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Editorial
Dames combattantes
Un proverbe africain dit que « la femme est la fleur de la terre ».
Devrions-nous y ajouter qu’elle tient ses promesses ? En tout cas, organisées ou non, elles sont partout, dans les périmètres irrigués, les forêts, les bas fonds et marécages. Elles s’investissent aussi dans les terres arides ou semi-arides, dans les quais de pêche, exécutant souvent des tâches que les hommes méprisent. Les femmes portent le fardeau de la sécurité alimentaire, de l’intégrité de la famille et d’autres besoins sociaux que les bourses masculines négligent. C’est pourquoi, à la place de l’indifférence, les efforts de la paysanne méritent attention et reconnaissance.
En vérité, les femmes ne constituent pas uniquement de la main-d’œuvre agricole facile à mobiliser et dont l’utilité de ne dépasse pas la capacité de leurs biceps. Elles sont des actrices majeures de l’agriculture telle que nous l’observons et la vivons dans nos campagnes. On peut même se demander ce que serait la production agricole sans elles. La cultivatrice est un élément central de nos systèmes agricoles. Elles sont à la fois des conservatrices et des innovatrices agroalimentaires.
Ce numéro 31.4 d’AGRIDAPE se joint aux nombreuses initiatives qui empruntent des robes d’un hommage. Seulement, les angles différent car ici, il est jugé important de valoriser la femme paysanne dévouée à l’agriculture, qui trime, sue et transpire sous le chaud soleil, loin des lambris dorés des métropoles, pour garantir la sécurité alimentaire et nutritionnelle de la famille. En d’autres termes, cette édition s’intéresse au débat visant une meilleure compréhension du rôle des femmes dans la promotion de l’agroécologie.
Champs écolo…
Les actions et les projets foisonnent dans nombre de pays. Quelques cas qui peuvent faire école ont attiré notre attention. Au Mozambique, des cultivatrices réussissent à mettre en place un modèle agroécologique qui remet en cause la production alimentaire industrielle à grande échelle. Par ailleurs, ces paysannes dénoncent un accaparement de leurs ressources foncières, un phénomène aujourd’hui continental, qui chasse les agriculteurs locaux de leurs terres. Grâce à leurs initiatives, ces femmes contribuent à placer leur pays sur la voie du développement durable, tout en renforçant leurs positions dans la défense des semences paysannes pour une nourriture locale saine.
L’exploitation optimale des ressources foncières peut avoir des effets surprenants. L’Association Mouvement des Paysans Sans Frontière a réussi le pari de démontrer qu’avec une bonne organisation sociale et une détermination, toute portion de terre peut procurer des rendements pour le bien-être de la communauté. Grâce à des fermes écologiques, ce groupe de producteurs réalise une agriculture intégrée, productive et durable dans la localité à forte densité humaine de Bingo (Burkina Faso), où les terres encroutées sont prédominantes du fait de la pression foncière. D’où l’utilité d’analyser l’historique, les attitudes des acteurs, les techniques et les acquis de ces fermes écologiques. C’est un modèle d’exploitation des terres qui a aidé Bingo à relever le défi de la quantité et de la qualité, tout en réduisant la pression sur les ressources naturelles.
S’adapter aux contraintes
La qualité du sol mérite cependant d’être entretenue sinon améliorée, notamment dans les zones semi-arides. Cela demande de l’imagination. C’est ainsi que des feuilles mortes ont été utilisées pour redonner vie à la terre. C’est ce que l’expérience de Tani Lankoandé a révélé. En effet, dans les pays du Sahel, le changement climatique est l’une des principales contraintes auxquelles font face les agriculteurs. Ce phénomène est aussi pour ces derniers une source d’inspiration intarissable. Çà et là, on recense des cultivateurs et cultivatrices qui, pour s’adapter à un environnement de moins en moins propice à l’activité agricole, font appel à leur esprit créatif. Ils mettent en place des innovations à partir de leur observation, de leurs connaissances endogènes et en utilisant des matériaux locaux. Ces innovations qui, progressivement, changent leur vie et a un impact dans leur communauté.
Au Sénégal, à travers le micro-jardinage, les paysannes sont des pionnières de l’agroécologie. Les exemples font flores. Dans un article, la chercheuse Maïmouna Dieng revient sur diverses initiatives en faveur de l’agroécologie menées par des femmes et leurs organisations sénégalaises. Cet article est inspiré d’une étude récente réalisée par Pesticide Action Network (PAN) Africa qui consistait à diffuser les bonnes pratiques agricoles des femmes agricultrices du Sénégal.
Sous-évaluation de l’apport des petits exploitants
La Fondation New Field appuie l’autonomisation des associations de femmes rurales et l’agroécologie en Casamance au Sénégal. Dans le Sud de ce pays, une région du reste à vocation agricole, les paysannes et leurs organisations font face à d’énormes contraintes pour réaliser leurs activités de production agricole. Pourtant, elles sont les garantes de la sécurité alimentaire et nutritionnelle au sein de leurs ménages. C’est ainsi que la fondation a mis en œuvre un vaste programme de soutien aux associations de femmes rurales, pour renforcer l’égalité des sexes et fournir des ressources qui facilitent le bien-être de la famille et de la communauté.
Il se trouve qu’une solution globale et durable exige que des décisions soient prises et des stratégies définies au niveau régional. La place de l’exploitation familiale dans l’agroécologie doit pousser à une redéfinition des politiques, s’il en existe. En effet, le rôle des femmes rurales et des petits exploitants dans la société africaine a été fortement sous-évalué. Il en est ainsi en dépit du fait que près de 80 % de la population de l’Afrique est tributaire de l’agriculture à petite échelle. Celle-ci est l’épine dorsale de l’économie rurale et les femmes fournissent 70 % de la main-d’œuvre agricole. Il est donc évident que donner à celles-ci une place importante dans l’agriculture durable est crucial. Dès lors, le défi est de savoir comment promouvoir au mieux ses pratiques agroécologiques dans un contexte défavorable, mais aussi comment les méthodes agricoles endogènes éprouvées peuvent être intégrer dans les politiques, aussi bien au niveau local que national.
Emergence d’identités remarquées
Des dames se sont distinguées dans le processus de valorisation des innovations agricoles locales. Elles sont en train de se forger des identités remarquables dans le monde rural. Ce numéro d’AGRIDAPE fait siens quelques profils de femmes qui sont aux avant-postes du combat de la promotion de l’agroécologie. Le magazine partage donc le portrait de trois paysannes et leaders du mouvement en faveur de l’agroécologie. Ces cultivatrices appliquent de nouvelles pratiques novatrices dans leurs activités de production alimentaire.
La FAO n’est pas insensible à la dynamique observée chez les femmes engagées dans les productions agricoles avec de faibles apports extérieurs. Elle a organisé le premier symposium panafricain sur l’agroécologie à l’occasion de laquelle plusieurs femmes ont participé et plusieurs de leurs expériences et bonnes pratiques partagées. L’opportunité a été également saisie pour plaider pour des efforts plus accentués en faveur de l’agriculture familiale dont le pilier essentiel demeure la paysanne. En montrant les initiatives et les actions menées par les productrices, avec ou sans appui de partenaires étatiques ou d’organisations de la société civile, cette édition contribue à la facilitation des échanges et de l’apprentissage entre les acteurs du développement et les femmes, mais aussi entre hommes et femmes paysans tout court.
Le mérite de ces combattantes peut être banalisé par le temps, mais assurer l’alimentation de la famille est un défi sécuritaire qui n’est pas moins important que les autres priorités qui mobilisent les Etats, fussent-elles économiques ou géostratégiques. Ici, c’est la survie voire l’existence de la population qui est en jeu. D’où l’attention particulière qui doit être portée à l’égard de l’exploitation familiale.