritablement de résilience dans la commune de Diawara sans la mise en place par les migrants de projets structurants, pouvant aider les jeunes à trouver un emploi. « Ce qui manque, ce sont des investissements dans des projets capables d’aider les jeunes à trouver un emploi et de rester contribuer au développement de leur commune », constate-t-il.

Dans sa ferme, Hamidou Koïta emploie aujourd’hui trois personnes de manière permanente. En fonction des besoins et du volume de travail dans sa ferme, des « journaliers » sont recrutés pour aider dans les différents travaux.

UN RETOUR ENCORE DIFFICILE POUR LES ÉMIGRÉS

De plus en plus, on observe une forte volonté chez les émigrés de revenir dans leur pays d’origine pour y investir et développer des projets de développement. Les motivations du retour sont multiples tout comme les secteurs dans lesquels les migrants de retour souhaitent investir : assainissement, commerce, agriculture, TIC, immobilier, etc. Malheureusement, le manque de moyen et d’appui pousse très souvent les migrants de retour à renoncer à leurs projets. Les difficultés sont énormes.

Hamidou Koïta en sait quelque chose car, malgré les quelques bons résultats obtenus, il perd encore, chaque année, une grande partie de sa production faute de moyens et d’appui techniques. En 2015, sur plus de 1000 plants de bananes produits, plus de la moitié de la production a été perdue faute de chambres froides pour la conservation et le stockage. A cela, il faut ajouter l’éloignement et le très mauvais état de la route qui ne favorise pas le transport et la commercialisation de ses produits dans d’autres régions du Sénégal.

Mais bien souvent, dans ces villages où l’espoir et la foi sont la principale source de motivation, et suivant les conseils d’une de ses connaissances, Hamidou Koïta s’est rendu à Richard Toll pour chercher de l’aide. « Je suis parti voir quelqu’un à Richard Toll, je ne le connaissais pas, je ne l’avais jamais vu. Mais j’étais tellement désespéré que je suis parti. Et cette personne m’a aidé  », avoue notre interlocuteur. Aujourd’hui, ce dernier est cité en exemple dans la commune de Diawara et beaucoup d’émigrés souhaitant revenir investir au pays se confient à lui, pour obtenir des conseils.

UNE PRÉSENCE DE L’ÉTAT PEU RESSENTIE

Au Sénégal, les transferts de fonds de migrants ont considérablement augmenté depuis le début des années 2000. En effet, le volume de ces transferts est passé de 233 millions de dollars US en 2000 à 925 millions en 2006 et à 1 614 millions (environ 800 milliards de FCFA) en 2015, ce qui représente à près quatre fois le montant des Investissements directs étrangers (IDE) et près de deux fois le montant de l’Aide publique au développement (APD).

Pourtant, parler de politique de retour pose encore le problème d’existence d’un cadre juridique et réglementaire formel, pouvant orienter des actions cohérentes et durables. Malgré la mise en place de diverses institutions et le développement de plusieurs stratégies politiques de mobilisation des ressources (financières, humaines et matérielles) des Sénégalais de l’extérieur, la contribution de la diaspora sénégalaise à l’effort de développement national et le soutien de l’Etat aux émigrés de retour demeurent encore faibles.

Il apparait nécessaire aujourd’hui d’examiner les conditions de création d’un tel cadre institutionnel et de développer les outils et mécanismes de gestion appropriés, favorables à une meilleure intégration de la variable migration dans les stratégies de développement durable. Cela passera inexorablement par l’élaboration d’un document de politique nationale de migration.

Le commerce du bois, une pratique courante à Diawara

La commune de Diawara est située dans le département de Bakel, une subdivision de la région de Tambacounda. L’activité principale à Diawara est l’agriculture. Les populations pratiquent aussi l’élevage et la pêche, notamment du fait de la proximité avec le fleuve Sénégal. Pourtant, malgré la disponibilité de la terre et de l’eau, cette zone semiaride reste très marquée par le chômage, le sous-emploi, la pauvreté et l’accentuation des vulnérabilités du fait de la dégradation des conditions climatiques. Ainsi, la recherche des moyens de survie devient le lot quotidien d’un nombre de plus en plus croissant d’individus.

Face à une telle situation de crise généralisée, la mobilité interne en tant que solution de survie ne répond plus aux attentes des populations et laisse progressivement place à la volonté très forte de se rendre vers des destinations par-delà les frontières. C’est partir des sécheresses des années 70 que Diawara, tout comme Moudéri, sont devenus de grandes zones de départ de migrants.

LIEN ENTRE MIGRATION ET DÉVELOPPEMENT

Dans le cadre de ses activités de recherche, une équipe du projet « Migrations, transferts de fonds des migrants, adaptation et résilience dans les régions semi-arides du Sénégal et du Tadjikistan », s’est rendue à Diawara pour réaliser des enquêtes auprès d’anciens émigrés, d’émigrés en vacances ou de ménages comptant au moins un membre émigré, afin de comprendre davantage l’impact des transferts (monétaire et non-monétaire) des migrants sur la résilience des populations du département de Bakel.

Cette étude est menée dans le cadre du projet Promouvoir la Résilience des Economies en zones Semi-Arides (PRESA), qui mène des travaux de recherche appliquée dans les régions semi-arides afin de générer de nouvelles connaissances susceptibles d’aider les décideurs des gouvernements locaux et nationaux, la société civile et les entreprises à renforcer leur engagement à influencer des interventions de politique publique et des investissements pour créer un développement économique plus équitable et résilient.

UNE FORTE CONTRIBUTION DES TRANSFERTS DES MIGRANTS AU DÉVELOPPEMENT

Dans la commune de Diawara, nombreux sont les ménages qui ont au moins un émigré international. Les principales zones de destination se situent entre l’Afrique et l’Europe, avec les plus fortes proportions de migrants dans les pays comme le Congo, la Côte d’ivoire, le Gabon en Afrique et la France, l’Italie et l’Espagne en Europe. Les apports des émigrés au bénéfice des populations concernent plusieurs domaines notamment la santé, l’éducation, l’alphabétisation, le transfert de technologies, les finances/micro-finances, le tourisme et la sécurité alimentaire. Individuellement, en association ou avec l’appui de leur communauté d’accueil, les émigrés ont construit des structures de santé, des bureaux de poste, des écoles et des mosquées. Les fonds envoyés par les migrants constituent même, pour certains ménages, la principale source de revenus.

Malgré tout, l’agriculture reste, pour bon nombre d’habitants de Diawara, la principale source de revenus et pour les migrants qui choisissent de revenir au pays, une opportunité d’investissement.


Cheikh Tidiane Wade, Mamadou Dimé & Ehode Soumelong Lancelot