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L’agrobiodiversité dans la Région Betsileo à Madagascar : un atout pour mieux valoriser la diversité du milieu et des exploitations agricoles

Les exploitants agricoles de la région Betsilo, à Madagascar cultivent des variétés différentes en fonction des saisons et des facettes agroécologiques. Cette diversité est aussi fonction des objectifs et des contraintes de chaque exploitant. Un tel système d’exploitation confère à la région une importante diversité agrobiologique et des agroécosystèmes variés.

Introduction

La Région Betsileo se trouve dans la partie sud des Hautes Terres centrales de Madagascar. Le climat tropical d’altitude et la pluviométrie de 1250 mm. Les sols des pentes des collines sont ferralitiques, tandis que les bas-fonds portent des sols hydromorphes, minéraux ou organiques. Une population paysanne dense (env. 100 hab/km²) pratique l’agriculture manuelle de subsistance ainsi qu’un petit élevage. L’exploitation agricole est de petite taille et le travail essentiellement assuré par la main d’œuvre familiale et un système local d’entraide. L’ethnie betsileo est réputée pour son savoir-faire en matière de riziculture. Actuellement, à cause de la pression démographique, cette agriculture manuelle de subsistance voudrait accroître sa production tout en alimentant le marché afin de subvenir à des besoins croissants.

Le taux de déforestation régional est préoccupant, en présence de défrichements, aménagements de rizières, feux d’entretien de pâturage qui détruisent les lisières, exploitations illégales du bois, dont une partie sert cependant aux besoins locaux (construction des maisons, bois de chauffe et fabrication de matériels agricoles). La Région abrite deux parcs nationaux (Ranomafana sur 41600ha et Andringitra sur 31200 ha). Les deux parcs ainsi que le corridor forestier protégé qui les relie ont été reconnus pour leur intérêt biologique exceptionnel. L’intensification de l’agriculture et sa sédentarisation sont présentés comme une des conditions de conservation de la forêt. Des variétés à haut rendement (riz, manioc), des facilités de crédit pour les intrants et des itinéraires techniques nouveaux (SRA, SRI) ont été introduits dans ce but.

Evaluation de la biodiversité des plantes cultivées

La littérature fait état d’une forte corrélation entre paysanneries et diversité biologique agricole. Dans les systèmes agricoles traditionnels, les paysans maintiennent, pour différentes raisons, une diversité élevée au niveau de l’agro-écosystème (multiples espèces cultivées ou élevées et accompagnantes, multiples biotopes), de l’espèce (multiples variétés et races) et de la variété (base génétique large des variétés locales). Cette diversité cultivée, appelée biodiversité agricole, est une ressource essentielle et un patrimoine. Comme toutes les ressources, elle pourrait être mieux valorisée et devenir un outil pour le développement local, ce qui constitue un premier sujet de réflexion. Une autre question est de savoir si des mesures d’intensification à base de variétés à haut rendement ne risquent pas d’affaiblir la diversité locale.
Aussi une étude a été menée afin de connaitre la quantité et la qualité de ressources phytogénétiques agricoles dans la Région (Radanielina et al., sous presse). Cette connaissance va alimenter des réflexions sur (i) la place de l’agrobiodiversité dans le mode de vie et la subsistance des agriculteurs, (ii) la relation entre agro-écosystème et écosystème forestier ; (iii) les stratégies de développement à mettre en place pour exploiter de manière durable et valoriser les ressources existantes actuelles.

Pour ce faire, on a échantillonné dans la région de Fianarantsoa (pays Betsileo, Madagascar) cinq villages sur un transect passant de la zone forestière humide (Est) à la zone de savane plus sèche (Ouest). Dans chaque village, une dizaine d’exploitations représentatives de trois types majeurs (pauvre, moyenne, riche) ont été échantillonnées et enquêtées. Des informations ont été collectées sur les différents aspects de la diversité des plantes cultivées : taxonomie, fonctions, origine, ancienneté, propriétés, importance quantitative et qualitative de l’espèce et de la variété.

Une importante diversité au niveau de l’espèce et des variétés

Au total, 45 espèces ont été enregistrées à l’échelle de la région, elles se divisent en trois catégories
- Plantes cultivées à grande échelle (6 espèces) : riz, manioc, patate douce, taro, pois de terre, haricot ;
- Plantes cultivées dans des petites parcelles (moins de 10m²) ou associées (17 espèces) : « brèdes » (légumes-feuilles), choux, tabac, maïs, arachide, canne à sucre, bananier … ;
- Plantes cultivées seulement en quelques pieds : arbres fruitiers, plantes médicinales, plantes aromatiques et épices (22 espèces).

Concernant les 6 espèces cultivées à grande échelle, 57 variétés ont été enregistrées : 18 pour la patate douce, 12 pour le riz, 11 pour le manioc, 6 pour le taro, 5 chacune pour le haricot et le pois de terre. Nous utilisons le terme variété pour désigner la plus petite unité de classification paysanne des plantes cultivées, et cette classification s’exprime par des caractères morphologiques reconnaissables à l’œil nu. Chaque village compte un nombre important de variétés de chaque espèce.

A l’échelle de l’exploitation, le nombre d’espèces cultivées est élevé, variant de 13 à 17. Par contre, le nombre de variétés est faible : deux en moyenne pour le riz, trois pour le manioc. Un nombre plus élevé a été constaté pour la patate douce allant jusqu’à cinq variétés en moyenne par exploitation.

Des agro-écosystèmes variés

Les cinq terroirs représentent un gradient de milieux écologiques et humains :

- terroirs forestier frais et humides,
- terroirs de lisière ou plusieurs biotopes sont disponibles,
- terroirs de savane humide avec reboisements,
- terroirs de savane plus sèche à forte composante pastorale.

Une spécialisation d’activités forestières et un climat moins propice semblent réduire la diversité spécifique cultivée en zone forestière (forte spécialisation sur le taro et le maïs) par rapport aux espaces ouverts. Cette variété régionale d’agro-écosystèmes locaux permet d’alimenter le marché de produits complémentaires et de spécialités locales comme les cossettes de manioc produites sous les climats les plus secs, les plus propices aux activités de transformation par séchage.

Un paysage agricole catégorisé en six « facettes écologiques »

L’agro-écosystème est partout très diversifié en biotopes ou « facettes agroécologiques ». Les agriculteurs classent ces milieux suivant la hauteur par rapport au bas fond et son emplacement par rapport au village. Du plus bas au plus haut :
- Am-parihy : littéralement « là où il y a l’eau stagnante », la partie la plus basse du paysage. Ce sont les bas fonds, aménagés en rizières irriguées (en saison chaude), dont certaines sont exploitées en saison froide pour le maraichage (pomme de terre, haricot principalement).
- Kipahy : rizières en terrasse issues de l’aménagement des versants, irriguées ou non.
- Tambina : parcelles voisines de la rizière de bas-fond, sur le bas-versant. Cette bande de terre plus ou mois humide n’a pas la possibilité d’être irriguée. Elle est favorable aux cultures maraîchères à cause de facilité de l’arrosage ;
- An-Tanety terrain de versants ;
- Vody vala : proche du village, endroit plus fertile à cause de déchets ménagers, fumure des bœufs et fientes des animaux de basse cour ;
- An-tety : large espace cultivé ou non au sommet de la colline, loin du village et plus haut que les an-tanety.

Ainsi, chaque facette possède ses propres caractéristiques : qualité du sol, exposition à l’ensoleillement, exposition au vent, possibilité d’irrigation…
D’autres sources de diversité existent avec la pratique de la défriche-brûlis, selon le type de végétation défrichée, jachère arbustive, forêt naturelle, reboisement…

L’agrobiodiversité valorise la diversité du paysage agricole

Chaque exploitation possède des parcelles de culture reparties dans les différentes facettes écologiques. Leur mise en valeur saisonnière utilise un jeu de différentes espèces. Ainsi, l’agrobiodiversité vise d’abord à exploiter la diversité du paysage agricole et des saisons.

Les variétés choisies dépendent aussi de la saison et de la facette écologique. Par exemple le haricot cultivé sur Vodivala n’a pas le même calendrier et n’utilise pas le même jeu de variétés que celui cultivé sur Tambina ou en rizière drainée.

Il y a même des différences, bien connues des agriculteurs, entre deux champs en pente appartenant à la même facette écologique mais qui diffèrent par l’exposition. Cette exposition au soleil conditionne les pratiques culturales et l’agro-diversité entre aussi en jeu. C’est aussi le cas pour deux parcelles de riz en terrasse qui n’ont pas le même type du sol ou n’ont pas la même source d’eau. Par exemple les terrasses, selon qu’elles sont irriguées ou non, utilisent des variétés différentes et des calendriers culturaux adaptés. Les rizières à alimentation pluviale sont repiquées tardivement, avec un jeu de variétés particulier Les rizières proches d’une source d’eau et à risque d’inondation sont à repiquage précoce.

Des choix variétaux répondant à des objectifs différents

Outre la diversité du biotope, la diversité des variétés répond aussi à des objectifs et des moyens différents en fonction des exploitations. C’est particulièrement le cas des espèces principales (riz, manioc) dont il existe un jeu de variétés, locales ou introduites, pour chaque objectif et contrainte. Certaines variétés (la plupart locales) sont particulièrement rustiques, et demandent peu de fertilisants, tandis que les variétés introduites ont des besoins plus élevés.

La grille croisant besoins/contraintes et saison de repiquage (ci-dessous) montre le jeu de variétés utilisées par les paysans. Chaque case donne le jeu de variétés compatibles à la fois à leurs objectifs et contraintes et à la situation de la parcelle. Chaque groupe de variétés constituerait un véritable « groupe fonctionnel » si on adaptait à l’agro-écosystème ce concept écologique.

Repiquage précoce Grand repiquage Repiquage tardif
Besoins d’engrais :
- Même à forte dose
- Epuisement rapide du sol à dose modérée
Japonais
Vary lava
Japonais
X 265
X 265
Dose modérée (fumure organique tous les ans ou culture de contre saison) Zato andro
Sego
Ambaniravina
Tsipala
Isandra madio
Vary chine
Ne répond pas aux engrais : à forte dose il y a risque de verse et développement excessif des feuilles Vary mena Vary mena
Piritika
Vary vory
Piritika
Vary vory

Il reste une dernière source de conservation de diversité, et non la moindre : c’est la pratique des rotations variétales (riz, manioc) et des associations variétales (patate douce) qui jouent un rôle important en matière de gestion des risques et de régulation des rendements sur une même parcelle cultivée en monoculture. L’association variétale, couramment pratiquée, explique la plus forte diversité de la patate douce. Les rotations et associations variétales augmentent les flux d’échanges de semences de riz ou de variétés de manioc et de patate entre exploitations et maintiennent ainsi une forte diversité variétale de ces cultures à l’échelle village.

Mais les fonctions productives sont loin d’être les seules à alimenter le choix variétal et la constitution d’une diversité villageoise ou régionale. Chaque famille a ses propres préférences, en termes culinaires ou gustatives. Les fonctions sont loin de n’être que productives ou alimentaires mais aussi sociales et culturelles. D’autres aspects d’apparence secondaire comme la couleur du grain peuvent avoir une importance majeure, sur un plan social et culturel. Ainsi les variétés rouges, couleur associée au symbolisme de la noblesse, sont particulièrement prisées sur les Hautes terres malgaches.

Conclusion

Face à la diversité du paysage agricole qu’ils ont façonné, et celle des exploitations dans la zone Betsileo, les agriculteurs utilisent différentes espèces et différentes variétés pour optimiser leur système de production, dans le sens de la sécurité, de la durabilité et de la stabilité du rendement. Des fonctions sociales sont aussi à la source de cette diversité. Ils ont adapté le niveau de diversité à l’importance de la plante ou à certaines de ses propriétés.

La diversité résultante est une ressource et un patrimoine qu’il faut savoir conserver et valoriser, mais aussi enrichir sans cesse. Pour l’instant les variétés introduites ne sembleraient pas avoir sensiblement appauvri la diversité locale dans cette région, mais il convient de suivre avec attention le cas des espèces secondaires (taro, pois de terre…), qui pourraient être plus sensibles aux changements sociaux et aux politiques de développement et de conservation forestière, qui ont surtout misé sur l’amélioration du riz et du manioc, en tant que filières stratégiques.

Bibliographie

Radanielina, T., Carriere S., Serpantié G., sous presse. Origins, functions and persistence of crop biodiversity in the Betsileo Highlands, Madagascar. Economic Botany

Radanielina Tendro
Enseignant-Chercheur
Département de Biologie et Ecologie Végétales
Université d’Antananarivo
rtendro@yahoo.fr

Georges Serpantié
Chercheur
IRD
UMR GRED
georges.serpantie@ird.fr