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Opinion : L’ agroécologie peut-elle répondre aux défis du XXIème siècle ?
Face à la crise écologique dont souffre l’agriculture et aux impacts négatifs et limités de la « révolution verte », de multiples démarches visent à mettre en œuvre une agriculture agroécologique. L’ agroécologie répond aux défis à venir de l’humanité (sécurité alimentaire, développement des pays du Sud, emplois, transition écologique des modes de production et de consommation). Mais sa généralisation nécessite un soutien et des politiques publiques appropriées.
Les pratiques agricoles conditionnent à la fois la production de court terme et l’évolution de l’écosystème cultivé (fertilité du sol, biodiversité, microclimat). Depuis la naissance de l’agriculture, diverses évolutions de ses méthodes et techniques se sont succédé, en vue d’une amélioration de son potentiel productif.
Aujourd’hui, le secteur souffre d’une crise écologique majeure qui le remet profondément en cause. Du fait de la pression démographique, d’anciens systèmes de gestion de la fertilité (l’agriculture forestière, par exemple) ont disparu sans être remplacés.
De plus, les effets négatifs de la « révolution verte » sont multiples : dégradation de la fertilité des sols, pertes de terres agricoles, diminution de la biodiversité, épuisement de ressources non renouvelables, dégradation des paysages, contribution au changement climatique.
Dans les milieux fragiles, où le climat est instable, la « révolution verte » a donné peu de résultats et les paysans s’y opposent souvent. Ailleurs, après avoir permis une forte hausse des rendements, elle semble atteindre ses limites.
"Il importe que les politiques agricoles génèrent un environnement propice à l’agriculture familiale."
L’agroécologie peut contribuer à la sécurité alimentaire, grâce à une augmentation du rendement agricole global et à une réduction de sa variabilité d’une année sur l’autre. C’est le cas, notamment, quand elle répond à la crise de fertilité des écosystèmes. Les situations sont plus contrastées lorsqu’elle vient remplacer des systèmes issus de la « révolution verte ».
Du fait de la diversification des productions, l’agroécologie permet une amélioration de la qualité nutritionnelle et de l’alimentation. Elle offre l’avantage d’une baisse des coûts de production (intrants externes), génère de l’emploi et augmente le revenu et l’autonomie des femmes. Au niveau territorial, on observe des effets indirects sur les revenus et l’emploi (création de filières, stimulation du commerce local, etc.).
En limitant fortement les intrants chimiques, l’agroécologie contribue à réduire les risques pour l’environnement et la santé des populations. L’utilisation de ressources non renouvelables diminue : eau agricole, énergie, phosphore et potassium. Ses méthodes favorisent la biodiversité et veillent à la fertilité des sols, permettant de récupérer des terres devenues improductives, d’améliorer la résistance aux accidents climatiques (diversité des activités, pratiques de protection des sols) et de participer à la lutte contre le changement climatique.
Quelles conditions pour le développement de l’agroécologie ?
La transition agroécologique suppose un soutien prioritaire à l’agriculture familiale. En effet, celle-ci regroupe l’immense majorité des agriculteurs, au niveau mondial, et est à l’origine de près de 70 % de la production. De plus, l’agroécologie repose largement sur des connaissances et des savoir-faire accumulés au cours des siècles par l’agriculture familiale, qui devra sa survie à l’amélioration de l’écosystème, dont dépend à long terme sa propre reproduction sociale. Encore faut-il que les conditions socio-économiques de la production y soient favorables.
Il importe que les politiques agricoles génèrent un environnement propice à l’agriculture familiale. Soulignons que si celle-ci réussit à concilier les objectifs de court et de long termes (dont la reproduction de l’écosystème) en période de relative prospérité, elle privilégie en situation de crise le court terme, voire sa survie immédiate.
La transition agroécologique devient alors illusoire, d’autant qu’elle implique des investissements initiaux importants (y compris en travail) et présente un risque aux yeux des agriculteurs. L’État doit donc tout particulièrement encourager ces investissements pendant la période de transition (subventions, crédits spécifiques). La sécurisation de l’accès à la terre est cruciale, car les investissements dans l’écosystème peuvent difficilement être mis en œuvre, si la famille n’est pas certaine de bénéficier des résultats.
L’agroécologie suppose par ailleurs des connaissances et des savoir-faire spécifiques, souvent préexistants localement. La recherche agronomique devrait s’appuyer davantage sur les solutions agroécologiques, en articulation avec les expérimentations paysannes et les échanges d’expériences entre agriculteurs, sans oublier les organisations de producteurs. L’enseignement agricole ne porte pas encore assez sur le fonctionnement des écosystèmes cultivés et les logiques économiques paysannes, et omet de valoriser les connaissances et les savoir-faire des paysans.
L’État et les collectivités locales auraient tout intérêt à s’engager dans la valorisation des produits de l’agroécologie par la création de filières, le soutien des systèmes de garantie participative, les achats publics, la promotion de marchés paysans, etc.
L’agroécologie repose sur la préservation et la valorisation d’une grande diversité génétique, d’où la nécessité de reconnaître la possibilité pour les agriculteurs de réutiliser, échanger, vendre les semences et protéger l’agriculture des contaminations par les OGM.
Il ne s’agit donc pas seulement de « verdir » quelques composantes de la politique agricole, mais de la réorienter, tout en veillant à la cohérence de l’ensemble des décisions prises, y compris dans d’autres secteurs d’activités. La coopération internationale a un rôle à jouer : appui aux politiques nationales, mise en valeur des méthodes des programmes de recherche, promotion d’échanges de pratiques et d’expériences (vers une plateforme mondiale des compétences ?), soutien à la résistance contre les intérêts des lobbys.
L’agroécologie n’est pas une approche dogmatique ou réductrice. La transition agroécologique, qui prend en compte toutes les marges de progrès possibles pour remplacer peu à peu des techniques conventionnelles non-adaptées, mérite une ambition partagée des différents acteurs pour, avec un minimum de bon sens, revenir aux fondamentaux de l’agriculture et construire sur les territoires des systèmes agricoles et d’échanges plus autonomes, moins risqués pour notre société.
C’est cette agroécologie paysanne qui permettra de revaloriser le métier, les savoirs et les savoir-faire des paysans. Elle récréera du lien social, basé sur le respect et la confiance entre la société et une agriculture qui ne violente plus la nature.
Laurent Levard
Ingénieur agronome, spécialisé en développement agricole au Gret
Cet article s’appuie sur le rapport de la commission Agriculture et Alimentation (c2a) de Coordination Sud « Répondre aux défis du XXIe siècle avec l’agro-écologie : pourquoi et comment ? » et de la note du même nom.