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Sécurité alimentaire et agroécologie en Guinée : Sara fait cap sur des ODD
Le projet "Sécurité alimentaire, Résilience et Agroécologie en Guinée" (Sara) a été initié en octobre 2016 par le Gret et ses partenaires, en réponse à l’épidémie de maladie à Virus Ebola et aux effets des changements climatiques . Ses actions soutiennent le développement de plusieurs filières vivrières et maraîchères cruciales pour l’alimentation des familles et la sécurité alimentaire en Guinée. Le projet appuie notamment l’amélioration des conditions de production agricole selon les principes de l’agroécologie, la valorisation de pratiques et techniques paysannes existantes et l’introduction d’innovations adaptées.
Le projet Sara soutient les organisations paysannes et professionnelles qui mènent des activités de production, transformation et/ou commercialisation, et contribue à la structuration des filières avec un partage équitable des revenus et la recherche de débouchés locaux.
Le projet inclue aussi des actions de sensibilisation aux bonnes pratiques nutritionnelles et de mobilisation communautaire, en recherchant une synergie et des passerelles entre les activités agricoles et la nutrition.
Le projet Sara a commencé en octobre 2016 pour une durée de 3 ans, avec un budget total de 3,7 millions d’euros. Il est cofinancé par l’Union européenne (81%), le CCFD-TS (14%), le programme « Promotion de l’agriculture familiale en Afrique de l’Ouest » du Comité français pour la solidarité internationale et de la fondation de France, ainsi que par les apports d’autres partenaires et des bénéficiaires (5%).
Les interventions sont principalement concentrées en Moyenne Guinée sur les filières riz, maïs et pomme de terre et en Guinée Forestière sur les filières riz et huile de palme rouge, avec également des actions de promotion du riz de mangrove de qualité en Basse Guinée. Le projet appuie également l’organisation d’ateliers de concertation régionaux et nationaux, de visites d’échanges, d’actions de plaidoyer, de capitalisation et de communication.
Un projet inscrit dans plusieurs objectifs de développement durable
L’objectif du projet est d’améliorer la résilience en renforçant l’autonomie des ménages ruraux par :
• l’appui à une production agricole accrue, diversifiée, et à une meilleure couverture des besoins des familles des producteurs, via l’amélioration des conditions de production des exploitations agricoles familiales basée sur des principes agroécologiques ;
• une augmentation et une répartition équitable de la valeur ajoutée entre les différents maillons des filières (production, transformation, commercialisation), et ainsi une augmentation des revenus des ménages vivant de ces filières ;
• un meilleur approvisionnement des centres urbains en produits locaux de qualité ;
• une amélioration des connaissances et des pratiques alimentaires et nutritionnelles des ménages.
Ainsi, le projet, dans son ensemble, vise à contribuer à l’atteinte de plusieurs objectifs de développement durable (ODD) dont principalement l’ODD 1, à travers un soutien à la croissance agricole et aux activités de transformation et commerce des ménages et la réduction de la pauvreté via l’augmentation de leurs revenus.
Le projet contribue également à l’atteinte de l’ODD 8 qui vise à promouvoir une croissance soutenue, partagée et durable et en partie aussi à l’ODD 10 axé sur la réduction des inégalités dans le pays et entre les pays. En effet il promeut une rémunération meilleure du travail dans les emplois du secteur de la production (ouvriers agricoles, notamment en Moyenne Guinée) et de la transformation (apprentis dans des ateliers), mais également dans l’auto-emploi (accès au foncier, accès à des activités économiques sur l’aval de la filière).
Le projet appuie aussi la recherche d’une répartition équitable des revenus entre les différents maillons des filières et la mise en place d’accords interprofessionnels, notamment dans le cadre des activités liées à la production de riz de mangrove vendu sous une marque collective, avec une répartition consensuelle des marges entre producteurs, étuveurs, décortiqueurs et commerçants. En travaillant à une revalorisant du travail des producteurs et des autres acteurs en milieu rural, le projet vise aussi à réduire les disparités économiques entre ruraux et urbains.
Sur les 230 000 bénéficiaires estimés en fin d’année 1 (octobre 2017), 60 % sont des femmes, nombreuses dans le secteur de la production en Moyenne Guinée mais aussi dans la transformation du riz et de l’huile de palme en Basse Guinée et Guinée Forestière.
En renforçant leurs activités économiques et leurs capacités en gestion et management des organisations, le projet contribue à une plus grande autonomie financière et à une meilleure représentation dans les processus de décisions des groupements et dans les discussions entre les acteurs et avec les services de l’Etat et partenaires (ODD 5).
L’ODD 12 n’est pas négligé dans la mesure où les expériences contribuent à établir des modes de production et de consommation durables via une démarche agroécologique, une amélioration de la qualité des produits, et en mettant en relation les producteurs et les consommateurs.
Agroécologie : focus sur les actions en Guinée Forestière
Dans le cadre de ses appuis à la production agricole, le projet Sara a développé en Guinée Forestière une démarche de promotion de pratiques agroécologiques dont l’objectif est d’améliorer les conditions de production au bénéfice d’une agriculture familiale plus autonome et plus économe en intrants externes, capable de valoriser en priorité ses ressources propres et de maîtriser ainsi son endettement.
Sur le plan environnemental et sanitaire, elle contribue fortement à la réduction de l’utilisation des herbicides et des engrais minéraux au profit d’engrais organiques et de bio-pesticides, et favorise la limitation de la déforestation. Au niveau social, elle améliore l’alimentation de la famille par la consommation d’aliments variés et la diminution des risques sanitaires liés aux produits chimiques.
Tous ces éléments concourent à la réduction de la charge et de la pénibilité du travail, et à la croissance des revenus des jeunes et des femmes.
Dans la région forestière, la démarche agroécologique a été co-construite avec l’ensemble des acteurs (paysans, équipe du projet Sara, recherche agronomique, organisations paysannes, services techniques de l’Etat), et associe savoir-faire locaux traditionnels et innovations. Elle a reposé sur quatre grandes étapes :
- la réalisation d’un diagnostic des exploitations agricoles familiales, des systèmes de culture et des pratiques paysannes dont celles basées sur des principes agro écologiques ;
- l’identification et la sélection de techniques et pratiques agroécologiques à valoriser ou introduire, validées collectivement et de façon participative ;
- La formation des conseillers techniques des organisations d’appui (Gret et organisations paysannes) et des paysans relais ;
- L’expérimentation et le suivi de ces techniques et pratiques en associant les paysans (paysans relais mais aussi groupements agricoles), la recherche agronomique et les conseillers techniques.
Le projet Sara a d’abord mis en œuvre en Guinée forestière un diagnostic en partenariat avec l’Institut de recherche agronomique de Guinée (Irag), via un binôme d’étudiants franco-guinéen, et avec l’appui ponctuel d’une consultante internationale. Il s’agissait de réaliser dans deux zones représentatives (savanicole et sylvicole) une analyse globale du territoire suivie d’une analyse approfondie des systèmes de culture, pour dresser une typologie des exploitations agricoles, afin de décrire les calendriers culturaux et d’identifier des pratiques et techniques culturales existantes.
Les contraintes, besoins et priorités des paysans et de leurs groupements, ont également été analysés afin de déterminer les pratiques agroécologiques à expérimenter.
Le diagnostic s’est terminé par un atelier de synthèse réunissant les différents partenaires (services techniques de l’ Etat, fédérations), l’équipe du projet et des représentants des groupements de chaque zone du diagnostic. Il a permis une revue des pratiques et techniques identifiées, la sélection de propositions techniques à tester et l’élaboration des modalités d’expérimentation, de suivi et de diffusion par des paysans relais, choisis par leurs pairs.
Renforcement de capacités
Les étapes suivantes de la démarche ont été la formation de l’équipe du projet et des conseillers techniques des organisations paysannes à l’agroécologie (définitions, objectifs, exemples de pratiques), l’identification et la formation de paysans relais (détermination des critères, entretiens avec les groupements et individuels, visite de terrain, validation participative de l’ensemble du groupement, formation suivant différents modules progressifs), l’élaboration d’un protocole expérimental simplifié comprenant une parcelle agroécologique et une parcelle témoin, et l’élaboration d’outils de suivi-évaluation (fiche de suivi et fiche d’évaluation post-expérimentation).
La démarche est fortement ancrée dans le réseau des groupements de producteurs, acteurs centraux dans la validation, la gestion et le suivi du processus. Cette approche associe aussi étroitement les services de l’Etat au niveau central et local, notamment la recherche agronomique (IRAG), le conseil agricole à travers l’Agence nationale de promotion et de conseil agricole (ANPROCA) et le Bureau de stratégie et de développement du ministère de l’Agriculture (BSD), afin qu’ils soient parties prenantes de ce processus de recherche de solutions aux problématiques de l’agriculture familiale et, à terme, d’adaptation des politiques publiques en conséquence.
Pour l’instant, 34 paysans relais issus de 17 groupements composés de 295 membres mettent en œuvre les formations théoriques et pratiques qu’ils ont reçues. Parmi les tests mis en place par les paysans relais et fortement appréciés au sein des groupements de producteurs, ces éléments sont particulièrement avantageux :
l’association et la rotation de cultures légumineuses/céréales, qui va permettre entre autres de réduire les risques de maladies et de ravageurs, d’optimiser l’utilisation des ressources naturelles, de valoriser les interactions et la complémentarité entre les cultures, de lutter contre les plantes adventices, et de maintenir et améliorer la fertilité et la structure du sol ;
l’utilisation des biopesticides, qui va limiter l’invasion et la propagation des ravageurs et maladies dans les cultures, en préventif et en curatif à un faible coût, sans risque sanitaire et environnemental, et en utilisant des matières organiques locales ;
l’utilisation des engrais verts (mucuna ou pueraria) avant la culture principale, qui va permettre d’améliorer la fertilité du sol en minéraux (notamment azote) et en matière organique pour favoriser la croissance des cultures. Elle permet aussi de protéger le sol contre l’érosion hydrique, de restructurer le sol en améliorant la porosité et en facilitant l’infiltration de l’eau dans le sol, et enfin éviter la propagation des maladies dans le champ ;
l’association agriculture-élevage (riz-canards), qui va permettre de lutter naturellement contre les herbes adventices, de valoriser les déjections animales pour augmenter la fertilité du sol, de désherber la parcelle, et d’améliorer simultanément la production agricole et des volailles.
Un exemple de pratique agroécologique innovante : l’association riz – élevage de canards
A titre d’exemple, la pratique innovante « association riz et élevage de canards » testée par plusieurs paysans relais, vise l’amélioration de la fertilité par les fientes des canards et à travers leur piétinement qui donne une bonne aération au sol. Elle permet aussi le désherbage du riz car les canards se nourrissent des adventices. Ainsi, l’association riz-canard contribue à l’augmentation du rendement du riz et à la réduction des coûts de production en s’affranchissant du recours aux herbicides et engrais minéraux.La vente à terme des canards constitue un revenu supplémentaire pour l’exploitant. Cette pratique contribue à la sécurité alimentaire et correspond aux habitudes des familles qui dans cette zone consomment de la viande de canard. L’introduction de cette pratique renforce l’autonomie des exploitations familiales, réduit la pénibilité du travail et la mobilisation de la main d’œuvre pour le désherbage, tout en renforçant les savoir-faire locaux.
Cette pratique a été initiée suite à l’identification d’une expérimentation au Sénégal, précisément en Casamance par l’ONG Afrique en vie. Des échanges sont prévus afin de partager les expériences sur cette pratique et le suivi évaluation des résultats permettra de produire des références en Guinée Forestière.
L’objectif est maintenant de poursuivre petit à petit les formations auprès de davantage de paysans relais et de membres de groupements dans la zone. Des échanges seront également menés avec d’autres acteurs travaillant en Guinée sur les mêmes thématiques, à travers des visites d’échange et des ateliers.
Les résultats des techniques et pratiques agroécologiques suivies étape par étape par l’équipe du projet accompagnée de l’IRAG, seront capitalisés sur chaque expérimentation en approfondissant les avantages et inconvénients de chacune, et les écueils à éviter ; ce afin de produire des références et des connaissances et de les partager.
L’analyse de la démarche s’attardera sur les changements de type technique et organisationnel - expérimentation de nouvelles pratiques, diffusion de ces pratiques auprès des paysans, mise en place d’un système d’accompagnement de ces changements au sein des groupements - et ainsi sur sa contribution aux ODD 1 et 12.
Un enjeu de promotion d’une agriculture familiale durable
Il est encore trop tôt pour tirer les enseignements de la démarche et des pratiques expérimentées en Guinée Forestière puisque les actions viennent de démarrer.
Cependant, les bases du projet et de la démarche agroécologique sont posées, et l’ensemble des équipes, des organisations partenaires, des paysans, des services techniques de l’Etat, et des acteurs publics et privés sont engagés afin de continuer à améliorer durablement les conditions de vie des agriculteurs familiaux et ménages ruraux guinéens, et ainsi contribuer à l’atteinte des objectifs de développement durable en Guinée.
Un atelier national a déjà été organisé en octobre 2017 pour échanger sur les enjeux du soutien de l’agriculture familiale et du développement de l’agroécologie en Guinée, et a connu un fort engouement. Il a permis de commencer un plaidoyer et des actions de communication en faveur d’une agriculture plus durable. Ce plaidoyer sera poursuivi tout au long du projet.
Auteurs :
Etienne Mauchard-Bah, Chef du projet Sara en Guinée
Jean 14 Koïvogui, Coordinateur régional du projet Sara en Guinée forestière
Cécile Broutin, Responsable du projet Sara, expert filières et marchés au siège du Gret
Floriane Thouillot, Chargée d’études filières agricoles au siège du Gret
Dominique Violas, Expert technique du Gret en agroécologie
Alice Villemin, Stagiaire en agroécologie
contact : mauchardbah@gret.org