Abonnement à Agridape

Accueil / Publications / AGRIDAPE / Agrobiodiversité et sécurité alimentaire / Fonctions, modalités et défis de la diversification culturale dans la Boucle (...)

Fonctions, modalités et défis de la diversification culturale dans la Boucle du Mouhoun (Burkina Faso)

L’introduction de l’agriculture de conservation comme alternative pour l’intensification durable de la production agricole dans la Boucle du Mouhoun (Burkina Faso) se traduit par le développement de la diversification culturale (DC) dans les exploitations. L’analyse de cette tendance montre le potentiel de la DC pour aider les producteurs à relever les défis alimentaires, économiques et environnementaux. La valorisation de ce potentiel varie selon les exploitations. La DC engendre également des contraintes dont la résolution exige un nouveau processus d’apprentissage pour les producteurs et une adaptation des services de conseil agricole.

Introduction

La région de la Boucle du Mouhoun est considérée comme l’un des principaux « greniers à céréales » du Burkina Faso. Cependant, l’accroissement des surfaces cultivées, la croissance démographique, des pratiques peu durables et la forte pression des troupeaux entraînent la raréfaction et la dégradation des terres agricoles, hypothéquant à moyen terme le devenir des activités agricoles. Conscients de cet enjeu, les responsables de l’Union des groupements pour la commercialisation des produits agricoles de la Boucle du Mouhoun (UGCPA/BM), qui réunit plus de 2000 producteurs, a engagé depuis 2012, en partenariat avec African conservation tillage (ACT) et la Fondation pour l’agriculture et la ruralité dans le monde (FARM), des actions d’introduction de l’agriculture de conservation (AC) auprès de ses membres.

L’AC désigne les systèmes de culture où trois principes sont appliqués simultanément à l’échelle de la parcelle : le travail minimal du sol, la couverture végétale permanente du sol et la diversification des cultures. L’opérationnalisation de l’AC réussie n’est possible que si elle se fait en cohérence avec les réalités socioéconomiques et biophysiques locales. Pour chacun des trois principes, il faut trouver des modalités d’application adaptées aux objectifs et aux ressources des producteurs. Dans la Boucle du Mouhoun, la diversification des cultures (DC) qui est de nature à influencer l’assolement, le fonctionnement et les performances de l’exploitation, apparaît comme le principe de l’AC dont l’application doit être la plus raisonnée eu égard à la diversité des situations. En prélude aux opérations d’introduction de l’AC dans la Boucle du Mouhoun, un diagnostic des exploitations agricoles a permis d’établir une typologie reposant sur des critères de taille et de stade développement des exploitations. Les fonctions, les modalités, les contraintes et les solutions éventuelles à la diversification culturale ont été discutées avec les producteurs.

Le présent article expose les premiers résultats de l’analyse de cette dynamique d’introduction ou de consolidation de la DC au sein des exploitations. L’objectif de l’analyse était de générer des connaissances utiles pour évaluer la pertinence de cette expérience de DC, assurer son accompagnement adéquat et, le cas échéant, identifier les conditions de sa réplicabilité. Après avoir présenté la valorisation des fonctions de la DC par les exploitants, nous montrons comment la structure de l’exploitation et les objectifs de l’agriculteur influencent le choix des modalités d’application de la DC. Enfin, nous décrivons les contraintes qui apparaissent et les esquisses de solutions envisagées pour pouvoir valoriser pleinement le potentiel de la diversification culturale.

Des fonctions différenciées de la diversification des cultures

Il est apparu que la diversification des cultures dans le cadre de l’AC joue trois fonctions dont l’importance varie selon les 4 types d’exploitations identifiés (Tableau 1) : l’amélioration de la sécurité alimentaire et des revenus agricoles, l’amélioration de l’offre fourragère et la gestion de la fertilité des sols.

Tableau 1. Importance des différentes fonctions de la diversification culturale au sein des exploitations


Légende : Le nombre de + est proportionnel à l’importance de la fonction

La diversification des cultures constitue pour les petites exploitations (Type A et B) un moyen de renforcer la sécurité alimentaire et d’améliorer leurs revenus. Pour près de 40 % de ces familles agricoles, la production céréalière n’est pas suffisante pour couvrir les besoins du ménage. Environ 70 % de la production des légumineuses (arachide, niébé) et/ou de sésame est vendue pour acheter le complément de céréales et couvrir d’autres besoins de trésorerie. Quand on passe des petites aux grandes exploitations l’importance de la fonction de renforcement de la sécurité alimentaire décroit tandis que celle d’amélioration de l’offre fourragère augmente. En effet, les moyennes et grandes exploitations (Types C et D) sont largement autosuffisantes, elles commercialisent environ 60 % de leur production céréalière. Par contre, pour ces agriculteurs qui capitalisent ou diversifient leurs activités à travers l’élevage, la question de l’alimentation du bétail devient un problème sérieux – d’autant que l’extension fulgurante des superficies cultivées au cours des années récentes a fortement réduit les aires de pâturages naturels. Leur objectif n’est pas de pouvoir nourrir l’ensemble des animaux du cheptel avec ces plantes fourragères, mais de pouvoir améliorer la productivité de certaines catégories d’animaux comme les vaches allaitantes ou les animaux d’embouche.

Paradoxalement, bien que l’amélioration de la fertilité soit l’objectif recherché initialement par les responsables de l’UGCPA/BM par l’introduction de l’AC, c’est la fonction la moins prioritaire pour tous les types d’exploitations. Ce résultat ne signifie pas que les agriculteurs sont peu préoccupés par la fertilité de leurs sols, il montre plutôt que pour les petites et moyennes exploitations (type A, B et C), le plus urgent pour eux c’est d’assurer la subsistance de leur famille. Les grandes exploitations sont les plus préoccupées par la dégradation de la fertilité des sols, du fait de certaines pratiques peu durables comme les labours répétitifs et les rotations culturales très simplifiées (coton/maïs) qu’elles mettent en œuvre.

Une multiplicité de modalités de la diversification des cultures

L’association culturale, la culture dérobée, la culture relais, la rotation culturale et la jachère améliorée sont les principales options de diversification des cultures dans la Boucle du Mouhoun (Tableau 2). L’association culturale, la culture dérobée ou la culture de relais se réfléchissent à l’échelle de la parcelle sur un cycle annuel alors que la rotation culturale ou la jachère améliorée s’intègrent dans une stratégie pluriannuelle sur l’ensemble de l’exploitation. Ces différentes modalités ne sont pas exclusives, elles interagissent et sont souvent combinées au sein des exploitations.

Tableau 2 : Définitions des différentes modalités de la diversification des cultures

Modalité de diversification culturale Définition
Association culturale Conduite d’au moins deux espèces végétales sur une même parcelle en même temps
Culture dérobée Culture implantée entre deux cultures annuelles principales
Culture relais Conduite de deux cultures d’espèces différentes sur la même parcelle, la seconde culture est installée juste quelque temps avant la récolte de la première culture
Rotation culturale Succession dans le temps des espèces végétales différentes sur une même parcelle
Jachère améliorée Jachère dans laquelle des espèces améliorant la fertilité des sols sont incorporées

Le choix des modalités dépend des caractéristiques de l’exploitation, des types de cultures et des itinéraires techniques. Les petites exploitations agricoles qui font face à des contraintes foncières et aux difficultés d’accès aux engrais minéraux préfèrent les associations culturales (sorgho/niébé essentiellement). Les grandes exploitations qui disposent d’une réserve foncière plus ou moins importante optent pour les rotations culturales voire les jachères améliorées notamment sur les terres fortement dégradées. La priorité donnée aux rotations par les grandes exploitations est aussi dictée par la forte mécanisation des opérations de sarclage et buttage. Dans les exploitations moyennes, les superficies en association culturale sont tout aussi grandes que celles sur lesquelles la rotation culturale est pratiquée. La pratique des cultures dérobées et des cultures relais est encore peu développée du fait de la durée très courte de la saison des pluies. Néanmoins, certains producteurs comptent l’introduire pratiques dans les zones de bas-fond où après la récolte du riz, ils installent le niébé ou la dolique pour produire du fourrage.

Les défis pour le développement de la diversité culturale

Plusieurs contraintes ont été rencontrées lors de l’introduction ou du renforcement de la diversification culturale au sein des exploitations (Tableau 3).

Tableau 3. Principales contraintes des différentes modalités de diversification des cultures

Modalités Difficultés
Associations culturales - Compétition entre cultures
- Augmentation de la pénibilité et des temps de travaux
Rotations culturales - Nécessite une réserve foncière
- Difficulté d’élaboration d’un plan de rotation
Cultures dérobées / relais - Saison des pluies unimodale et courte
- Manque de variétés adaptées (cycle court)
- Concurrence avec d’autres activités de l’exploitation agricole
Jachères améliorées - Nécessite un grand espace / réserve foncière
- Divagation des animaux

La compétition entre les espèces pour l’eau, les nutriments et/ou la lumière est la difficulté la plus courante, surtout pour les associations culturales. Il a été noté que le rendement du maïs baisse d’environ 16 % (de 1 780 à 1 540 Kg/ha) lorsqu’on passe de la culture pure aux associations culturales avec le niébé, le brachiaria ou le pois d’angole. Trois solutions sont alors envisagées : la réduction de la densité de l’une des cultures en présence, le décalage des dates de semis et l’amélioration de la fertilisation.

L’augmentation de la pénibilité et des temps de travaux de semis et d’entretien des cultures a été observée dans le cas des associations culturales. Cette augmentation qui est en moyenne de 20 % est liée au doublement du temps de réalisation du semis, du démariage et de la récolte. Aucune solution agronomique n’a pas encore été identifiée pour surmonter cette contrainte, l’alternative trouvée avec les producteurs consiste à privilégier les associations de cultures susceptibles d’assurer une bonne rémunération du surcroît de travail ; ce qui compenserait aussi les pertes de rendement de la culture principale. Cette option conduit à préférer les espèces comme le niébé qui ont une valeur marchande élevée.

En aval de la production, la vente des récoltes des nouvelles espèces, même bien appréciées par les producteurs (pois d’Angole, ambérique, brachiaria, dolique, etc.) est aussi une contrainte évoquée. Les modes de valorisation de ces espèces dans l’alimentation humaine et/ou animale ne sont pas encore bien connues de la majorité des exploitants qui participent à la recherche action sur l’AC. En amont, l’accès physique aux semences notamment des espèces exotiques et leur coût élevé sont également des freins à leur introduction dans les exploitations. Cette situation met en évidence l’intérêt de travailler sur le développement des filières des nouvelles espèces qui intéressent les producteurs. Par ailleurs, à l’échelle de l’exploitation, la diversification culturale affecte les itinéraires techniques, l’utilisation, la charge et la division du travail exigeant du producteur une adaptation du fonctionnement de son exploitation et le développement des stratégies pour valoriser le potentiel et gérer les contraintes de la diversification culturale.

Conclusion

La diversification culturale ne constitue pas en soi une nouveauté pour les producteurs de la Boucle du Mouhoun. Toutefois, les activités de recherche-action engagées sur l’agriculture de conservation contribuent à mettre davantage en évidence la diversité des fonctions, des modalités et des contraintes de cette pratique, permettant ainsi de mieux raisonner son rôle comme outil de développement durable de l’exploitation agricole. La diversification culturale intègre des enjeux beaucoup plus larges de développement des filières (approvisionnement en semences, commercialisation des produits plus ou moins connues des consommateurs, etc.). Par ailleurs, elle suppose pour le producteur d’engager un nouveau processus d’apprentissage qui doit être accompagné par l’adaptation des services de conseil agricole et d’accès aux marchés. Des outils spécifiques d’aide à la décision devraient être élaborés. Dans le cas actuel de l’UGCPA/BM, l’existence de services de commercialisation et d’appui-conseil constitue un atout pour la conduite réussie et le changement d’échelle de cette première expérience de diversification culturale.

Auteurs :

Patrice Djamen Nana : Coordonnateur de l’antenne Afrique de l’Ouest et du Centre de African conservation Tillage Network (ACT)

Pierre Girard : Chef de projet Systèmes de production durables et appui-conseil à la fondation FARM

Adama Sidibé : Coordonnateur du service d’appui-conseil de l’UGCPA/BM

Pour en savoir plus sur l’agriculture de conservation en Afrique de l’Ouest et Centrale :

Djamen N.P., Dugué P., Mkomwa S., Da S.J.B, Essecofy G., Bougoum H. Zerbo I., Ganou S., Andrieu N., Douzet J-M., 2013. Conservation Agriculture in West and Central Africa in : A Jat R., Sahrawat L. K., Kassam A., (eds.), Conservation Agriculture : Global Prospects and Challenges. CAB International, UK, pp. 311-338