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Opinion : Changer la politique africaine vis-à-vis des femmes et de l’agroécologie

Le rôle des femmes rurales et des petits exploitants dans la société africaine a été fortement sous-évalué. Il en est ainsi en dépit du fait que près de 80 % de la population de l’Afrique est tributaire de l’agriculture à petite échelle ; elle est l’épine dorsale de l’économie rurale et les femmes fournissent 70 % de la main-d’œuvre agricole. Il est évident que l’agroécologie est cruciale pour les femmes agricultrices. Maintenant, nous sommes confrontés au défi de découvrir comment promouvoir au mieux ses principes dans un contexte défavorable et comment la pratique peut éclairer les politiques au niveau local et national.

Nous avons récemment observé des changements sans équivoque dans les politiques qui bouleversent l’agriculture africaine pour favoriser une « révolution verte ». Ces politiques encouragent une forme d’agriculture axée sur la monoculture, les intrants externes coûteux comme les produits agrochimiques et les engrais synthétiques, les semences hybrides et ou génétiquement modifiées et l’acquisition de terres à grande échelle. Ces changements dans les politiques sont le résultat de l’alliance du gouvernement avec des institutions comme l’Alliance pour une Révolution Verte en Afrique (AGRA), des institutions multilatérales, des bailleurs de fonds et des sociétés multinationales qui visent à renforcer la présence des producteurs de surplus commerciaux. Ce constat a été confirmé dans un rapport publié en 2014 par le Centre Africain pour la Biodiversité. Par exemple, les programmes sur les sols et les semences dans le cadre de l’initiative AGRA tendent à favoriser l’introduction des engrais synthétiques, tout en soutenant et en préparant des justifications institutionnelles et techniques pour les partenariats public-privé dans le secteur des semences.

La Nouvelle Alliance du G8 pour la Sécurité Alimentaire et la Nutrition (NASAN) en Afrique, lancée en 2012, a vu dix pays africains prendre de nombreux engagements politiques afin d’assurer la transformation de l’agriculture au niveau national, avec l’objectif ultime de « sortir 50 millions de personnes de la pauvreté en 10 ans ». L’initiative est largement dominée par les multinationales. Elle oblige les États à réviser leurs politiques et leur législation sur les semences, la terre et la fiscalité afin de sécuriser les investissements.

Ces changements de politiques sont attestés par l’adoption de lois sur la Propriété intellectuelle par les pays africains au niveau national et régional. Ces lois sur les semences confèrent des droits solides aux éleveurs commerciaux tout en limitant les droits des agriculteurs à conserver, à utiliser, à échanger et à vendre des variétés de semences protégées et du matériel de multiplication. Elles favorisent l’utilisation et l’adoption de variétés améliorées qui sont uniformément cultivées et qui doivent être utilisées avec des produits agrochimiques afin d’atteindre des rendements élevés.
« Les nouvelles lois restreignent les droits des agriculteurs à conserver, à utiliser, à échanger et à vendre des semences protégées. »
Dans le même temps, il y a une acquisition effrénée de la part des gouvernements, de grandes étendues de terres, qui sont par la suite, par le biais de plans de développement agricole, allouées à des investisseurs privés pour des cultures commerciales viables dans les couloirs agricoles. Cette acquisition oblige les petits exploitants agricoles à se déplacer, en particulier les femmes, qui dépendent de cette terre tandis qu’elle force les autres à exploiter des cultures commerciales au détriment des cultures vivrières, ce qui constitue une menace pour la sécurité alimentaire. Ces initiatives et programmes contrastent fortement avec les priorités de la majorité des petits agriculteurs qui pratiquent des techniques agroécologiques et durables, peu coûteuses, simples et efficaces.

Les femmes gardiennes de la souveraineté alimentaire

Dans de nombreuses zones rurales, les femmes gèrent souvent des systèmes de production complexes avec de multiples fonctions, objectifs et espèces. Elles produisent, manipulent et préparent les aliments, tout en étant responsables de la nutrition de leurs familles. Elles constituent la part la plus importante de la main d’œuvre agricole, de la préparation des sols à la récolte. En outre, après la récolte, elles sont presque entièrement responsables des opérations telles que le stockage, la manutention, la commercialisation et la transformation.
Et elles savent comment prendre en charge les besoins du ménage.
Par exemple, les femmes soucieuses d’améliorer leur situation introduisent de plus en plus diverses sortes de légumes africains à feuilles aux côtés de leurs autres cultures, dont certaines sont des cultures de rente. Ces légumes sont une composante importante du régime alimentaire des populations rurales et urbaines. Ils sont abordables et également riches en micronutriments. Ils maintiennent la diversité génétique tout en améliorant la nutrition et les moyens de subsistance. Le Kenya à lui seul compte plus de 200 espèces de légumes africains à feuilles, produits pour la plupart par des femmes.

Ces systèmes de production basés sur la diversité ne sont pas conçus pour maximiser la productivité d’une culture spécifique, mais pour assurer la stabilité et la résilience de l’ensemble du système agricole. Les cultures choisies sont souvent d’une importance commerciale mineure, mais d’une grande importance pour la nutrition des ménages et la sécurité alimentaire. Ce travail essentiel effectué par les femmes est souvent invisible et négligé par les organismes de soutien en raison de son manque d’impact commercial.
La trajectoire actuelle de l’agriculture traditionnelle ne valorise pas ces initiatives des femmes fondées sur les principes de l’agroécologie. Au contraire, elle réduit le rôle des petits exploitants agricoles et des femmes en particulier, et les éloigne du processus de prise de décision en matière de politique et de développement.

« L’agriculture fondée sur la diversité n’est pas conçue pour optimiser la productivité, mais pour assurer la stabilité globale. »
Les femmes sont les gardiennes de la conservation des semences, garantissant la sécurité alimentaire et la diversité génétique. Malheureusement, les nouvelles politiques et lois de protection des variétés végétales et des semences marginalisent les femmes et incriminent leurs pratiques séculaires de libre échange de semences. De même, la menace de l’introduction de semences génétiquement modifiées est maintenant réelle au sein de notre région, et dans mon propre pays, la Tanzanie. La réglementation actuelle pour assurer la sécurité de l’environnement des petits exploitants et la nourriture qu’ils produisent pour leurs familles et les marchés est modifiée sans leur implication. Les connaissances limitées des agriculteurs sur les impacts négatifs de ces technologies compromettent également leur capacité à défendre leurs positions.

Changer de politique

Avec la forte présence des petits exploitants dans la production agricole, la dynamique de la politique doit changer à tous les niveaux afin que les petits exploitants agricoles, surtout les femmes, participent à la prise de décision et puissent faire intégrer leurs priorités dans les politiques agricoles appropriées. Ces politiques agricoles doivent veiller à ce que le pouvoir de choix et d’innovation reste entre les mains des petits exploitants, de leurs organisations et des communautés qui produisent de la nourriture. Ceci est également valable pour les pasteurs, les pêcheurs et les habitants des forêts qui contribuent au système alimentaire de façon durable et significative.
À tous les niveaux, les politiques doivent se concentrer sur les aspects suivants :
•Veiller à ce que les agriculteurs, en particulier les femmes, restent au centre des systèmes de production de semences localisées et que les agriculteurs définissent eux-mêmes les améliorations nécessaires à apporter aux semences
•Soutenir les réseaux de vulgarisation dirigés par les agriculteurs qui forment les agriculteurs aux techniques agro-écologiques, tout en les mettant en contact avec la recherche et les ressources
•Reconnaître et développer la diversification des semences gérée par les agriculteurs, le matériel génétique local et la capacité organisationnelle et technique
•Affecter des terres aux petits exploitants et garantir l’accès aux femmes et aux jeunes
•Retirer la propriété des semences fournies aux agriculteurs par les institutions et les programmes publics
Il ne fait donc aucun doute que, malgré le manque d’engagement politique clair pour soutenir les femmes et l’agroécologie, les mouvements sociaux retrouvent tout leur dynamisme et continuent de préconiser, de pratiquer et de diversifier les systèmes agricoles par le biais de l’agroécologie. Ces mouvements sont appelés à influencer la prise de décision et l’adoption de principes agro-écologiques dans les sphères nationales et internationales. Une fois les principes de l’agroécologie fermement ancrés dans l’élaboration de la politique africaine, les femmes peuvent reprendre leur place légitime au cœur de la transformation agricole.

Sabrina Nafisa Masinjila

Responsable de la sensibilisation et du plaidoyer du
Centre africain pour la biodiversité
http://acbio.org.za/
Note :
Les déclarations contenues dans cet article ont d’abord été présentées à l’Assemblée du Réseau des Bailleurs de Fonds en Afrique en juillet 2015, en Tanzanie, lors d’une session parrainée par la Fondation New Field.