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Ousmane Tiendrébiégo : Secrétaire général du Syndicat national des travailleurs agricoles et pastoraux du Burkina Faso « Les OGM, c’est la grande catastrophe de l’agriculture au Burkina Faso »

Le Burkina Faso est aujourd’hui l’épicentre du développement des organismes génétiquement modifiés dans la sous région Ouest africaine. Ce développement incontrôlé des OGM affecte cependant très négativement le secteur agricole et compromet la survie de nombreux producteurs selon Tiendrébiégo, producteur agricole et secrétaire général du Syndicat national des travailleurs agricoles et pastoraux du Burkina Faso.
Dans cet entretien, il brosse un tableau très peu reluisant d’une agriculture burkinabé tombée sous la coupe des producteurs d’OGM et en perte de productivité.

En tant qu’acteur paysan, quelle analyse faites-vous de la situation de l’agriculture au Burkina Faso ?

La situation de l’agriculture burkinabé est vraiment déplorable. Vue de l’extérieur, notre agriculture donne l’impression de ne souffrir d’aucun problème. Elle est souvent citée en exemple, mais c’est un véritable désastre pour quelqu’un qui connait la situation que vivent réellement les paysans. Sur le terrain vous constaterez que ça ne va pas.
Nos gouvernants sont mus uniquement par des considérations politiciennes et les programmes élaborés pour prendre en charge le développement de l’agriculture ne sont pas mis en application sur le terrain.

En dehors des contraintes d’ordre naturel, le problème principal de l’agriculture au Burkina Faso est lié à l’introduction de nouvelles technologies dont nous n’avons pas une parfaite maîtrise et qui ont un impact très négatif sur la vie des producteurs. Il n’y a qu’à voir les conséquences de l’introduction des OGM pour avoir une idée de l’ampleur de ce problème. L’introduction des OGM a commencé avec le coton BT développé par la firme Monsanto et puis avec celle du sorgho biofortifié.

Quels sont, à votre avis, les facteurs qui ont favorisé l’introduction des OGM au Burkina Faso ?

L’introduction des OGM n’a pas été quelque chose de voulu, c’est quelque chose qui a été imposé de l’extérieur, par les grandes puissances, notamment les Etats Unis. Malgré tous les désastres économiques constatés au niveau des producteurs le gouvernement est obligé de poursuivre.

La preuve, malgré le fait que de nombreuses voix se soient levées pour mettre en garde contre les dangers des OGM, les autorités gouvernementales multiplient les sorties pour confirmer leur engagement à soutenir le développement des OGM dans le pays. D’ailleurs, ils disent que depuis l’introduction des OGM, les paysans sont à l’aise. Mais tout le monde sait que ça ne va pas d’autant plus que le directeur des productions végétales a même reconnu qu’il y a eu dégradation de la qualité du coton.
L’expérience a démontré que ce n’est pas très adapté, ce fut une erreur. Même les premiers chercheurs qui se sont lancés dans la promotion des OGM ont été déçus par les résultats. Beaucoup de chercheurs ont abandonné. Ceux qui continuent sont ceux qu’on pousse, d’une manière ou d’une autre, pour qu’ils continuent à entretenir l’illusion que les OGM sont la solution à nos problèmes. Sinon les OGM c’est la grande catastrophe de l’agriculture au Burkina.

Concrètement, quels sont les problèmes engendrés par l’introduction des OGM au Burkina ?

On avait commencé à dire aux paysans qu’avec les OGM, ils allaient connaitre une amélioration substantielle dans leur production et que les producteurs qui accepteraient de se lancer dans le coton BT (coton OGM) allaient avoir au moins 30% d’amélioration de la productivité par rapport au coton conventionnel. Ils avaient aussi dit que le traitement se faisait deux fois seulement au lieu des six traitements nécessaires pour le coton conventionnel. La campagne de communication autour des OGM était si bien menée que les paysans étaient très contents à l’idée d’adopter les nouvelles variétés. Ils n’écoutaient même plus les mises en garde faites lors de nos tournées de sensibilisation.
Mais peu de temps après, ce fut la déception totale. Juste après les premières récoltes, les paysans se sont rendu compte qu’ils se sont fait avoir. La forte productivité qu’on leur a fait miroiter n’était en fait qu’un leurre. En réalité, même si les volumes de coton produits étaient relativement importants, le coton OGM se présentait de loin plus léger à la pesée que le coton conventionnel, à volume égal. Les camions qui faisaient 12 à 15t avec le coton conventionnel à la pesée se retrouvent avec 5 à 7 t et demie avec le coton BT. On atteint difficilement 8 tonnes par camion. Vous voyez le manque à gagner important engendré par cette nouvelle situation ?

Le désastre dans le coton c’est vraiment évident. Il y a eu des journalistes (une journaliste de RFI a mené une enquête sur les OGM au Burkina Faso) qui sont venus ici, ont mené des enquêtes et produit des articles pour éventer le secret de la recherche sur les conséquences des OGM. Des chercheurs avertis, de chez nous, ont dit depuis longtemps que les OGM allaient détériorer la qualité de nos graines de coton. Mais les résultats de leurs recherches n’ont jamais été partagés à grande échelle à cause de la pression des multinationales.
La variété de coton cultivée au Burkina était quand même très prisée à travers le monde.

Même l’ancien directeur de la SOFITEX [1] disait que « notre coton se vendait plus cher que les prix du cours mondial ». Les gens lui faisaient la cour pour acheter le coton burkinabé qui était l’un des meilleurs du monde en termes de qualité. Mais maintenant avec l’avènement du coton BT, il y a une dégradation de la qualité de notre coton. De haut de gamme, il a chuté à bas de gamme. Il se vend à perte maintenant sur le marché international.

Cette désillusion a-elle détourné les paysans de la culture du coton OGM ?

Le système des OGM est conçu de telle sorte que certains producteurs sont englués dans une sorte d’engrenage duquel ils peuvent difficilement sortir. On oblige les agriculteurs à produire dans le cadre d’un système intégré. Ce sont les grands semenciers qui fournissent les intrants à crédit aux paysans. Ce qui fait qu’après chaque année le paysan est redevable aux producteurs d’intrants. Les déficits de production n’aidant pas, il se retrouve dans une situation de dépendance vis-à-vis de ces producteurs d’intrants. Par ailleurs, les paysans sont regroupés au sein de coopératives de producteurs où ils sont obligés de verser des cautions solidaires pour contourner les difficultés de paiement des autres membres.

Cette situation a fait que beaucoup ont abandonné la production du coton. Ceux qui sont libres ou qui ont échappé aux engrenages du système se sont reconvertis dans la production d’autres spéculations. Ceux qui ont continué, sont ceux-là qui sont très englués dans le système. Parmi ceux qui continuent à cultiver le coton OGM, il y a les grands producteurs qui sont soutenus d’une manière ou d’une autre par les grandes multinationales ou par l’Etat. Même si leur production est déficitaire, ils bénéficient de subventions et d’autres formes de soutien.
Ce sont les seuls, d’ailleurs, qui continuent à produire à grande échelle et à entretenir cette comédie de la production des OGM.

Que faites-vous au sein du Syndicat national des travailleurs agricoles et pastoraux pour amener l’Etat burkinabé à infléchir sa position par rapport aux OGM ?

On ne chôme pas. On est constamment en tournée pour essayer d’informer et de sensibiliser les paysans sur les dangers des OGM. Par le biais des médias et à travers les émissions radiophoniques que nous organisons, on passe beaucoup d’informations utiles.
Des organisations paysannes favorables au système ont été créées de toute pièce pour contrecarrer nos actions. Elles sont devenues les bras armés du système. Ce sont elles qui disent qu’elles sont très contentes des OGM, mais si on regarde bien elles ne sont pas du tout représentatives de la majorité des paysans. Elles disent qu’elles souhaiteraient même que les OGM soient étendus à plus grande échelle.

Mais heureusement que d’autres associations se sont formées parallèlement pour contrecarrer ces mouvements.

Avec le soutien d’organisations telles que la COPAGEN, le Forum mondial, nous avons réussi à sortir de l’ombre et à nous faire connaitre à travers le monde. On travaille aussi en collaboration avec des associations d’Europe telles que Via Campesina.

Avec nos partenaires, on a eu la chance de participer à des rencontres internationales notamment grâce au Réseau « Lova » qui lutte contre l’accaparement des terres en milieu rural et urbain et les Artisans du Monde. Nous sommes un jour partis à Dakar participer à une rencontre sur les OGM. Il y avait des paysans de la Casamance (Région naturelle du sud du Sénégal) qui étaient là-bas et ils nous ont dit que notre arrivée les a sauvés parce qu’on disait que les paysans au Burkina sont à l’aise et qu’ils n’ont pas de problème parce qu’ils ont adopté les OGM. Mais quand ils ont écouté les témoignages des paysans burkinabé, ils ont tous changé d’opinion par rapport aux OGM. Cela a été une action qui m’a beaucoup marqué.

Au Burkina, il faut reconnaitre que le gouvernement a les mains liées. Il est malheureusement sous la coupe des multinationales et de certaines grandes puissances qui lui dictent la marche à suivre. Il n’a pas la latitude d’abandonner les OGM. C’est pourquoi nous luttons pour que toutes les organisations d’Afrique et d’ailleurs se mobilisent pour arriver à plus de synergie et à développer une force capable d’endiguer les OGM. 

Pour qu’il y ait un recul de notre gouvernement, il faut aussi que de l’extérieur, les administrations américaines et françaises manifestent leur volonté de faire face aux OGM et prennent des décisions fermes pour infléchir le développement des OGM dans notre pays.

Entretien réalisé par Aly Faye

allykaram@iedafrique.org