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Premier symposium panafricain sur l’agroécologie : pour une transition agroécologique en Afrique

A l’occasion du premier symposium panafricain sur l’agroécologie du 5 au 6 novembre 2015 à Dakar (Sénégal), la société civile africaine, les décideurs, les chercheurs et les agriculteurs ont partagé leurs points de vue sur l’agroécologie comme une solution aux enjeux climatiques et une réponse aux besoins des agriculteurs familiaux en Afrique subsaharienne. Le symposium s’est conclu sur une série de recommandations pour placer résolument l’agroécologie au centre du développement agricole de l’Afrique.

Partout dans le monde, ce sont les exploitations familiales qui garantissent une alimentation saine et suffisante. En Afrique subsaharienne, 80 % des exploitations sont de type familial. Les agriculteurs familiaux produisent environ 80 % de la nourriture consommée en Afrique. Ils rencontrent de plus en plus de difficultés liées aux changements climatiques, à la dégradation des sols, mais également à l’accaparement des terres et des ressources en eau, ainsi qu’à l’affaiblissement des systèmes semenciers locaux. Cette situation présente de sérieuses menaces pour la souveraineté alimentaire des peuples. Elle est plus pressante en Afrique subsaharienne où près de 239 millions de personnes font face à de graves problèmes liés à la faim et à la malnutrition.

C’est dans ce contexte que des producteurs, des mouvements sociaux, des acteurs du secteur privé, des universités, des chercheurs, des décideurs et des représentants de communautés se sont réunis à Dakar les 5 et 6 novembre 2015, dans le cadre du « Symposium africain de l’agroécologie ». La rencontre s’est tenue à l’initiative de l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) en accord avec le gouvernement du Sénégal.
Cette rencontre régionale fait suite au « Symposium international sur l’agroécologie pour la sécurité alimentaire et nutritionnelle » qui a eu lieu à Rome, en septembre 2014. L’objectif était de partager des expériences et les bonnes pratiques en matière d’agroécologie en Afrique et d’identifier les obstacles liés à l’adoption de l’agroécologie. Il s’agissait également de proposer des stratégies pour les surmonter et formuler une série de recommandations solides sur la meilleure façon de renforcer et d’accélérer la transition agroécologique en Afrique.

Les participants ont abordé de manière remarquable, au cours de ce symposium, la façon dont les agriculteurs familiaux, leurs organisations et leurs partenaires s’évertuent à mettre en place des systèmes alimentaires durables, résilients et équitables, adaptés aux réalités culturelles, économiques et agroécologiques du continent. Ils ont affirmé clairement que l’agroécologie est le modèle agricole le plus approprié pour relever les défis de la sécurité alimentaire et nutritionnelle, de l’adaptation aux changements climatiques, de la préservation des ressources naturelles, également celui de la réduction de la pauvreté en milieu rural.

En prélude à cette rencontre régionale, la Coordination Nationale des Organisations Paysannes du Mali (CNOP) et ses alliés mondiaux ont organisé le Forum international sur l’agroécologie au Centre Nyéléni, en février 2015. Les mouvements sociaux présents ont saisi cette occasion pour discuter des questions relatives à la souveraineté alimentaire et à l’agroécologie. Les participants de la réunion au Mali ont formulé une déclaration qui définit la vision des petits exploitants de l’agroécologie. Selon les petits exploitants, l’agroécologie est une approche tirée par les producteurs alimentaires et un outil politique qui « nous oblige à bousculer et transformer les structures de pouvoir dans la société ». Le forum 2015 de Nyéléni était une étape importante dans la lutte pour la souveraineté alimentaire et l’agroécologie en Afrique. Le symposium de Dakar est venu renforcer les engagements et les résultats du forum de Nyéléni pour la souveraineté alimentaire en Afrique.

L’agroécologie, une méthode agricole paysanne riche d’une longue histoire

Selon Million Belay (AFSA), « l’agriculture conventionnelle a montré ce dont elle est capable. S’il est vrai qu’elle a permis d’augmenter les rendements grâce à l’utilisation d’intrants chimiques, elle a également provoqué la pollution et a contribué aux changements climatiques, aux inégalités et à l’accaparement des terres, ainsi qu’aux problèmes de santé. Il nous faut un nouveau paradigme pour aller vers la souveraineté alimentaire. Aujourd’hui, nous devons repenser notre agriculture pour réduire notre déficit alimentaire, car l’Afrique subsaharienne, où 32 % de la population souffre de la faim, est la région la plus sévèrement touchée dans le monde » a-t-il soutenu.

Les participants de la société civile ont souligné les limites du modèle agricole dominant qui repose sur l’utilisation intensive d’intrants externes. Ce modèle, partie intégrante de l’approche de la révolution verte, est actuellement encouragé en Afrique par les multinationales, les entreprises agricoles, les sociétés d’engrais et de grandes fondations telles que Syngenta et la Fondation Bill et Melinda Gates. Cette approche a échoué. Elle a entraîné une dégradation exacerbée des sols, des inégalités chez les communautés de petits exploitants agricoles et la surexploitation des ressources halieutiques et marines, etc.

Les participants ont montré que l’agriculture paysanne est intrinsèquement plus résiliente, car elle ne dépend pas de l’utilisation intensive de produits agrochimiques coûteux et est plus adaptée à l’exploitation durable des ressources naturelles. Dans les communautés de petits exploitants, les ressources naturelles telles que les forêts et les arbres revêtent également une importance spirituelle. Les communautés les traitent par conséquent avec un profond respect. Selon Mariana Sonko, de « Nous sommes la solution », une organisation basée au Sud du Sénégal, « les éléments naturels sont perçus comme des forces mystiques et représentent nos ancêtres. Ces éléments nous nourrissent et nous guérissent ».

Les décideurs politiques, les représentants de la société civile, les producteurs et les chercheurs ont tous convenu que l’agroécologie est une communauté de pratiques inspirées de la culture et du potentiel d’un territoire. Ibrahima Seck de la Fédération Nationale l’Agriculture Biologique(FENAB) a précisé que « l’agroécologie, dans ses quatre dimensions (écologique, économique, sociale et culturelle), peut être appliquée à tous les contextes ». Selon lui, l’agroécologie est un système agrosylvopastoral intégré basé sur le patrimoine culturel des communautés.

Pour réduire la faim et préserver les ressources naturelles

Jose Graziano Da Silva, Directeur général de la FAO, estime que les systèmes alimentaires socialement équitables, respectueux de l’environnement et adaptés aux réalités culturelles jouent un rôle clé dans la lutte contre la faim. Ils contribuent également à la réalisation de la sécurité alimentaire et à l’amélioration de la nutrition, ainsi qu’à la promotion de l’agriculture durable. Pour sa part, Pape Abdoulaye Seck, ministre sénégalais de l’Agriculture et de l’Equipement rural, a confirmé la nécessité de réfléchir sur des approches alternatives et sur une gestion intégrée qui mettent l’accent sur les processus écologiques, les relations des écosystèmes agricoles, la conservation des ressources naturelles, tout en valorisant la diversité et les connaissances traditionnelles afin d’améliorer les moyens de subsistance des agriculteurs.

Les discussions ont aussi mis l’accent sur la contribution de l’agroécologie à la sécurité alimentaire, à l’emploi des jeunes en milieu rural, au développement local et à l’émergence des économies locales. L’agroécologie est plus qu’un simple moyen d’augmenter des rendements tout en protégeant l’environnement.
Les panélistes principaux et les membres des sessions plénières ont également souligné sa dimension sociale, par la réduction de la pauvreté et de l’inégalité, ainsi que celle qui est politique, comme en témoignent les mouvements sociaux adeptes d’une politique publique favorable et protectrice des droits des petits producteurs en matière d’accès aux ressources et de contrôle de ces dernières.

Développer les connaissances sur l’agroécologie par la recherche et l’apprentissage

« L’agroécologie devrait être conçue, co-gérée et co-évaluée par toutes les parties prenantes. L’agroécologie ne se décrète pas ; la méthodologie doit être décidée par les communautés à la base. » - Pape Abdoulaye Seck, ministre sénégalais de l’Agriculture et de l’Equipement rural

S’appuyant sur la reconnaissance du fait que l’agroécologie est au cœur de la solution pour éradiquer la faim et préserver les ressources naturelles, le symposium s’est penché sur la manière d’influencer efficacement les politiques publiques pour promouvoir cette forme d’agriculture. L’une des idées maîtresses qui ont émergé, est qu’il est important de réfléchir sur des méthodes et des approches visant à valoriser les connaissances écologiques des agriculteurs familiaux et à s’y appuyer.

Les débats ont souligné les capacités d’innovation que les agriculteurs familiaux ont toujours montrées afin de relever les défis que posent la sécurité alimentaire et les changements climatiques. Selon le Dr Ibrahima Diédhiou, « les petits exploitants testent de nouvelles façons de faire les choses. Ces innovations ont permis d’améliorer les moyens de subsistance des communautés des petits exploitants. Malheureusement, cette impressionnante capacité d’innovation des communautés locales reste sous-évaluée ». Il a fait part d’un exemple du projet « Promouvoir l’Expérimentation et l’Innovation Paysannes au Sahel (PROFEIS) » mis en œuvre au Sénégal et au Mali. Celui-ci applique une approche participative pour développer des « îles de la fertilité » à l’aide du Piliostigma reticulatum pour la production de mangues dans les zones semi-arides.

De nombreux participants au symposium de Dakar ont souligné l’importance des femmes et des jeunes dans le processus de changement social nécessaire pour une meilleure promotion de l’agroécologie. « En Afrique, les jeunes représentent 60 % de la population ; il s’agit là d’une main- d’œuvre que l’on peut valoriser et utiliser à travers le développement de l’agroécologie », a déclaré Paul Nyabenda, du Mouvement International de la Jeunesse Agricole et Rurale Catholique (MIJARC) du Rwanda.

Les champs-écoles, une composante de longue date de la GIPD de la FAO ,et les champs-écoles d’agroécologie destinés à former les jeunes agriculteurs, conçus dans le cadre des Jardins d’Afrique, ont été mentionnés comme des initiatives à renforcer pour promouvoir le partage des connaissances et le renforcement des capacités.
Pour Elizabeth Mpofu de La Via Campesina, le partage de connaissances et d’expériences entre les différents pays constitue un facteur clé pour le développement de l’agroécologie en Afrique subsaharienne. A cet égard, elle recommande à la FAO de « travailler avec les organisations de producteurs pour soutenir la mise en place de plateformes de connaissances visant à promouvoir l’apprentissage entre agriculteurs ».
La déclaration finale du symposium recommande aux universités et aux instituts de recherche de « renforcer les connaissances locales via le renforcement des connaissances communes et la recherche participative ». D’une manière générale, les participants ont estimé que la transition agroécologique implique « un rapport de force entre les différents niveaux d’acteurs qui conduit à une confrontation d’idées et de valeurs », d’où découlera le besoin d’opérer des changements fondamentaux dans la recherche et l’interprétation de ses résultats.

« Les petits exploitants ont été les pionniers de l’agroécologie. Ils ont mis en œuvre des solutions pour contrer les effets des changements climatiques. Nous devons nous rendre auprès des communautés pour nous imprégner de leurs connaissances et voir comment nous pouvons les mettre à l’échelle, car il s’agit de technologies relativement bon marché qui résolvent les vrais problèmes auxquels nous faisons face. (…) Cette rencontre devrait déboucher sur un véritable engagement des Etats envers l’agroécologie. » - Ibrahima Coulibaly, Coordination Nationale des Organisations Paysannes (CNOP, Mali)

Pour des politiques favorables à la transition agroéologique en Afrique !
Au cours du symposium, les experts et les participants ont examiné comment l’agroécologie peut être une réponse efficace aux trois crises que sont l’insécurité alimentaire et nutritionnelle, les changements climatiques et la dégradation des sols. Toutefois, les politiques alimentaires et agricoles actuelles favorisent la modernisation de l’agriculture via une production commerciale à grande échelle, souvent pour des cultures d’exportation reposant sur des intrants externes. S’il est vrai qu’elles ont permis à de nombreux pays africains de connaître une croissance agricole (grâce à l’accélération des exportations de coton, de cacao, d’arachides et d’autres denrées de base), ces politiques ont été à l’origine de multiples crises alimentaires et nutritionnelles chroniques, particulièrement pour les petits agriculteurs et éleveurs des zones arides. Par conséquent, les participants ont convenu qu’un changement de paradigme est nécessaire dans la politique agricole afin de placer le continent sur la voie vers des systèmes de production alimentaire durables, résilients et équitables, fondés sur ses propres ressources.

Le symposium a spécifiquement examiné les mesures institutionnelles nécessaires pour faciliter une grande transition agroécologique en Afrique. De nombreux intervenants ont plaidé en faveur d’un contrôle et d’une gestion accrus des ressources naturelles par les communautés locales afin d’encourager la transition vers une agriculture durable et écologique. Il a été spécifiquement mentionné les processus d’aménagement du territoire comme un moyen de veiller à ce que la terre, les arbres, l’eau et d’autres ressources naturelles restent sous le contrôle des communautés locales et non des investisseurs étrangers. Ces processus supposent l’intégration des pratiques agroécologiques spécifiques au contexte dans les plans de développement local, en partie pour respecter les engagements dans le cadre du Programme Détaillé de Développement de l’Agriculture Africaine (PDDAA) à l’échelle du continent. Cela pourrait être un vecteur essentiel pour encourager une plus large adoption et diffusion de l’agroécologie dans la pratique et la politique.

Lors des débats, les participants ont également préconisé la création et la mise en œuvre de politiques inclusives de gestion des ressources naturelles en fonction des réalités africaines, à la lumière des Directives volontaires, pour une gouvernance responsable des régimes fonciers applicables aux terres. La déclaration finale du symposium exhorte les gouvernements, les décideurs et les partenaires techniques et financiers, à « garantir l’accès des producteurs, en particulier les femmes, les jeunes et les peuples autochtones, aux ressources naturelles, notamment la terre, l’eau et la biodiversité », afin de leur garantir les droits fonciers en vertu des Directives volontaires de la FAO.

Les participants ont également recommandé aux pays africains d’élaborer des cadres nationaux de politique agroécologique et des plans d’actions similaires à ceux récemment mis en place en France et au Brésil, avec la pleine participation des mouvements sociaux. Enfin, ils ont recommandé la mise sur pied d’une plateforme régionale sur l’agroécologie pour permettre aux acteurs clés de partager leurs expériences et de diffuser les innovations. Les participants ont proposé que cette plateforme soit coordonnée par la FAO et/ou le NEPAD.
La déclaration finale préconise également la création de marchés locaux pour les produits agroécologiques , afin de créer des opportunités économiques pour les jeunes et de les inciter à rester dans leurs communautés. Cette solution constituerait également un moyen efficace de lutter contre le sous-emploi. La société civile devrait « faciliter le réseautage et la mobilisation des acteurs »pour assurer la mise en œuvre d’économies solidaires favorables à l’agroécologie, ont estimé les participants.

« Il est clair que les Etats doivent engager davantage de ressources pour le développement et la mise à l’échelle des pratiques agroécologiques. » - Dr Emile Coly, Président du Comité national d’organisation du Symposium africain sur l’agroécologie

À bien des égards, le symposium a renforcé la reconnaissance officielle de l’agroécologie comme une approche pertinente et éprouvée pour soutenir le développement rural et la sécurité alimentaire et nutritionnelle en Afrique, à travers la production alimentaire des exploitations familiales.
Au sortir de ce symposium, il faut reconnaitre que plusieurs questions devront faire l’objet d’échanges, notamment celles relatives à l’intégration de l’agroécologie dans le PDDAA, un programme fortement orienté vers le soutien à l’industrie agroalimentaire. Aussi faudra-t-il s’accorder sur comment dépasser la forte influence des entreprises agroalimentaires, des sociétés d’engrais, de l’Alliance pour une Révolution Verte en Afrique (AGRA) et de la Nouvelle Alliance du G8 pour la Sécurité Alimentaire et la Nutrition sur les processus d’élaboration des politiques.

A l’avenir, ces questions devront être traitées de manière plus détaillée et exhaustive. Des cadres d’échange de ce genre devront voir le jour pour maintenir le dialogue sur ces questions citées ci-dessus. En effet, elles ont globalement suscité chez les participants l’impression que le statu quo risque de prévaloir en Afrique, à la place d’un changement fondamental vers l’agroécologie. Comme indiqué dans la déclaration de Nyéléni, « les véritables solutions aux crises du climat, de la malnutrition, etc., ne passeront pas par le modèle industriel. Nous devons le transformer et construire nos propres systèmes alimentaires locaux qui créent de nouveaux liens entre les milieux rural et urbain, sur la base d’une production alimentaire agroécologique des paysans, pêcheurs artisanaux, éleveurs, peuples autochtones, agriculteurs urbains, etc. »

Souleymane Cissé
Assistant de programme, IED Afrique
Email : cisse.souleye@gmail.com
Mersha Yilma
Coordinateur de la Communication de MELCA
Email : mersy1@ymail.com