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Editorial
Agriculture familiale durable et sécurité alimentaire
Longtemps marginalisée et surtout négligée dans les programmes de développement nationaux et régionaux, l’agriculture familiale sort peu à peu de l’ombre et suscite de plus en plus d’intérêt. L’image d’archaïsme qui a souvent accompagné l’agriculture familiale et qui a contribué à la reléguer au rang des types d’agriculture laissés pour compte dans les politiques agricoles, s’étiole peu à peu, principalement, grâce au fort potentiel de productivité et à l’incroyable faculté d’adaptation et d’innovation dont elle fait preuve. Son rôle dans le renforcement de la résilience des communautés face à l’insécurité alimentaire et dans la lutte contre la pauvreté commence à faire l’unanimité même si le chemin qui mène vers sa valorisation optimale est encore long et parsemé d’embûches.
En effet, les menaces qui pèsent sur l’agriculture familiale sont encore très nombreuses et ont pour noms, changement climatique, accaparement des terres, dégradation des sols, promotion agressive de l’agriculture industrielle, renforcement de la dépendance aux grandes chaînes agroalimentaires, etc.
Cependant, en choisissant de dédier l’année 2014 à l’agriculture familiale et en exhortant tous les Etats à s’associer à cet événement planétaire, la communauté internationale semble prendre la pleine mesure de l’importance de l’agriculture familiale, de ses multiples fonctions et de l’urgence qu’il y a de la promouvoir et la développer pour mieux faire face aux crises alimentaires récurrentes qui secouent la planète .
En effet, les agriculteurs familiaux représentent plus de 40% de la population active mondiale et sont à l’origine de plus de 70% de la production alimentaire sur la planète. Au-delà de son rôle de production d’aliments, l’agriculture familiale vit des réseaux sociaux dont le fonctionnement est régi par un système de règles et de pratiques qui concourent, le plus souvent, à une distribution plus équitable des revenus.
Aussi, contrairement à d’autres systèmes d’exploitation agricoles qui bouleversent les équilibres écologiques, l’agriculture familiale repose sur un ensemble de valeurs, de savoirs et savoir-faire qui contribuent à la préservation durable des ressources naturelles et de la biodiversité.
D’ailleurs, selon le Directeur général de la FAO, José Graziano da Silva, "rien ne se rapproche plus du modèle de la production vivrière durable que l’agriculture familiale. Les agriculteurs familiaux gèrent généralement des activités agricoles non spécialisées et diversifiées qui leur confèrent un rôle central pour un environnement durable et la conservation de la biodiversité."
Soutenir le développement de l’agriculture familiale est donc essentiel pour assurer une sécurité alimentaire et un avenir durables à l’humanité toute entière. Des conditions sociopolitiques favorables doivent être mises en place, pour relever de tels défis. Ainsi, les exploitations familiales pourraient disposer d’une plus grande autonomie, s’organiser et faire entendre leur voix. Elles pourraient construire leurs propres espaces de dialogue et de renforcement mutuel. Et grâce à l’utilisation de pratiques agro écologiques et à la création de marchés fondés sur des relations plus directes et plus équitables avec les consommateurs, les agriculteurs familiaux pourraient tirer une valeur ajoutée plus importante de leurs activités.
Des institutions telles que le Fonds international de développement Agricole (FIDA) ont bien compris le rôle important que l’agriculture familiale pourrait jouer dans la sécurité alimentaire dans le monde si elle était mieux valorisée. C’est ainsi que, depuis sa création en 1977, le FIDA apporte un appui financier soutenu à ses pays membres pour le développement de l’agriculture familiale et pour aider à améliorer les conditions d’existence des exploitants familiaux. L’institution a investi dans les pays en développement plus de 15 milliards d’USD sous la forme de projets financés grâce à des dons et à des prêts à faible taux d’intérêt, permettant à plus de 410 millions de ruraux pauvres de se libérer de la pauvreté et contribuant ainsi à la naissance de communautés rurales dynamiques.
Les programmes et projets financés par le FIDA, en Afrique, ont contribué au renforcement de la capacité organisationnelle des OP, qui mieux outillées aujourd’hui, peuvent plus facilement assurer leur auto prise en charge. Ils ont par ailleurs créé les conditions pour un accès plus facile des exploitants familiaux, notamment les plus vulnérables (femmes, jeunes) à des services et équipements adaptés, améliorant ainsi leurs revenus et réduisant leur vulnérabilité à l’insécurité alimentaire. C’est donc à juste raison que ce présent numéro d’AGRIDAPE est consacré en priorité au partage d’expériences innovantes mises en œuvre en Afrique de l’Ouest et du Centre par des projets financés par le FIDA.
Renforcer les capacités organisationnelles des OP pour faciliter leur auto prise en charge
En guinée, le PNAAFA, appuyé par le FIDA, a mis en place un nouveau mécanisme, à travers un comité d’approbation des initiatives (CAI), destiné à aider les paysans à planifier plus rationnellement leurs besoins et à asseoir une meilleure gestion de leur programme de travail et de budget annuel.
Le rôle du CAI est de recevoir et valider l’éligibilité au financement du PNAAFA des activités retenues lors des sessions des Conseils agricoles régionaux, en tenant compte des contraintes et réalités propres aux zones, des capacités réelles des OPA, mais aussi des actions menées par d’autres projets de développement dans les mêmes zones. Il s’est avéré un outil efficace permettant d’assurer la répartition équilibrée des investissements en direction des OPA et des zones d’interventions.
A Paoskoto, une communauté rurale située dans la région de Kaolack, au Sénégal, l’Association pour la promotion du développement à la base (ASPRODEB) a aidé les paysans à se regrouper en coopérative. Cette coopérative mise en place suivant une démarche inclusive a contribué à l’autonomie semencière de la collectivité et à faciliter la commercialisation de la production arachidière.
De même, le Programme de développement rural et agricole communautaire également appuyé par le FIDA (CBARDP) a introduit au Nigéria un éventail d’innovations dont la mise en place d’associations de services financiers (FSA) et l’introduction de nouvelles méthodes de gestion, d’exploitation et d’entretien des associations de développement communautaire (CDA). À travers les CDA, un processus décisionnel participatif intégrant les femmes a été lancé au niveau communautaire pour la planification, la mise en œuvre et le suivi des activités.
Faciliter l’accès des plus vulnérables à des services et équipements de qualité
Pour renforcer l’autonomie financière des exploitations familiales dans la prise en charge de leurs besoins en intrants agricoles (semences, engrais), le PAFA a amené les OP qu’il appuie au Sénégal à mettre en place un Fonds de roulement/intrants. Ce mécanisme d’autofinancement en intrants et matériels agricoles par les ménages permet aux producteurs de couvrir à l’avance leurs besoins en facteurs de production et de bien préparer la prochaine campagne agricole. L’appui du PAFA a beaucoup contribué à l’amélioration de la productivité dans les zones d’intervention du projet.
Toutefois, cette progression de la productivité a aussi été rendue possible par l’encadrement de proximité composé de Conseillers à l’Exploitation Familiale (CEF), une nouvelle approche de conseil agricole et rural, qui constitue une rupture avec l’ancien système d’encadrement des exploitations familiales en milieu rural.
En Basse Guinée Nord l’accès à des semences de qualité constituait, il n’y a pas longtemps, le principal obstacle à une productivité et une production capables de bouter l’insécurité alimentaire hors de la région. Mais le PADER-BGN est venu changer cette donne en mettant en place une initiative de multiplication et de diffusion de semences de riz. L’initiative a ainsi rendu plus disponibles et plus accessibles aux petits producteurs, des semences de qualité. Elle s’adresse singulièrement aux jeunes et aux femmes des exploitations à dominante production végétale en pluvial et à force de travail limitée (5 personnes en moyenne) par exploitation familiale.
Promouvoir les activités pastorales et la pêche
L’élevage et la pêche constitue des piliers importants dans les activités des exploitations familiales. Le soutien à la production pastorale et piscicole peut être, dès lors, un important facteur de durabilité des exploitations familiales.
Dans la région de Kidal au Mali, l’économie est essentiellement basée sur l’élevage transhumant et nomade. Les caprins, considérés comme le cheptel le plus facilement valorisable, constituent des sources importantes de protéines animales (viande, lait et les dérivés du lait à savoir beurre, fromage, etc.).
Cependant, avec les sécheresses récurrentes, l’abattage massif et la commercialisation à outrance, les effectifs de caprins ont beaucoup diminué remettant en cause la sécurité alimentaire des populations nomades. C’est ainsi que le Programme Intégré de Développement Rural de la région de Kidal (PIDRK) a mis en place une initiative « dénommée « prêt animaux » pour contribuer à l’augmentation et à la diversification des revenus des populations de la zone à travers la sécurisation des systèmes d’élevage nomade et le développement des activités agro-pastorales sur une base durable. Le projet a acquis 800 petits ruminants auprès d’éleveurs vendeurs qu’il a, ensuite, répartis en noyaux de 20 caprins et distribués à 40 ménages vulnérables, contribuant ainsi à redonner un nouveau souffle à l’élevage caprin et à soustraire peu à peu les populations de la pauvreté.
Pour développer la filière pisciculture dans la région d’Ihorombe à Madagascar, le Projet d’appui au renforcement des organisations professionnelles et aux services agricoles (AROPA) s’emploie depuis quelques années à renforcer les organisations professionnelles de pisciculteurs et à faciliter leurs accès à des équipements et du matériel de production de qualité. L’intervention du projet a contribué à une l’amélioration des revenus et à une réduction sensible de la vulnérabilité des producteurs, notamment les plus pauvres.
Le projet AD2M apporte également des investissements de faible envergure à travers son initiative « microprojets coup de pouce » pour améliorer les activités productives des pêcheurs pauvres de la commune d’Ambatolahy, (district de Miandrivazo, région de Menabe, Madagascar). L’objectif de cette initiative est de réinsérer progressivement les pêcheurs dans une dynamique de développement agricole ou de filière en mettant aussi à leur disposition du matériel et des équipements de pêche. Cet appui a changé la vie de beaucoup de pêcheurs pauvres qui, grâce au « coup de pouce » donné par le projet, ont pu améliorer leur sécurité alimentaire et enclencher un processus leur permettant de rétablir leur situation sociale en investissant le surplus de leurs revenus dans l’agriculture.
Réconcilier jeunesse et agriculture pour assurer la relève et pérenniser l’agriculture familiale
La durabilité de l’agriculture familiale ne repose pas seulement sur celle de l’activité agricole. La durabilité des Hommes, c’est-à-dire celle des acteurs qui contribuent au fonctionnement et au maintien de l’exploitation agricole familiale, souvent négligée, est aussi importante.
Au Sénégal, le CNCR, à travers son collège des jeunes a mis en place un programme dénommé « Ndiangaane » qui signifie littéralement apprentissage. Ce programme tente, à travers une réflexion innovante de former les jeunes sur les valeurs incarnées par les leaders du mouvement paysan afin qu’ils puissent se les approprier d’une manière efficace et se préparer à prendre la relève. En effet parmi les jeunes, il y a de futurs dirigeants que ce programme peut aider à identifier et à préparer à cette tâche.
Le programme se base sur le concept de « mentorat », c’est-à-dire l’établissement d’une relation de confiance entre un mentor (un leader paysan) et un jeune (mentoré) à qui ce premier pourra inculquer les attitudes et les comportements nécessaires pour devenir un bon leader.
Les TIC peuvent aussi beaucoup contribuer à faire de l’agriculture une option plus attractive pour les jeunes, en améliorant les conditions de vie en zone rurale. En effet, beaucoup de jeunes ne trouvent pas l’agriculture comme un secteur intéressant. Chaque année des centaines de jeunes quittent les villages pour s’installer en ville privant ainsi l’agriculture familiale de bras valides et surtout de gens capables de prendre la relève pour pérenniser l’agriculture familiale.
Les technologies de l’information et de la communication (TIC) pourraient ainsi être mises à contribution pour accélérer la transformation de l’agriculture et accroître le nombre d’opportunités d’affaires qui permettraient d’attirer une bonne partie de la jeunesse.
Quelles politiques pour valoriser et promouvoir l’agriculture familiale ?
L’agriculture familiale peut atteindre son objectif de nourrir le monde à condition qu’elle bénéficie d’un soutien approprié des gouvernements et des partenaires financiers.
Des politiques appropriées doivent être mises en place et appliquées pour protéger et soutenir les petits agriculteurs et leur production. Ces politiques comprennent entre autres :
Un accès sécurisé et facile aux ressources, tels que le crédit et la terre. Les agriculteurs ont besoin d’être protégés contre le phénomène croissant d’accaparement des terres qui chasse de nombreux petits agriculteurs de leurs terres
Un accès au marché équitable en protégeant le prix de leurs produits contre le dumping. Toutefois, l’accès au marché ne pourrait se faire sans des routes adéquates et des moyens de transport, ce qui est souvent un défi pour les petits exploitants agricoles dans de nombreux pays.
La majorité des femmes agricultrices sont impliquées dans l’agriculture familiale et pourtant elles ne bénéficient pas des possibilités de formation technique et d’information. Elles ont besoin de plus d’attention en termes de soutien financier et technique ainsi que des politiques appropriées qui garantissent que leurs besoins soient considérés en priorité dans la planification et la budgétisation au niveau des pays .
Des installations appropriées pour le stockage et la transformation des aliments peuvent aussi ajouter de la valeur à la production agricole.
En conclusion, les exploitations familiales sont particulièrement vulnérables aux catastrophes, telles que la sécheresse, les inondations, l’invasion de parasites.
Évoluant dans un environnement fragile et vulnérable au moindre choc, des centaines de milliers de petits agriculteurs sombrent facilement dans le cercle vicieux de la pauvreté. Dans ce contexte, soutenir les exploitations familiales est devenue une nécessité pour assurer la sécurité alimentaire et réduire la pauvreté de manière durable.